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Stéphane Jaquemet : "Vers l’augmentation des populations réfugiées "

Stéphane Jaquemet Haut Commissariat des Nations Unies Stéphane Jaquemet Haut Commissariat des Nations Unies
Écrit par Augustin Mollet
Publié le 23 octobre 2017, mis à jour le 24 octobre 2017

Le petitjournal.com de Rome a rencontré le délégué du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés dans le sud de l’Europe.

Lepetitjournal.com de Rome : Vous êtes aujourd’hui le délégué du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés dans le sud de l’Europe. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Stéphane Jaquemet : Je suis né en Suisse, où j’ai suivi des études de Droit. J’y ai par la suite travaillé tout d’abord comme avocat, puis pour le compte d’une ONG qui offrait des conseils juridiques aux demandeurs d’asile, avant d’intégrer le comité international de la Croix Rouge. Je suis au HCR depuis 25 ans, où j’ai occupé le poste de délégué dans les 5 régions du HCR, Moyen-Orient (Liban), Népal, Burkina-Faso, Colombie, et aujourd’hui l’Europe du sud avec Rome.


Qu’entendez-vous exactement par Europe du Sud ?

Nous supervisons les interventions en Italie, en Espagne, à Chypre, à Malte, au Portugal, et dans les petits Etats. Nous sommes également accrédités au Vatican, ce qui est important étant donné l’intérêt du Pape François pour la question des réfugiés.
 

Quelles sont les missions de l’UNHCR en Italie ?

Des employés du UNHCR sont physiquement présents à chaque arrivée de bateau, où nous nous assurons que toutes les demandes d’asile soient recueillies conformément au Droit international. Nous établissons des programmes pour accompagner les victimes d’abus sexuels et les mineurs non accompagnés de leurs parents ou d’un tuteur légal. Nous effectuons des visites de contrôle dans les centres pour demandeurs d’asile  dans toute l’Italie et participons à toutes les commissions territoriales d’asile.


Vous-même, êtes-vous impliqué sur des missions de terrain, ou bien plutôt tout ce qui est organisation et logistique ?

Une importante part de mon travail est consacrée à des réunions au sujet de l’immigration en Europe, un enjeu d’une importance majeure aujourd’hui et sur lequel nous essayons de communiquer le plus possible par des conférences, des tables rondes... Il est en effet nécessaire de s’impliquer et de ne pas laisser le débat politique aux partis d’extrême droite. Nous avons un travail de représentation auprès des autorités. Je supervise également l’ensemble de notre travail sur le terrain. Evidemment, lorsqu’on occupe une fonction de supervision, on n’est pas toujours impliqué directement autant qu’on ne le souhaiterait, mais j’ai quand même l’occasion d’être en contact avec les réfugiés, de parler directement avec les collègues du terrain et de constater différentes situations par moi-même.

UNHCR
Photo extraite du site www.unhcr.it

 

Quelles sont les grandes urgences actuelles en matière de réfugiés et de migrations ?

Il faut avoir en tête la perspective européenne qui tend à ne se focaliser que sur les crises migratoires qui la concernent directement et à ne pas forcément voir les autres… Très récemment, le Bangladesh a accueilli quelques 500 000 réfugiés rohingyas. Un autre exemple, 1 million de sud soudanais ont été accueillis en Ouganda. En comparaison, en 2015, année de la « crise majeure » en Europe, sont arrivées un petit peu plus d’un million de personnes, réparties dans toute l’Europe. Un autre chiffre intéressant : 86% des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays en voie de développement. Je pourrais aussi vous parler du Liban, qui accueille 1,2 million de réfugiés pour 4 millions de Libanais. Au pro rata, c’est comme si la France en accueillait 19,5 millions. Sans sous-estimer la gravité de la crise migratoire en Europe, il est quand même nécessaire de prendre de la hauteur sur les réalités des situations.


Quelle est la situation en Libye à ce jour ?

Nous avons effectivement des effectifs en Libye, mais nous souhaitons y renforcer notre présence. Il  n’y a pas aujourd’hui de staff international permanent, nous attendons l’autorisation du Secrétaire Général de l’ONU. Sans présence internationale permanente, il nous est difficile d’agir au mieux.

