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Brésil : la valse à 3 temps du coup d’État manqué

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Le président Bolsonaro recevant un hommage militaire en 2019 - Marcos Corrêa (Fotos públicas)
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 31 mars 2021, mis à jour le 1 avril 2021

Ce mercredi 31 mars est le jour anniversaire du coup d’État de 1964, quand les militaires ont déposé le président João Goulart. Cette semaine, Bolsonaro a semble-t-il voulu... marquer le coup.

C’est un président sous pression. D’un côté Lula remis à flot, avec en prime une jolie brise sondagière dans le dos. De l’autre, un allié politique (le centrão, ce “gros centre“ composite faiseur de rois) qui se met à gronder. C’est que la pandémie fait des ravages, et la posture négationniste de Bolsonaro n’est plus tenable pour des députés fédéraux qui, eux aussi, vont affronter les urnes en 2022.

Le climax de cette tension latente entre les partis centristes et Bolsonaro a été atteint le 24 mars dernier, quand le président de la chambre, Arthur Lira, pourtant élu grâce à son alliance avec le président, a haussé le ton depuis sa tribune. Avec un air menaçant, et en soignant ses effets, il a proclamé qu’il appuyait sur “le bouton jaune“ pour alerter contre les erreurs dans la gestion de la pandémie, et a évoqué la possibilité d’utiliser les “remèdes politiques“ les “plus amers“. En clair, l’impeachment.

Premier temps, l’ouverture au centre pour mieux contrôler le jeu

Le président Bolsonaro devait donc réagir et donner quelques gages au centrão. Outre son virage pro-vaccination de la semaine dernière, il a procédé ce lundi à un important remaniement ministériel, avec 6 portefeuilles redistribués. Parmi ceux-ci, le stratégique Secrétariat du Gouvernement, ministère chargé de la coordination politique, autrement dit des relations avec le Congrès (chambre et sénat). À sa tête, Bolsonaro a nommé une femme (pour atténuer aussi les critiques contre un gouvernement tout sauf paritaire), en la personne de Flavia Arruda, une jeune députée de 41 ans du Parti Libéral, l’une des forces centristes.

On peut dire aussi que l’éviction du ministre des Relations Éxtérieures a été une concession à peu de frais au centrão qui faisait pression pour le faire tomber. Ernesto Araujo a en effet brillé par sa diplomatie partisane, idéologique et binaire, qui n’est pas étrangère à l’isolement du Brésil et à sa difficulté à s’approvisionner en vaccins. Cet olaviste convaincu (de Olavo de Carvalho, théoricien de la droite ultraconservatrice, anti-globalisation et anti-marxiste brésilienne) quitte le devant de la scène en criant, avec les réseaux les plus radicaux du bolsonarisme, au complot et à l’emprise du Parti communiste chinois sur le sénat brésilien (sic).

Cependant, tandis qu’il cherche à amadouer le centre, Bolsonaro a aussi repris en mains quelques secteurs clé pour lui, en particulier la Justice, qu’il a confiée à un commissaire de la police fédérale, par ailleurs proche du « banc de la balle » (nom donné à ce groupe transpartisan de parlementaires favorables à la libéralisation du commerce des armes). Anderson Torres devient ainsi le 3ème ministre de la Justice depuis 2019 ; c’est un bolsonariste de la première heure, qui aura un œil désormais sur les différentes affaires concernant le président et sa famille.

Deuxième temps, l’attaque sur l’armée pour la faire sienne

Autre portefeuille clé sur lequel Bolsonaro a lancé une offensive cette semaine, à la faveur de ce grand remaniement : la Défense. Une déception sans doute pour le président brésilien, laudateur assumé de la dictature militaire, et ancien capitaine lui-même, qui devait imaginer qu’il bénéficierait d’un soutien politique sans faille de l’armée. Sans parler du nombre conséquent de gradés qu’il a placés à des postes-clé dans son gouvernement comme dans des entreprises publiques, comme autant de signes d’amour réclamant reconnaissance.

