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Alternatives écologiques pour la lutte anti-moustique à Singapour

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Écrit par Leslie Colin
Publié le 12 juillet 2020, mis à jour le 20 juillet 2020

 

L’épidémie de Dengue qui sévit actuellement à Singapour entraîne une intensification de la lutte anti-moustique. Malgré qu’elles reposent encore fortement sur l’utilisation d’insecticides chimiques, les stratégies mises en place évoluent doucement vers des alternatives plus écologiques.

Il existe 80 types de moustiques différents à Singapour, répartis au sein des genres Aedes, Culex et Anophèles. Ces insectes sont vecteurs potentiels de pathogènes à l’origine de maladies infectieuses telles que la Dengue, Zika, Chikungunya, Fièvre jaune, Encéphalite japonaise, Paludisme, Filariose lymphatique et Eléphantiasis. La Dengue, transmise par Aedes aegypti et Aedes albopictus, est considérée comme endémique à Singapour. Du fait de sa plus forte capacité vectorielle, les efforts de lutte sont généralement focalisés sur le contrôle du cycle de vie de A.aegypti. Le développement du moustique s’effectue en 4 phases : œuf, larve, nymphe, adulte. Les 3 premiers stades sont aquatiques. La métamorphose complète prend 7 à 14 jours. La femelle est l’unique adulte piqueur. A Singapour, la lutte anti-moustique repose principalement sur la dispersion d’insecticides d’origine chimique ou biologique (Bacille de Thuringe ou Bti), associés à de nombreux problèmes : apparition de moustiques résistants, toxicité pour d’autres insectes non-nuisibles, accès limité à A.aegypti qui a tendance à se reposer à l’abri dans les habitations. Le développement de techniques alternatives plus efficaces et plus écologiques représente donc aujourd’hui un enjeu majeur pour la National Environnent Agency (NEA) et l’Environmental Health Institute (EHI). C’est en réponse à cette nécessité que sont dispersés à Singapour des pièges écologiques (Gravitraps), ainsi que des moustiques mâles stériles (A.aegypti-Wolbachia). Au niveau individuel, la lutte anti-moustique écologique peut aussi passer aussi par l’utilisation de répulsifs à base d’huiles essentielles. Par ailleurs, ces extraits de plantes, ainsi que les nanoparticules, constituent de nouvelles alternatives aux insecticides de synthèse.

 

fogging singapour
Opération de Fogging

 

Les traitements anti-moustiques les plus populaires à Singapour

Les traitements adulticides consistent à traiter les zones d’activité ou de repos des moustiques adultes. Le thermal fogging et le misting sont les méthodes les plus fréquemment employées à Singapour. Le thermal fogging consiste à pulvériser un mélange insecticide à base de diesel. Cette opération, qui génère une fumée blanche malodorante, permet de traiter une large surface en très peu de temps. Le diesel peut être remplacé par de l’eau et un agent de brumisation, ne laissant pas de résidus huileux sur les plantes ou les surfaces. L’eau étant plus lourde que la fumée, la surface traitée est moins large. Le thermal fogging a lieu de préférence à l’aube ou au crépuscule, au moment où les Aedes sont les plus actifs. Son efficacité est limitée au moment de l’application, les moustiques ayant tendance à revenir une fois le nuage dissipé. La seconde technique, le misting, consiste à répandre un insecticide au moyen d’un brumisateur Ultra Bas Volume (UBV ou ULV). Le but est de déposer un résidu insecticide aux endroits où les moustiques ont l’habitude de se reposer. L’appareil diffuse des gouttelettes très fines qui éliminent très rapidement les moustiques entrant en contact avec. Ce traitement inodore et sans taches, peut aussi être perpétré en intérieur. Sa durée d’efficacité est de plusieurs jours à 1 mois. Cependant, outre l’impact néfaste pour l’écosystème, ainsi que pour l’Homme (ex : atteintes respiratoires), l’application répétée d’insecticides chimiques tend à favoriser l’émergence de moustiques résistants.

