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CYRILLE MUNOZ ET JEAN-MARIE RIGAUD - "Accélérer le transfert de technologie innovante entre les universités brésiliennes et les entreprises françaises"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 29 janvier 2017, mis à jour le 8 février 2018

Accroître les échanges entre l’industrie et le monde universitaire, permettre l’utilisation de brevets développés dans des facultés par des entreprises : ces ambitieux objectifs constituent la mission du partenariat "LePont" entre l’ambassade de France au Brésil et le Serviço nacional de aprendizagem industrial (Senai). Cyrille Munoz, expert technique international en innovation au Brésil, et Jean-Marie Rigaud, directeur de la Toulouse Transfer Tech pour l’Université de Toulouse-Midi-Pyrénées, reviennent plus en détail auprès du Petitjournal.com sur les enjeux du transfert de technologie entre le Brésil et la France.

Lepetitjournal.com : Au Brésil, quelle est votre mission ?
Cyrille Munoz :
Il y a deux ans, les postes d’expert technique international à l’innovation technologique ont été créés pour représenter la diplomatie économique française dans le monde. Chacun d’entre eux est positionné dans une structure locale. Je suis au Senai, à São Paulo. Depuis six-sept ans, la politique brésilienne est de développer l’innovation, pour le développement technologique des entreprises. Il y a un besoin de connaître les bonnes pratiques, de s’améliorer en constance. Je dois donc les conseiller sur un certain nombre de projets. Ma feuille de route est très large, il faut que je fasse de la coopération économique dans tout le pays, pour développer l’innovation technologique entre la France et le Brésil. J’ai pris le modèle que je connais le mieux, le transfert de technologie. En regardant dans les universités, je me suis rendu compte qu’il existe des structures comme en France, qui valorisent la recherche. Il s’agit des Nucleos de inovaçao tecnologica, qui vont chercher de l’argent, gèrent de la propriété intellectuelle, déposent des brevets et essaient de les vendre auprès des entreprises. Sauf qu’ils sont dans la même situation que la France il y a 10 ans : ils n’ont pas les moyens de transformer l’essai en réussite. Lorsqu’on a un brevet, il s’agit d’un problème résolu "sur papier", publié, avec éventuellement un brevet. Mais les chercheurs vont rarement jusqu’à la création d’un prototype, ou de façon très amateur.

Quelle politique le Brésil mène en termes de d’innovation technologique ?
Dans la recherche comme dans beaucoup d’autres domaines, les Brésiliens se sont inspirés du modèle français, voire même plus. Pour l’innovation, ils ont copié la loi d’innovation 1999, qui a créé les incubateurs, des articles pour les start-up, etc. en 2009. Ils ont donc le même cadre légal et les mêmes structures que la France en termes d’innovation. L’USP a 1.100 brevets, a créé quelques start-up, mais ils ne savent pas trop quoi en faire. Lorsqu’on a un brevet, le problème est d’imaginer son devenir, notamment toutes les contraintes de production. Il est facile de bricoler un prototype, mais lorsqu’il faut en créer 10.000, les vendre et les mettre sur le marché, ce sont d’autres questions qui se posent. Les universités n’ont pas les moyens techniques d’imaginer ça et ce n’est pas leur mission. Souvent, les industriels demandent : "Avez-vous prouvé l’efficacité du brevet ?" Et là, ce n’est pas le chercheur qui peut y répondre. L’entreprise dit : "Je suis là pour acheter la technologie si elle fonctionne". Il y a un pas énorme entre un premier résultat (par exemple une petite barre de métal compressé) et une industrialisation. Et cela coûte beaucoup de temps et d’argent, et ce n’est pas l’entreprise qui va le faire, ni le chercheur.

C’est là qu’intervient votre programme "LePont" ?
Exactement, il faut combler cette "Vallée de la Mort", comme elle est surnommée dans le monde. Il s’agit d’une période durant laquelle toutes les innovations issues de la recherche échouent, car elles n’ont pas réussi à convaincre une entreprise d’investir dedans. En France, il y a eu un choix de dire : "L’Etat va investir de l’argent dans des structures comme les Satt (Société d’accélération de transfert de technologie), qui travaillent pour prouver que les concepts sont viables". Ici, au Brésil, cela n’existe pas et le gouvernement n’a pas conscience de cela. Mais il existe le Senai, qui a des machines, des savoir-faire en termes d’expertise industrielle - ce qui manque aux universités. L’idée du programme Le Pont est donc la suivante :

- en premier, regarder les besoins des entreprises françaises, qui formalisent des besoins technologiques de façon très ouverte (par exemple Peugeot)

- en deuxième, regarder dans les universités les technologies développées ou presque finalisées.