Mais la hiérarchie militaire a toujours pris soin de garder ses distances. Quand Bolsonaro disait « mon armée », « au service de mon gouvernement », le général Fernando Azevedo, désormais ex-ministre de la Défense, répondait « institution de l’État » au « service de la démocratie ». Quand le président tendait la main au commandant en chef de l’armée de terre, le général Edson Pujol, celui-ci lui présentait son coude, et lui assénait que le combat contre la covid-19 était “la plus grande mission de sa génération“. Enfin, ces derniers temps, quand le Planalto (le palais présidentiel) réclamait une intervention de l’armée pour briser les mesures de confinement décrétées par les gouverneurs dans certains États, les généraux faisaient la sourde oreille, et redisaient à bon entendeur que l’armée devait rester en dehors de la politique.

Cependant la démission forcée du général Azevedo a eu un impact considérable, avec celle en bloc hier - fait inédit depuis la fin de la dictature - des 3 commandants en chef des 3 armées (terre, mer, air), signifiant leur refus d’être politisés et de se prêter à toute tentation “golpista“ (coup-d’étatiste). Message on ne peut plus clair.

Troisième temps, la pandémie comme prétexte pour obtenir les pleins pouvoirs

Or voilà qu’au parlement, que Bolsonaro devait croire amadoué, est arrivée hier par une fenêtre une proposition du président du groupe du Parti Social Libéral (PSL), l’ancienne formation de Bolsonaro, qui y compte toujours quelques soutiens fidèles. Une proposition tout sauf anodine, puisqu’il s’agissait rien moins que de déclencher le mécanisme dit de “mobilisation nationale“.

Ce mécanisme, inscrit dans la Constitution, est prévu pour les situations “d’agression étrangère“. Il confère au président de la République des pouvoirs très étendus, comme la réquisition des moyens de production, la convocation de tous les fonctionnaires, de tous les militaires, et même de n’importe quel citoyen, pour mettre en œuvre les décisions du gouvernement fédéral. Et surtout, ces pleins pouvoirs peuvent s’exercer sur le territoire de n’importe quel État de l’Union - au contraire de la règle normale, qui permet à chaque gouverneur aujourd’hui de décider par exemple des mesures sanitaires particulières à appliquer chez lui.

Le mot est lâché et le prétexte trouvé pour légitimer cette proposition : il s'agissait d'étendre le champ d’application de ce mécanisme de “mobilisation nationale“ aux pandémies, pour placer dans les mains du président de la République tous les leviers du pouvoir. La ficelle - ou plutôt le cordage de bisquine - était cependant un peu grosse : l’opposition a aussitôt crié au coup d’État et la Chambre des députés a bloqué dans l’œuf cette proposition.

Opération calculée ?

Cette loi écartée, reste la question. Bolsonaro a-t-il voulu, à la veille de ce jour anniversaire,  tenter un coup d’État ou quelque chose qui y ressemble ? Ou du moins a-t-il explicitement manœuvré, de façon calculée, pour se damer une piste vers un régime plus autoritaire ?

A la lumière de cette valse à 3 temps, de cet enchaînement de ses actes pendant la semaine écoulée, on ne peut écarter cette question d’un revers. Le virage à 180 degrés sur la vaccination et l’ouverture au centre n’ont-ils pas été des coups joués pour favoriser le vote de la loi présentée hier sur la mobilisation nationale ? La mise à l’écart des généraux grincheux qui refusaient de se laisser récupérer et politiser n’a-t-elle pas accompagné ce mouvement au centre pour se garantir à l’extérieur un soutien de l’armée, une fois la loi votée ?

À bien y regarder, l’idée d’un calcul “golpista“ à plusieurs coups d’avance se tient. Mais fort heureusement, ce sont cette fois les contrepouvoirs et la démocratie qui ont tenu. Balle au centre.

 

Bolsonaro coup d'État Brésil
Quand le député Bolsonaro célébrait en 2014 le jour anniversaire du coup d'État de 1964 - reproduction

 

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