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GREVES EN CHINE - Un phénomène qui s’étend ces dernières années

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 27 mars 2016, mis à jour le 27 mars 2016

Par Alexandre Pouilly

En 2015, les mouvements sociaux n'ont jamais été aussi nombreux en Chine : 2 354 ! Et encore récemment, les grèves et manifestations menées par des mineurs démontrent que ces revendications s'implantent durablement. Néanmoins, celles-ci n'ont pour le moment encore rien de comparable avec les pratiques contestataires bien ancrées en Occident.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2013 le nombre de grèves était de 656 et un an plus tard atteignait 1 379; le point culminant se situe l'année dernière, avec 2 354 grèves recensées. Rien que pour le mois de novembre dernier, le nombre de conflits s'élève à 301. La province du Guangdong, hébergeant toutes les principales usines des grandes multinationales, est la plus touchée par ce phénomène en étant le théâtre de deux fois plus de grèves et manifestations que dans chacune des autres provinces chinoises. Les trois secteurs qui génèrent le plus de mécontentement sont, sans surprise, ceux du bâtiment, industriel et minier. Pourtant, les racines de tous ces évènements sont très récentes : elles remontent au printemps 2010 où ont eu lieu de premiers incidents de grande ampleur dans les usines de Foxconn Technology, société taïwanaise parmi les principaux sous-traitants d'Apple pour la fabrication de l'iPhone. A l'époque, le nombre de ces agissements recensé n'était que de 185 !

Carte des grèves pendant l'année 2015 (Crédit: China Labour Bulletin)

Le tournant de Lewis : telle est la réponse afin d'expliquer la soudaine agitation parmi les classes les plus défavorisées en Chine. Du nom de l'économiste Arthur Lewis, Prix Nobel 1979, il s'agit du moment critique où la main-d'oeuvre d'une économie émergente n'est plus considérée comme illimitée, ce qui entraine des hausses de salaire. Ainsi le salaire minimum a immédiatement augmenté de 22,8% en 2010, alors que pendant la période située entre 2006 et 2010 il ne gagnait que 12,5% par an. La hausse des salaires en Chine a été impressionnante ces dernières années : le salaire d'un ouvrier non qualifié du Guangdong a ainsi été multiplié par trois en dix ans ! Geoffrey Crothall, du China Labour Bulletin, affirmait en 2011 : "On peut trouver des travailleurs moins chers en-dehors de Chine", tout en nuancant : "mais il est impossible d'en trouver autant".

Le courant contestataire lancé par les troubles de 2010 a depuis fait école. En mars 2015, des milliers d'ouvriers de fournisseurs de Nike et Reebok ont été à l'initiative d'une grève massive. Et bien souvent, comme l'attestent plusieurs images, le dispositif policier mis en place pour contenir les manifestants est important. La propagande s'empare également de ce phénomène nouveau et, récemment encore, ne se gêne pas pour placarder les portraits de 75 mineurs identifiés parmi les protestataires en les qualifiant de "traîtres".

Des motifs raisonnables

Toutefois, dans une société qui ne possède pas une culture de remise en cause de la hiérarchie, les motifs de mécontentement sont on ne peut plus raisonnables. Suite à l'annonce de futures économies concernant les surcapacités, les mineurs du nord-est de la Chine sont inquiets. L'Etat souhaite réduire sa production de charbon de cinq cents millions de tonnes et celle d'acier de cent cinquante millions d'ici à 2020, ce qui représente une perte d'1,3 million d'emplois liés au charbon et 500 000 dans l'acier. Déjà en septembre 2015, le plus gros producteur de charbon affirmait vouloir supprimer 100 000 emplois en trois mois, soit plus de 40% de ses effectifs. Même avec un fonds de quatorze milliards d'euros créé spécialement pour faire face aux restructurations, le défi pour le gouvernement est de taille.

De plus, bien souvent les "révoltés" ne demandent que?le versement des salaires ! Afin de maintenir artificiellement le taux de chômage à un niveau acceptable, certaines entreprises déficitaires maintiennent leurs effectifs en sachant qu'elles ne pourront verser les salaires. D'autre part, les grandes banques chinoises ne prêtant qu'aux entreprises d'Etat, les petites sociétés doivent recourir au "shadow banking", c'est-à-dire à des acteurs non bancaires donc instables. Enfin, de nombreuses usines se relocalisent en Asie du sud-est où les coûts du travail sont moins élevés : "Les ouvriers sont laissés sur la touche, avec des mois de salaires impayés et sans aucune indemnité", note China Labour Bulletin.

Néanmoins, ces agitations quotidiennes sont encore loin de provoquer un changement dans la politique générale menée par le gouvernement. Ainsi que l'explique Jean-Francois Di Meglio, président de l'institut de recherche Asia Centre : "C'est une des clés de la stabilité chinoise : même avec l'extension d'internet et le développement des prises de conscience, les différents mouvements ne parviennent pas à se mettre en réseau".

Alexandre Pouilly lepetitjournal.com/shanghai Lundi 28 Mars 2016

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 27 mars 2016, mis à jour le 27 mars 2016

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