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Singapura - Episode 3

Singapura Episode 3Singapura Episode 3
Singapura - votre feuilleton hebdomadaire
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 15 septembre 2017, mis à jour le 11 décembre 2017

Lepetitjournal.com/singapour vous propose, depuis deux semaines, un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi, avec un feuilleton dont les expats à Singapour sont les héros.

 

Résumé de l’épisode précédent. Solène a cru mourir quand Vincent lui a annoncé qu’il allait partir à Singapour. Comment le jeune homme qu’elle aimait pouvait-il choisir de l’abandonner pour partir ? Devenue soudain pénible, la promenade des deux jeunes amoureux s’achève sur une note enthousiaste avec la proposition que Solène accompagne Vincent à Singapour.

Episode 3 – Le grand départ

Les jours qui suivirent, Solène se plongea dans les guides et les forums d’échange sur internet. Elle apprit avec étonnement que Singapour était une cité-Etat indépendante, distincte de la Malaisie, avec laquelle elle avait eu un passé commun, au moment de la colonisation anglaise. Elle remplaça les images d’une bourgade coloniale, par celles d’une cité ultra-moderne. Elle continuait malgré tout à entretenir de sa future destination une vision romantique dans laquelle elle retrouvait le charme des sampans que déchargeait une armée de coolies. Elle imaginait les rues encombrées de marchands ambulants, le bruit partout, une foule continue à travers laquelle les rickshaws se frayaient un chemin à coups de sonnettes. Elle savait cette vision complètement erronée. Pourtant, elle se plaisait à se projeter déambulant en tenue ample et soignée dans des rues à peine pavées, au milieu d’indigènes à moitié nus et d’occidentaux arborant de fiers panamas. Sans se soucier des incohérences ni des contrastes, elle oscillait ainsi entre la ville moderne, telle qu’elle en découvrait le détail sur internet, et celle qui relevait de sa  fantaisie personnelle. A la représentation qu’elle trouvait dans les guides, elle mêlait des images de plantations malaises et d’autres empruntées à la Chine et à l’ancienne Indochine. Elle se voyait tour à tour dégustant un thé glacé avec Vincent sur la terrasse ombragée d’une black & white, ou contemplant la ville, comme la montraient tant de magazines, à partir du bord de la piscine au sommet de Marina Bay Sands. Ce maelstrom d’images entretenait une poésie qui l’enchantait. Il nourrissait aussi certaines appréhensions qui n’avaient pourtant pas plus de réalité concrète que ses rêveries. Elle éprouvait, comme si elle y habitait déjà, les atteintes de la chaleur tropicale, au point de voir perler quelques gouttes de sueur sur le dessus de son épiderme. Elle se battait contre les moustiques.  Elle s’inquiétait des maladies tropicales, de la possibilité de consommer de la nourriture avariée ou des risques d’être agressée et détroussée dans des coupe gorges sombres et sordides.

Il fallait aussi tenir compte des autres, parents et amis, qui avaient évidemment tous un avis. Quand elle avait parlé du projet de partir à sa mère, celle-ci avait eu une montée de larmes qu’elle avait eu du mal à cacher. Solène ne comprenait pas ce qui causait tant d’émotions à sa mère. Etait-ce de voir sa fille s’en aller loin ? Etait-ce de la savoir en couple avec un jeune homme qu’elle n’avait pas encore rencontré ? Ou bien s’inquiétait-elle que ce projet nuise à ses études ? Son père avait été plus encourageant. Il connaissait plusieurs personnes qui vivaient ou avaient vécu à Singapour et qui lui en avaient dit beaucoup de bien. Au moins l’un et l’autre s’étaient-ils abstenus de donner des conseils ; ce qui n’était pas le cas de Justine, sa meilleure amie. Justine, de toute évidence, ne parvenait pas à se figurer ce que Solène partait faire si loin alors qu’il y avait tant de choses merveilleuses à Paris. Solène n’était-elle pas en train de sacrifier ses études pour une passade amoureuse ? N’allait-elle pas regretter, quand elle serait sur place, d’avoir laissé en plan son doctorat et abandonné ses amis. Solène avait commencé à argumenter puis avait rapidement laissé tomber. Elle avait été très agacée par la réaction de son amie. Pourtant, loin de la faire douter, la discussion l’avait au contraire confortée dans son projet. Si elle avait été elle-même d’abord effrayée par l’imminence du départ, elle s’était vite rassurée. Les réactions de sa famille et de Justine l’avaient forcée à sortir du registre des émotions pour construire autour de son projet d’expatriation une rationalité qui finit par la convaincre elle-même et ferma la porte aux réticences initiales. Elle se découvrit un goût des voyages lointains dont elle n’avait pas eu conscience jusque là. La manière dont réagissait Justine, n’apportait-elle pas la démonstration de ce qui la distinguait, elle, de son amie, parisienne sur-adaptée accro à ses petites habitudes et à ses micro-réseaux? Elle ne comprenait rien! Probablement était-elle jalouse de sa relation avec Vincent et de la chance qui lui était offerte de partir en Asie. Elle pouvait être jalouse. Elle ne se rendait pas compte que c’était elle-même qui s’interdisait de vivre la même expérience. A présent, Solène se sentait étouffer dans les limites de ce qui avait été son quotidien depuis que, sitôt le bac en poche, elle était montée à Paris. Son départ prochain flattait l’idée qu’elle se faisait d’elle-même. Et plus on évoquait, autour d’elle, les risques et les difficultés d’aller vivre loin, plus elle sentait s’épaissir cette part de mystère qui lui suggérait qu’elle était l’équivalent d’une Marguerite Duras ou d’une Alexandra David Neel.   

