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NOE VITOUX - "Les Indiens perdent très vite leur culture sans s'en rendre compte"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 29 janvier 2014, mis à jour le 30 janvier 2014

A 29 ans, ce jeune réalisateur français vivant à Rio a un parcours atypique. Il a surtout construit, dès le plus jeune âge, un lien très fort avec le Brésil et ses Indiens. Après un premier documentaire réalisé à 18 ans, Noé Vitoux compte plusieurs essais filmés à son actif, tous autoproduits. Dernier court-métrage en date : "L'Homme qui a tué Dieu", sorti en 2013 et acclamé dans les festivals brésiliens. Lepetitjournal.com a rencontré ce jeune cinéaste accompli.

Lepetitjournal.com : Pouvez-vous nous raconter votre histoire avec le Brésil ?
Noé Vitoux : Ma découverte du Brésil s'est peut-être faite différemment que pour la plupart des Français. Je suis allé voir mon parrain qui travaillait depuis 30 ans ici et 7 ans dans un village indigène. J'avais 11 ans, je me suis alors lié d'amitié avec un Indien plus âgé que moi. Je suis revenu 7 ans plus tard et avec lui j'ai tourné le documentaire Sagarana.

Comment est né le projet de L'Homme qui a tué Dieu ?
Après un premier échec de faire un long-métrage en 2008, j'ai essayé de relancer un projet de film en 2009-2010. On a fait le tour de toutes les tribus du Rondônia et on a sélectionné trois acteurs. On était très limité par les financements, on a donc à nouveau dû abandonner le projet. Cet échec était très dur, aussi bien pour nous que pour les Indiens, on parlait de leur culture et de leur histoire, ce n'était pas un film sur eux, ils faisaient partie intégrante du film : ils en étaient les acteurs et les techniciens. Leur annoncer la fin du tournage les a rendus très triste, ce film représentait beaucoup d'espoir et de fierté pour la plupart d'entre eux, leur déception a été immense. Un an après, je suis revenu dans le but d'aller au bout d'un projet avec eux. On a d'abord essayé un projet théâtral pour voir comment les jeunes Indiens jouaient et pour tenter de les sortir de la chicha (un alcool à base de manioc).

Parlez-nous un peu plus du scénario ?
Avant la réalisation, j'ai sondé beaucoup d'Indiens sur les idées qu'ils avaient pour faire un film. Beaucoup d'entre eux

imaginaient un film où les Indiens se vengeraient de l'homme blanc. Je m'éloigne un peu de cette idée avec le chasseur qui chasse pour manger, j'ai apporté le côté sarcastique. Les Indiens ne connaissent pas l'humour noir, mais les témoignages et les idées que j'ai entendus m'ont fortement influencé. Les Waris étaient encore il y a peu une population cannibale. Ils ont toujours dans la région cette réputation, utilisée pour les dénigrer. Les derniers actes de cannibalisme datent du début des années 1960, avant la rencontre avec l'homme blanc. Ici, les Indiens sont beaucoup plus dépréciés qu'en France, ils sont vus et stigmatisés comme des voleurs, des fainéants, un peu à l'image des gitans en France. Cette vision est très différente de l'Indien vu par les Français avec son côté mythique et exotique.

Comment s'est passé le tournage ?
Au début, très peu de jeunes venaient participer à nos ateliers, je craignais un nouvel échec. On a fini par avoir une
quinzaine de jeunes avec nous, l'acteur principal était déjà là avec nous avant pour le projet de long-métrage. C'était compliqué, certains arrivaient ivres au tournage, d'autres venaient un jour sur deux ou disparaissaient pendant plusieurs jours avant de réapparaître. On a finalement réussi à tourner pendant un mois et demi, ce qui est très long pour un court-métrage, mais qui s'explique par les conditions difficiles.

>> Voir le court-métrage L'Homme qui a tué Dieu ci-dessous 

Qu'est-ce qu'être Indien aujourd'hui au Brésil ?
C'est une  question que je me pose souvent. Il n'y a pas de réponse figée. Est-ce que quelqu'un de descendance indienne qui travaille et a une maison peut encore être considéré comme Indien ? La réponse est complexe et c'est le thème de mon documentaire Sagarana. Pour moi, la question est quel avenir pour un jeune Indien ? Est-ce aller en ville, acheter une télévision et des Nike ou alors rester dans son village vivre comme ses ancêtres ? Quand j'ai réalisé le documentaire j'étais plutôt pessimiste au début, la fin est optimiste, mais la réalité est bien différente. Le jeune protagoniste a perdu tout lien avec le village, notre relation d'amitié était différente. Maintenant, quand je parle avec lui, il a des préoccupations de blanc : acheter un terrain, payer le loyer à la fin du mois. C'est un peu difficile à dire, mais il est devenu un blanc comme les autres alors qu'il était un Indien pas comme les autres. Les Indiens aujourd'hui à 90% s'habillent à l'occidental, ils regardent les novelas et sont catholiques ou évangéliques. A chaque fois que j'y retourne ils ont un peu plus perdu de leur culture. Quand je suis arrivé en 1995, la première télévision venait juste d'arriver au village, ils avaient mis un toit et des sièges pour s'asseoir, ils décidaient ensemble le programme à regarder, c'était un peu comme un cinéma, un lieu de rencontre. Maintenant chaque maison à sa télévision, au lieu de rassembler, cela divise les gens et les renferment chez eux.

Existe-il encore un avenir pour les Indiens ?
Pour moi, il s'agit d'un ethnocide qui est encore en cours, c'est le massacre d'une culture par la culture dominante, ils perdent très vite leur culture sans s'en rendre compte. Les réserves sont des lieux avec énormément de problème notamment l'alcool. Il y aura encore des Indiens pendant très longtemps, mais sous une forme bien différente que celle que j'ai connue quand je suis arrivé en 1995. D'un autre côté, beaucoup d'Indiens s'organisent pour conserver leur culture, cela donne de l'espoir. Un des problèmes de la culture indienne, c'est qu'il s'agit d'une culture orale, il est donc très difficile de la préserver. Quand un ancien meurt, c'est une bibliothèque qui disparaît. Maintenant on essaye de plus en plus d'écrire et de préserver la langue, c'est positif, cela va permettre d'avoir des traces de cette culture quand il n'y aura plus personne pour la raconter.

Quels sont vos projets actuels ?
Je travaille actuellement sur deux projets ici à Rio : un sur les Blacks Blocks et un autre sur un super héros des favelas. Sur les Blacks Blocks, l'idée c'est de faire un petit court-métrage de deux minutes et de résumer très brièvement leurs idées. Je ne partage pas toutes leurs idées, mais j'ai envie de les laisser s'exprimer pour mieux les comprendre et essayer d'aller plus loin que cette image de vandales ignorants et incultes véhiculée par les médias brésiliens. Le super héros des favelas, c'est une fiction où le personnage principal, un jeune des favelas, se rend compte qu'il a beaucoup de chance : quoiqu'il arrive il survit, il ne meurt jamais, alors qu'autour de lui tout le monde meurt. Il devient ainsi une sorte de Robin des Bois qui s'attaque aux très riches et aux politiciens corrompus. Je prévois de faire un court-métrage de cinq minutes, mais j'aimerais pouvoir en faire un long-métrage.

Propos recueillis par Damien LARDERET (www.lepetitjournal.com - Brésil) jeudi 30 janvier 2014

- Voir le site de Noé Vitoux

- Voir le court-métrage L'Homme qui a tué Dieu

lepetitjournal.com Rio
Publié le 29 janvier 2014, mis à jour le 30 janvier 2014

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