- en troisième, une fois le brevet répondant à un besoin trouvé, on regarde avec le Senai comment on peut passer du concept à un état suffisamment intéressant pour transférer à l’entreprise.

L’objectif est donc d’accélérer le transfert de technologie innovante entre les universités brésiliennes et les entreprises françaises. Mais aussi de travailler dans l’autre sens avec les Satt françaises et répondre à des besoins d’entreprises brésiliennes. L’idée est de réduire le temps et le coût d’accès à une innovation technologique pour une entreprise.

Est-ce déjà en place ?
Nous avons déjà passé les étapes de convaincre les différents acteurs et avons signé des accords avec l’USP, l’Unesp, l’Unicamp et l’UFSCA. Nous sommes déjà en train de travailler sur cette première demande de PSA. L’idée est de montrer ce qui se fait en France et ensuite de voir avec les acteurs comment s’organiser. 

Sous quelles conditions financières un transfert technologique peut se faire ?
Une Satt a trois métiers. Le premier est du marketing technologique, il analyse et imagine des marchés d’application. Le deuxième est de s’assurer de la protection des brevet ou inventions. Le troisième, c’est de faire une démonstration de fonctionnement par des prototypes - qui peut permettre à une entreprise d’investir. Ce métier est nouveau, mais il est coûteux car il demande plus d’investissements. Le modèle économique associé est de prendre quelques pourcentages des revenus de la start-up. Le transfert de technologie est un modèle prouvé mondialement, qui  est basé sur les revenus issus de l’exploitation de la technologie.

Jean-Marie Rigaud, quel est l’objectif de votre visite à São Paulo ?
Jean-Marie Rigaud :
L’enjeu est de rendre compte du modèle français des Satt et ce que cela permet. L’Etat a garanti 70 millions d’euros sur 10 ans, une vingtaine de millions d’euros a été investi. Nous avons analysé 700 déclarations d’invention et avons investi dans un peu moins de 200, et signé un peu moins de 70 licences avec des entreprises. Le point le plus important est de mettre en place des acteurs adéquats : les chercheurs, les personnes imaginant le marché, les créateurs de prototype comme le WeFab à São Paulo et puis l’entreprise. Je viens donc témoigner de cela, avec les entreprises qui ont besoin à un moment donné de faire du prototypage rapide, efficace, simple et agile. A Toulouse, nous avons choisi de créer la Toulouse Tech Transfer, une société associée à l’université, orientée vers les applications de la recherche. Cyrille, avec le Senai, cherche à associer les chercheurs et les entreprises. Au Brésil, il n’y a pour le moment aucun acteur qui est sur ce créneau de la preuve de concept.

Selon vous, quels seront les facteurs de succès du programme LePont ?
Pour que cela marche bien, il faut que chacun y trouve son compte : l’université, des technologies ou brevets intéressants, le Senai, de s’afficher comme une plate-forme d’innovation répondant aux besoins de l’entreprise, l’entreprise, y trouver de l’efficacité et un bon rapport qualité/prix.

Quels sont les secteurs industriels les plus porteurs au Brésil ?
Les grands groupes français sont les plus représentatifs avec par exemple Sanofi, Bull en informatique ou bien sûr le secteur agri/agroalimentaire. L’idée est aussi de voir les besoins en France en termes de technologie innovante, acquérir des technologies brésiliennes ou même développer une entreprise locale pour une éventuelle implantation.

Quelles sont les difficultés rencontrées pour le transfert technologique au Brésil ?
Il y a des contraintes administratives, des étapes intermédiaires à passer. Par exemple, faire valider par l’INPI le transfert, des limitations sur certains types de brevets qui ne peuvent être licenciés à d’autres entreprises. Il faut aussi que les universités ou régions intéressées cataloguent les besoins de leurs entreprises, pour aiguiller la recherche. Il faudra coordonner tous les acteurs, les bonnes énergies et personnes pour qu’ils travaillent ensemble.

Propos recueillis par Lionel RIVIERE (www.lepetitjournal.com - Brésil) lundi 30 janvier 2017

*Légende photo : Jean-Marie Rigaud (à gauche) et Cyrille Munoz (à droite)

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Publié le 29 janvier 2017, mis à jour le 8 février 2018

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