 

larve moustique
Larves aquatiques de A.aegypti

 

Le Bti, un larvicide d’origine biologique

Les traitements larvicides font généralement intervenir des substances telles que les organophosphates (ex : Temephos), des régulateurs de croissance (arrêt de la métamorphose) ou des agents de contrôle microbiens. Depuis quelques années, l’utilisation du Bacille de Thuringe comme alternative écologique tend à se répandre. A Singapour, c’est la sous-espèce Bacillus thuringiensis Israelensis ou Bti qui est employée. Sa toxicité pour de nombreux insectes est liée la capacité de cette bactérie à sporuler en produisant des cristaux protéiques toxiques. Spores et toxines ingérées par les larves sont activées par les enzymes digestives des insectes, permettant l’infection rapide de tout leur organisme, menant à leur mort. Le Bti est disponible sous forme liquide ou solide (tablettes, briquettes, granulés). Le traitement sur base liquide peut être répandu au moyen du misting UBV. L’usage du Bti est recommandé pour les endroits comprenant poissons, organismes aquatiques, plantes et animaux de compagnie. Ce traitement présente néanmoins 2 inconvénients majeurs, du fait de sa toxicité pour de nombreux insectes non-cibles (ex : coléoptères, lépidoptères), et de l’apparition de résistances chez les moustiques.  

 

L’utilisation de pièges à moustiques femelles

Certains pièges attirent les insectes en émettant des molécules dégagées naturellement par l’Homme comme le dioxyde de carbone (CO2), l’acide lactique ou l’octenol. D’autres reproduisent la chaleur humaine, les rayons UV reconnus des moustiques ou les phéromones synthétiques de moustiques femelle. En effet, les femelles ont tendance à pondre là où d’autres congénères ont déjà laissé leurs œufs (et leurs phéromones). Certains dispositifs consistent à attirer les femelles gravides dans un piège contenant un mélange larvicide. Une fois la ponte effectuée dans le réceptacle, les femelles repartent couvertes de substances actives. Celles-ci bloquent la réplication du virus, affaiblissent les femelles en réduisant leur capacite à mordre, et les tuent en 7 à 14 jours. Pendant ce laps de temps, elles contaminent les autres endroits visités, éliminant ainsi les larves présentes sur les sites de reproduction. Le mélange insecticide étant toxique pour les organismes aquatiques et d’autres insectes, l’utilisation de ce type de piège est encadrée par des professionnels. Les Gravitraps mis au point par l’EHI représentent une alternative écologique à ce type de dispositif. Ceux-ci contiennent une infusion à base de foin, recouverte d’un filet à fin maillage et d’une substance collante. La femelle est attirée par la couleur du dispositif et l’odeur de foin. Une fois la ponte effectuée, elle se retrouve piégée dans le Gravitrap. Le filet permet d’éviter le lâchage de moustiques issus des œufs pondus. A ce jour, la NEA surveille et renouvelle régulièrement plus de 64000 Gravitraps au travers de la Cité-Etat.

 

gravitrap
Gravitrap (source : NEA)

 

Wolbachia, une bactérie au service de la lutte anti-moustique

Depuis 2016, Singapour a déployé un programme d’introduction in natura de A.aegypti mâles porteurs d’une bactérie du genre Wolbachia. En agissant en concurrence avec le virus de la Dengue, Wolbachia bloque sa réplication chez le moustique. Par ailleurs, en infectant les cellules des organes sexuels des moustiques, elle rend les mâles stériles. L’accouplement entre un mâle A. aegypti - Wolbachia et une femelle A. aegyti « urbaine » engendre des œufs qui n’éclosent pas. Mais la réciproque n’est pas vraie. Une femelle A. aegypti – Wolbachia donnera une progéniture viable et infectée par Wolbachia, qu’elle s’accouple avec un mâle A.aegypti – Wolbachia ou « urbain ». Il est donc préférable de relâcher uniquement des mâles A.aegypti – Wolbachia, de manière à favoriser les accouplements mixtes et l’absence de progéniture. En 2012, la NEA et l’EHI ont démontré la capacité des mâles Wolbachia à concurrencer les mâles « urbains », permettant une réduction de 50% des populations de A.aegypti sur les zones de lâchage. L’ouverture en 2019 d’une nouvelle unité de production à Techplace II, Ang Mo Kio, a permis d’augmenter la production d’A.aegypti mâles Wolbachia. Celle-ci inclut désormais une étape d’irradiation à faible dose de rayons X, servant à stériliser les femelles relâchées par inadvertance aux côtés des mâles. Les insectes irradiés ne sont pas radioactifs. Ils ne subissant pas de manipulation génétique car Wolbachia est transmise aux œufs par injection. La souche bactérienne est sans danger pour l’Homme et pour l’environnement. Enfin, les moustiques mâles étant strictement végétariens, ils sont inoffensifs pour l’Homme.

