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Divorcer à Singapour - Quelles sont les règles?

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@mohamed_hassan
Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 6 décembre 2021, mis à jour le 7 décembre 2021

Des couples venant de France peuvent être amenés à se séparer lors d’une expatriation. Quelles sont les règles à Singapour ? Cela implique-t-il de rentrer en France ? Si la procédure de divorce est possible à Singapour, quelle loi va s’appliquer ?

Lepetitjournal.com a rencontré Sabrine Cazorla Reverre, avocate française spécialisée en droit de la famille, exerçant à Singapour, pour aborder ces différentes questions.

 

Lepetitjournal.com : Pensez-vous que le nombre de divorces soit plus élevé chez les couples expatriés ?

Sabrine Cazorla Reverre : Les statistiques ne montrent pas plus de divorces en expatriation qu’en France, mais il est intéressant de noter que si pour les époux l’expatriation est généralement un facteur positif car elle permet de se réinventer professionnellement, de faire avancer sa carrière, de faire plus de voyages, de sorties, de se faire plus d’amis, elle n’en reste pas moins un facteur de stress pour le couple.

La perte potentielle du statut social professionnel de l’un va créer un déséquilibre, l’écart induit par le changement de responsabilité et de stature professionnelle amène des perturbations.

Soyons politiquement incorrect pour également évoquer une réalité bien connue en Asie depuis les années 20, le syndrome « Rudolf Valentino, Brad Pitt ou Ryan Gosling », qui fait croire aux hommes caucasiens qu’ils sont soudain devenus irrésistibles pour l’autre sexe.

Tous ces éléments peuvent mettre le couple à l’épreuve.

Pour balancer cette situation locale, il est à noter que l’infidélité concerne les deux sexes, la différence se trouvant généralement dans les circonstances qui entoure cette infidélité.

En outre, des études prouvent que l’éloignement de la famille et des amis va réduire la pression morale et sociale qui parfois permet en période de crise de maintenir le couple et de trouver des solutions.

Si on rajoute un environnement qui non seulement ne sanctionne pas l’infidélité mais la déculpabilise voire l’encourage, les applications de rencontre et la praticité du téléphone portable, le cocktail peut être détonnant voire fatal pour la félicité conjugale.

 

Est-il possible de divorcer sous la loi française depuis Singapour ?

Oui, toutes les procédures qui ont cours en France sont ouvertes depuis Singapour. Que les procédures soient contentieuses ou par consentement mutuel, nous pouvons tout gérer depuis Singapour. Certaines procédures nécessiteront de se déplacer à la demande du juge d’autres pas.

La récente réforme du divorce en France qui est appliquée depuis le 1er janvier 2021 promet une procédure plus rapide et moins contentieuse. En effet, l’analyse des textes montrent un double objectif du législateur :

  • Diminuer l’acrimonie en promouvant davantage l’utilisation de modes alternatifs de résolution des conflits, comme la médiation, mais aussi la possibilité d’utiliser un outil appelé la convention participative de mise en état.

Il s’agit de donner aux époux et à leurs avocats la maitrise de la procédure en leur donnant le contrôle du calendrier procédural. Le juge lors de la première audience de mise en état donnera une date d’audience qui suivra le calendrier proposé par les parties et leurs conseils. Les époux se trouvent, de fait, responsabilisés dans la gestion de leur divorce.

  • Accélérer les procédures en éliminant par exemple l’audience de conciliation et en la remplaçant par une audience d’orientation et sur mesures provisoires. En cas de non demande de mesures provisoires et d’accord des parties, les avocats peuvent demander la mise en délibéré immédiate.

 

Est-il possible de divorcer selon la loi singapourienne ?

Oui, à deux conditions :

  • Avoir vécu plus de trois ans à Singapour au moins pour un des deux conjoints et y vivre au moment d’entamer la procédure,
  • Avoir trois ans de mariage, la loi singapourienne ne permet pas un divorce avant trois ans.

Si la procédure singapourienne est possible la question première à se poser sera celle de la juridiction la plus avantageuse.

En effet, en fonction des circonstances, le choix de divorcer devant les tribunaux français ou Singapouriens pourra avantager très considérablement une des parties. Il s’agira alors d’introduire une action auprès de cette juridiction.

Les critères rentrant en compte pour déterminer quelle est cette juridiction peuvent être extrêmement diffèrent en fonction de la motivation des époux. La garde des enfants, la prestation compensatoire, la division des biens doivent faire l’objet d’une comparaison minutieuse à l’éclairage de ce qui est important pour l’époux concerné.

En ce qui concerne la division des biens, j’ai souvent la question de savoir quelle est la juridiction la plus avantageuse : la réponse est « ça dépend ». Cela dépend d’abord du régime matrimonial des époux (qu’ils aient signé un contrat de mariage ou pas, ils ont un régime matrimonial au sens de la loi française), de leur situation, de la durée du mariage, du nombre d’enfants et la liste n’est pas exhaustive.

Le cas extrême est celui du régime de séparation pour un couple marié depuis 30 ans, un des époux (the trailing spouse) n’ayant jamais travaillé. Dans ce cas, le régime singapourien sera probablement nettement plus favorable pour ce dernier, essentiellement s’il s’agit de l’épouse, le droit singapourien faisant la distinction.