La situation est extrêmement préoccupante. Les migrants qui cherchent à atteindre la Libye viennent principalement des pays d’Afrique de l’Ouest, après avoir transité par le Niger. Lorsque ceux-ci arrivent, ils tombent dans les mains des milices ou des trafiquants. Nous ne sommes autorisés qu’à visiter les centres officiels de détention, pas les centres des milices. Quand les réfugiés sont interceptés par les garde-côtes libyens, ils sont envoyés dans les centres officiels, mais les conditions y sont très, très difficiles. Nous avons constaté des administrations de mauvais traitements, mais les choses pourraient être bien pires si nous et l’Organisation Internationale pour les Migrations n’étions pas présents. Il est souvent possible d’obtenir la libération rapide d’un réfugié si nous intercédons en sa faveur, ce que nous faisons systématiquement. 

Nous sommes aussi en train de négocier l’ouverture d’un centre d’accueil pour personnes vulnérables, c’est-à-dire les mineurs, femmes, personnes âgées, victimes de violences sexuelles, malades…


Quel est le poids des guerres vs les désastres naturels dans l’augmentation des populations réfugiées ? Quelles seront les urgences de demain ?

Le HCR n’a pas de mandat qui lui permette d’aider les victimes de catastrophes naturelles, sauf si celles-ci sont également victimes de violation de leurs droits fondamentaux. Il existe des cas où crises politique et climatique sont liées, en Somalie par exemple.

Il faut savoir qu’il y a en tout cas deux fois plus de victimes de catastrophes naturelles que de conflits, et que ces premières traversent rarement les frontières internationales. Aujourd’hui, les victimes de violation des Droits Humains augmentent, mais le nombre de victimes de catastrophes naturelles aussi, ce qui est très préoccupant.

UNHCR
Photo extraite du site www.unhcr.it

 

L’UNHCR a organisé une exposition ici à Rome, Ti racconto la mia storia, qui a lieu en ce moment au Musée des Murs, et dont le but est de montrer le quotidien des enfants réfugiés en Amérique latine. Pouvez-vous nous parler de cette initiative ?

Il s’agit d’une initiative conjointe avec ECHO, le programme d’urgence humanitaire de l’Union Européenne.

Nous avons le sentiment que l’Amérique Latine est quelque peu oubliée, les gens n’ont plus l’impression qu’il s’agit toujours d’un continent où les réfugiés et déplacés internes sont nombreux. La violence est encore très présente dans certains Etats et notamment en Amérique Centrale, qui compte quelques-uns des pays les plus dangereux au monde. Des gangs armés installent un climat de corruption et de contrôle des territoires afin de recruter de nouveaux membres parmi la population civile, surtout les jeunes. Or, le gouvernement n’est pas capable d’offrir une protection aux citoyens menacés par ces bandes organisées. Porter plainte est souvent synonyme d’arrêt de mort : la justice ne règle pas ce genre de problèmes, elle est totalement impuissante, et les criminels en profitent pour finir de régler leurs comptes personnellement…

Rome étant au centre des questions concernant les réfugiés, nous avons voulu montrer un autre aspect de la situation des réfugiés. Nous aimerions voir par la suite cette exposition représentée dans d’autres villes, il faut vraiment que les gens sachent ce qu’il se passe dans certaines parties du monde.


Pour finir, comment qualifieriez-vous la perception qu’ont les Italiens des réfugiés ?

Le gouvernement est positif et réceptif aux enjeux de la situation, il est ouvert au dialogue et à la recherche de solutions adaptées et efficaces. Il y a urgence de mettre en place le plan d’intégration qui a été adopté récemment pour aider les réfugiés à apprendre la langue, à trouver un travail, afin que ceux-ci soient autonomes le plus rapidement possible. Ils sont généralement bien acceptés par la société civile, mais celle-ci est tout de même divisée, les rhétoriques xénophobes et d’extrême droite mettant à mal leur intégration. La période électorale à venir rend les choses plus difficiles pour le gouvernement, pour l’unité et pour une logique d’intégration constructive… 

 

Propos recueillis par Augustin Mollet et Anne Debaillon-Vesque

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