Les huiles essentielles aux propriétés répulsives

La protection individuelle reste indispensable pour prévenir la transmission de la Dengue et autres maladies vectorielles. Elle peut s’effectuer au moyen de produits de synthèse ou d’huiles essentielles naturelles. L’insectifuge le plus fréquemment utilisé est le N, N-diethyl-3-methylbenzamide (DEET). Bien que très efficace, cette substance peut engendrer irritations des muqueuses et autres toxicités. Les extraits de plantes, en particulier les huiles essentielles, offrent des alternatives saines aux insectifuges chimiques. Associer plusieurs extraits ensemble provoque des synergies augmentant l’effet insectifuge. L’ajout de 5% de vanilline (fixateur) au mélange accroît sa durée d’efficacité. Les huiles essentielles étant composées de substances volatiles, leur application doit être renouvelée fréquemment dans la journée. Les huiles essentielles peuvent potentiellement provoquer des irritations cutanée, d’intensité variable d’une espèce végétale à l’autre. Il convient de les appliquer à distance des muqueuses, en particulier les yeux. En cas d’utilisation d’une huile photosensibilisante (ex : Citron (citrus x limon)), toute exposition solaire des parties traitées doit être évitée. Pour une application cutanée, il est préférable de diluer au préalable l’huile essentielle à 5% dans une huile végétale. En cas de réaction cutanée, la protection peut s’effectuer par l’intermédiaire des vêtements, traités par sprayage d’huiles essentielles diluées dans une solution hydroalcoolique. Le port de vêtements clairs à manches longues et l’installation de moustiquaires est également recommandé.

 

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Exemples d’huiles essentielles ayant un effet répulsif envers A. aegypti

 

L’huile végétale de Margousier (Neem) (Azadirachta indica) est également utile en tant qu’insectifuge. Elle s’utilise diluée à 10% dans une autre huile végétale. Elle peut agir en synergie avec les huiles essentielles.

 

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Margousier (Neem) (Azadirachta indica)

 

D’autres alternatives aux insecticides de synthèse

Les sujets de recherche consacrés à une lutte anti-moustique écologique sont extrêmement nombreux. Du fait du caractère ubiquiste des moustiques vecteurs de maladies infectieuses, ces travaux sont désormais déployés sur tous les continents. Les extraits de plantes comme les huiles essentielles ou les nanoparticules produites à base de plantes (ex : Argent AgNp), occupent aujourd’hui une place cruciale dans le développement d’alternatives écologiques. Ces substances ont déjà démontré des effets ovicides et larvicides très prometteurs, pour des doses d’emploi très faibles. Les nanoparticules exercent également un effet stimulant sur les prédateurs de larves de moustiques, tels que poissons, amphibiens et copépodes. L’impact environnemental de ces nouveaux agents de lutte reste néanmoins à préciser. En effet, les effets indésirables des nanoparticules sur les organismes non-ciblés (ex : larves d’autres espèces), ainsi que leurs résidus dans l’environnement, posent encore de nombreuses interrogations. Enfin, un tout autre pan de la recherche s’applique actuellement à développer des moustiques A.aegypti génétiquement modifiés.

Pour connaître les recommandations de la NEA à propos de la prévention anti-moustique, cliquez ici.

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