Mais en fonction des circonstances, le droit français peut être plus avantageux. Il est donc important de prendre conseil avant de se décider.

Il est à noter que les couples de français mariés sans contrat de mariage ne le sont pas forcément sous un régime de communauté, comme ils le pensent très souvent.

Les textes internationaux et le lieu de résidence vont avoir une incidence sur la détermination du régime matrimonial.

Pour déterminer la loi applicable, à défaut de contrat de mariage (cas d’un mariage sous le régime de la communauté en France), les époux peuvent être placés sous 3 différents régimes juridiques en fonction de leur date de mariage:

  • Avant le 1er septembre 1992
  • à partir du 1er septembre 1992 et jusqu’au 29 janvier 2019
  • Après le 29 janvier 2019

Par exemple, pour les couples mariés entre 1992 et 2019, c’est l’article 4 de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux qui s’applique. Selon cet article, si les époux n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l’état sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage.

En l’absence de résidence commune, c’est la loi nationale commune des époux qui s’applique.

Un couple de français qui se serait mariés en 2008 et s’installé immédiatement en Angleterre, qui aurait été marié sous le régime de la communauté s’il était resté en France, l’est en fait sous un régime de séparation car au Royaume-Uni (premier lieu de résidence) il s’agit du régime par défaut, comme à Singapour d’ailleurs.

Le règlement communautaire du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière, respectivement, de régimes matrimoniaux et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, s’est substitué à la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux à compter du 29 janvier 2019.

Un des changements apportés par ce nouveau règlement est l’abandon de la mutabilité automatique du régime matrimonial après 10 ans passés dans un pays, ce qui permet un peu plus de sureté juridique.

Je rappelle que la mutabilité automatique impliquait un changement de régime matrimonial après 10 ans de vie dans un pays étranger pour les personnes sans contrat de mariage. Il arrivait donc que les notaires et avocats aient à liquider des régimes successifs a posteriori pour un même couple. Un casse-tête infernal ! Il était très difficile de pouvoir dire aux époux quelle allait être la part de chacun dans la dissolution au début de la procédure.

 

Les divorces doivent-ils toujours être contentieux ?

Je sais que cela va paraitre paradoxal mais Il faut envisager le divorce comme un début de nouvelle vie, un début de coparentalité.

La collaboration, la bonne entente sont donc à privilégier. Il faut que chacun y trouve sa place.

Un divorce bien géré est mieux vécu par les enfants.

Sociologiquement parlant, avec l’allongement de la durée de vie, la possibilité de connaitre plusieurs mariages au cours de sa vie est statistiquement assez importante, tout celle comme de vivre dans une famille recomposée. C’est une nouvelle donnée sociologique dont il faut tenir compte.

Le divorce par consentement mutuel sous seing privé (c’est-à-dire sans l’intervention du juge) mis en place par le législateur français en 2017 est une nouveauté juridique qui s’adapte à cette évolution. En effet, les époux ne passent plus devant le juge et rédigent avec l’aide et par l’intermédiaire de leurs avocats respectifs une convention dans laquelle sont envisagées toutes les conséquences du divorce. L’esprit, outre l’aspect pratique de désengorger les tribunaux, est de donner aux époux la responsabilité de leur vie future, la liberté de choix.

Bien évidemment cela n’est pas toujours possible et on peut être amené à demander au juge d’intervenir pour régler les conflits et les conséquences du divorce.

 

Peut-on déplacer des enfants dans un autre pays ?

Pendant un conflit conjugal, le conjoint qui n’est pas expatrié et qui ne travaille pas peut trouver légitime de rentrer dans son pays d’origine avec les enfants.

Je mets sérieusement en garde contre tout retour des enfants non négocié ou accepté et qui pourrait conduire à l’entrée en jeu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants

Ce texte tend à protéger les enfants des effets nuisibles de l'enlèvement et de la rétention au-delà des frontières internationales en prévoyant une procédure permettant leur retour rapide : une autorité centrale mise en place dans chaque pays signataire de la convention va s’occuper du rapatriement des enfants (la France et Singapour sont signataires). Si le parent demandeur considère que l’autorité centrale n’est pas assez réactive, il peut également saisir la juridiction du pays dans lequel sont les enfants.

Un tel déplacement est donc possible mais UNIQUEMENT si l’autre parent a donné son accord. Et par accord, j’entends un accord non équivoque et par écrit. Il est toujours possible qu’un parent qui semble accepter le retour de la famille en France voire en être à l’origine, change d’avis.

Dans ce cas, il se prémunira de la convention précédemment citée pour demander le retour du ou des enfants. Prouver qu’il ou elle avait donné son accord sans pouvoir fournir d’écrit peut relever de la mission impossible et, ceci, même si des faits sont rapportés dans ce sens, comme le paiement des billets d’avion, ou la location d’une voiture pour la famille à destination.

Donc si on se heurte à un refus de fournir une acceptation écrite, il conviendra d’obtenir une décision judiciaire qui autorise le déplacement.

 

Article publié en avril 2019 écrit par Laetitia Dubois Crochemore et mis à jour en novembre 2021

 

 

Sabrine Cazorla Reverre
Sabrine Cazorla-Reverre
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