Vint le moment du départ. Vincent et Solène avaient dit au revoir à leurs familles. Justine et tout un groupe d’amis étaient venus aussi. C’était un peu surréaliste. C’était comme un mariage qui aurait été organisé à la va vite où chacun fait connaissance avec les autres, forçant la bonne humeur, pressé d’approfondir tout de suite les contacts, avant que l’avion décolle et que le groupe, privé de liant, se délite. Solène avait présenté Vincent à ses parents et à sa tante. Il les avaient présenté aux siens, qui s’étaient dits ravis de rencontrer enfin Solène. Amandine, la jeune sœur de Solène, était en pleurs. Les autres affichaient la gaieté, le bonheur de commencer une histoire de deux familles ensemble autour de ce jeune couple, dont l’union, si fragile et récente, paraissait, au milieu des bagages, comme une bouée à laquelle tous s’accrochaient.

C’en était presque gênant pour Vincent et Solène, dont l’histoire n’avait pas eu le temps de s’encombrer de projets au delà de celui d’être ensemble et de partir en Asie. Leurs parents étaient incorrigibles, qui les voyaient déjà mariés et faisaient déjà, à leur place, des plans sur le futur. Vincent et Solène voulaient rester légers, sans contrainte. Ils n’aspiraient qu’à saisir avec gourmandise ce que leur offriraient les semaines à venir. Ils avaient décidé d’accélérer le mouvement. Dès l’enregistrement terminé, ils avaient planté là parents, frères et sœurs et amis devant le contrôle des passeports, et s’étaient précipités sans se retourner, noyant leurs états d’âme dans le lèche vitrine des quelques magasins dutyfree de Roissy.

Pour Vincent et Solène, ce voyage était une première. Certes, ils étaient allés déjà à plusieurs reprises à l’étranger, mais c’était seulement pour de courts séjours, en famille ou dans le cadre de groupes de jeunes. C’était la première fois qu’ils partaient en couple, si loin et si longtemps. Ce qui les attendait, la manière dont évoluerait leur relation, ils auraient le temps de le découvrir. « Carpe diem », se disaient-ils, à mots couverts, en échangeant des sourires, s’embrassant beaucoup et marchant serrés l’un contre l’autre, sans pour autant parvenir à se débarrasser tout à fait d’un fond d’anxiété. A peine les parents et amis quittés, c’étaient encore eux qui animaient leur conversation. Se moquer de la manière cérémonieuse dont ils avaient réagis à leur départ en Asie, c’était les garder présents quelques moments encore auprès d’eux et puis les chasser à nouveau, cette fois définitivement, pour se concentrer, en mots et en baisers, sur l’idée du bonheur qu’il y avait à se trouver là, dans la salle d’embarquement, tous les deux. Quelques plateaux repas et plusieurs films plus tard, ils débarquaient, à 7h du matin, à Changi. Solène avait dormi la tête sur les genoux de Vincent. Lui avait fait une nuit blanche, profitant du parfum de Solène, de son corps tendrement abandonné contre lui. Il avait épuisé la sélection de films proposés. A plusieurs reprises, il avait tout éteint, sauf un patchwork de musique classique pour faire office de berçeuse. Mais il était trop excité pour dormir. C’était, à 23 ans, l’Aventure. Une aventure qu’il allait vivre avec Solène.

Bertrand Fouquoire
Publié le 15 septembre 2017, mis à jour le 11 décembre 2017

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