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Singapura - Episode 8

Singapura Episode 8 feuilleton expatriés Singapour fiction romanSingapura Episode 8 feuilleton expatriés Singapour fiction roman
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 14 décembre 2017, mis à jour le 14 décembre 2017

Lepetitjournal.com/singapour vous propose depuis quelques semaines un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi, avec un feuilleton dont les expats à Singapour sont les héros.

Episode 8 – Mei

Dans son rôle de personal assistant, Mei lui était précieuse, rappelant à Paul les évènements importants, gérant l’agenda professionnel pour qu’il assiste au concert d’Astride comme au match de rugby d’Emilien. Les vacances, qui l’intéressaient peu, lui échappaient complètement. Elles étaient prises en charge par Odile et Mei. Odile décidait des lieux, des dates et des activités, Mei mettait tout en musique, règlait les détails et organisait les congés dans le planning professionnel. C’était parfait ainsi. Paul se laissait entraîner, sans presque réagir, par le flot de la vie quotidienne, des aspects matériels et des questions familiales. Mei s’occupait de l’essentiel, lui permettant de faire bonne figure dans cette partie de son existence dans laquelle il se sentait de plus en plus interpréter un rôle convenu.

La jeune femme était d’ailleurs un mystère. Elle était d’une résilience impressionnante, toujours avenante et cependant discrète. Depuis 12 mois qu’elle travaillait pour lui, il ne savait à peu près rien d’elle. Tout juste avait-il retenu qu’elle vivait avec ses parents et qu’elle était la mère d’une petite fille de 3 ans dont le père ne s’était jamais manifesté. Il y avait un décalage troublant entre la discrétion de la jeune femme et l’étendue étonnante des talents qu’elle savait déployer, dans des situations dans lesquelles la plupart des directeurs qui lui reportaient, paraissaient, par comparaison, agir comme des lourdauds.

Elle était aussi d’une rare beauté, produit d’un métissage d’origines chinoise et malaise. Elancée, le teint mat, elle s’habillait avec un mélange de sophistication et de simplicité. Comme de nombreuses jeunes singapouriennes, elle avait adopté un « uniforme corporate » assez strict, la plupart du temps sombre et près du corps, qui associé à des talons hauts, accentuait la cambrure de sa silhouette et mettait en valeur la finesse de sa taille. Elle portait des bijoux en or, mais discrets. Sa chevelure brune dégoulinaient en boucles sur ses épaules. Elle avait des sourcils foncés qui, savamment entretenus, élargissaient son regard et donnaient à ses yeux noirs un éclat particulier, mélange d’intelligence et d’ingénuité.

Quand il la voyait lui sourire avec gentillesse et gaité le matin, ou quand le soir elle lui rappelait un engagement qu’il avait pris pour la soirée, il aimait à penser qu’elle éprouvait à son égard le frisson d’un sentiment amoureux. Alors il s’imaginait caressant ses cheveux, mordant ses lèvres et respirant son parfum. C’était un flash récurrent, une décharge érotique qui ne durait qu’un instant. Au début il s’en était fait le reproche. Cela ne lui ressemblait guère de se laisser entraîner dans des chemins, seraient-ils seulement fantasmés, qu’il jugeait scabreux et qui ne collaient pas avec la morale, un peu rigide, héritée de son éducation. A présent, il avait l’impression que cela ne l’embarrassait plus. Ce n’était pas, pensait-il, quelque chose qui aurait été volé à Mei, à sa femme, à ses enfants ou à qui que ce soit. C’était comme l’intuition d’autres existences, jaillissant de manière aléatoire, comme des instantanés, dans le champ de sa conscience ; clins d’œil à l’infini des possibles, caresses intimes et stimulantes, aussi légères que le battement d’un cil. Un univers dans lequel il pouvait bien se laisser aller à ses fantasmes puisqu’il en tenait la porte close et que ces « idées » le mettait à l’abri des écarts dans la vraie vie.

Mei donc régnait en assistante attentive sur les heures que Paul passait au bureau. Elle était comme une incarnation de l’Asie, drapée dans un voile de mystère, élégante et attractive, soumise et rétive. Elle était comme un souffle chaud et humide qui exhale, dans l’air ambiant, un parfum subtile, fruité et fleuri. A son insu, Paul était rapidement devenu dépendant de cet air là. Il l’aspirait chaque matin à pleins poumons en arrivant au bureau. Cela l’apaisait. Cela lui donnait, les mois passants, une étonnante sérénité et même, comme tournait l’aiguille des minutes à l’approche de huit heures, l’esquisse d’une impatience seule capable de le tirer de ses mails.

Mei s’était habituée à voir le trouble qu'elle suscitait dans le regard des hommes. Elle avait appris à vivre avec. Si cela l’avait gênée quand elle avait 17 ans, elle avait appris à marcher en équilibre sur ce fil fragile du désir qu’elle suscitait, sensible à l’effet qu’elle produisait, attentive à éviter les quiproquos. Elle avait aussi eu des aventures. Mais celles-ci n’avaient pas duré, lui laissant chaque fois le sentiment d’avoir été flouée. Trois ans plus tôt, elle était tombée amoureuse d’un jeune américain qui lui avait fait un enfant et l’avait plantée là, quand il avait appris qu’elle était enceinte. Il était reparti se marier, aux Etats-Unis, avec une jeune américaine de son collège qu'il avait connue avant de venir à Singapour. Mei, donc, gérait avec doigté le handicap de son exceptionnelle beauté, en tentant d’éviter d’en faire un obstacle à des relations vraies.

En levant les yeux de son écran d’ordinateur, Paul s’aperçut que son bureau, malgré l’heure, était plongé dans la pénombre. Des nuages noirs très bas avaient avalé les tours du Central Business District. Il allait pleuvoir. Paul se leva pour allumer la lumière de son bureau. Il aimait ces ciels d’averses tropicales, quand la ville autour de lui, s’allumant soudain, brillait derrière un épais rideau de pluie. Généralement c’était assez rapide et le soleil surgissait immédiatement après la pluie. Les rues grises et bleues du quartier d’affaires étaient envahies de véhicules sur cinq lignes. Paul suivit des yeux une porsche décapotable dont la jeune conductrice profitait de chaque feu pour achever de se maquiller. De la rue adjacente surgit un groupe de piétons, qui se précipita dès que le feu fut passé au rouge, pour traverser ll’avenue en trottinant entre les gouttes. Soudain un éclair, puis un bruit de tonnerre. En un instant, le ciel était devenu noir . Une violente averse inonda l’espace. Paul eût une pensée pour la jeune femme qui se maquillait tout à l’heure. Derrière la vitre, il ne distinguait plus que des halos lumineux. La pluie s'abattait sur le sol, drue et sonore. Il alluma la lumière et s’assit à nouveau à son bureau.

Comme c’était l’heure, Mei entra refermant derrière elle avec précaution la porte du bureau. Elle s’assit à la table de réunion avec son ordinateur.

- Quoi de neuf ce matin ? demanda Paul

- Pas d’urgence à traiter avant votre staff à 9:00, mais plusieurs personnes ont demandé à vous voir. Il y a aussi le jeune VIE qui est arrivé hier

- Ah oui.  Comment s’appelle-t-il déjà ?

- Vincent.

- Il faudrait le présenter au staff. Pouvez-vous vous en charger ?

- C’est entendu. Désirez-vous le rencontrer vous même

- Oui, très bien. Dites-lui de venir maintenant.

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