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CARLOS MARIO ALVAREZ - "Comme la psychanalyse, le cinéma peut montrer que rien n’est évident et que tout peut être réinventé"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 6 décembre 2016, mis à jour le 7 décembre 2016

Vous avez sans doute déjà vu une fois dans votre vie Autant en emporte le vent. Mais l'avez-vous déjà vu sous l'?il de la psychanalyse ? C'est ce que propose samedi matin à Rio le psychanalyste Carlos Mario Alvarez, en compagnie de son confrère Aluisio Menezes, qui commenteront des scènes du film. Le premier, créateur de l'événement, s'est confié au Petitjournal.com.

Lepetitjournal.com : Comment avez-vous eu l'idée d'organiser un tel événement mélangeant cinéma et psychanalyse ?
Carlos Mario Alvarez :
Psychanalyse et cinéma sont deux domaines qui ont à voir l'un avec l'autre. Ce sont des formes de voir, penser et dire l'être humain qui sont contemporaines et arrivées à peu près en même temps. Bien sûr, le cinéma est bien plus fort et diffusé que ne l'est la psychanalyse. Avec "Psychanalyse et cinéma", nous allons discuter et placer la culture au premier plan parce qu'ils sont liés et n'ont jamais été montrés ensemble ici à Rio où les cinémas sont dans les centres commerciaux et la psychanalyse dans les cabinets. Nous allons ainsi proposer quelque chose de différent avec un film vu du point de vue de la psychanalyse.

Comment s'est fait le choix du film ?
Autant en emporte le vent vient de la littérature, d'un grand best-seller de l'époque. Toute ?uvre classique le devient parce qu'elle parle fortement au public à travers sa description de la condition humaine et notre façon de l'organiser, et celle-ci est remplie de trahisons, de doutes et de tragédies. Elle bouleverse l'imaginaire collectif et dans le cas de ce film, tout le monde a été touché dans le contexte dans lequel il est sorti. Alors que l'Europe entrait dans la Seconde Guerre Mondiale, Hollywood produisait des centaines de films et Autant en emporte le vent sera le plus grand de l'époque. Il évoque la liberté en pleine Guerre de Sécession. L'histoire et le personnage de Scarlett O'Hara sont ceux d'une femme qui a été élevée pour se conformer aux règles de l'aristocratie sudiste, mais elle est spontanée et exprime fortement ses désirs, ce qui intéresse beaucoup les psychanalystes. Et chez elle, le désir est au premier plan, elle ne reste jamais là où elle devrait être, elle va toujours au-delà. Avec le personnage de Rhett Butler, ils sont deux archétypes qui affirment leurs volontés en s'affranchissant des conventions, ils ne sont pas politiquement corrects, ils sont immoraux. Et le film révèle aussi les contradictions de Scarlett O'Hara face à ses désirs, ce qui plaît beaucoup aux spectateurs car nous sommes tous de meilleurs négociateurs face à l'argent par exemple que face à nos désirs ? nous faisons des choses que nous ne voulons pas ou l'on se soumet aux désirs des autres. Scarlett O'Hara représente enfin les femmes de l'époque qui affirmaient peu à peu leurs droits aux Etats-Unis même si elle était aussi bien féminine que masculine, tout comme Rhett Butler aussi d'ailleurs.

Vous avez également lu le livre, est-il bien retranscrit dans le film ?
Oui, le film est très fidèle. Les deux ?uvres ont mis plusieurs années à être réalisées et ont toutes deux été de grands succès, des Etats-Unis au Brésil.

Il s'agit de votre film favori ?
Non, mais c'est un film que je trouvais intéressant de sauvegarder et montrer parce qu'il est plutôt oublié de nos jours.

Alors quels sont les meilleurs films pour un psychanalyste ?
Tout film qui est capable de proposer une lecture de la réalité, de faire réfléchir le spectateur sur lui-même ou certains aspects de la vie, est un bon film. Il doit aussi nous faire entrer dans un autre monde, nous hypnotiser, nous tirer de notre conscience, provoquer en nous des sensations que nous n'avons pas habituellement. Nous n'allons pas au cinéma pour voir des films sur notre quotidien. Un bon film doit aussi nous impliquer, voire résoudre quelque chose en nous ou nous faire changer d'opinion sur un sujet après l'avoir vu. Comme la psychanalyse, le cinéma peut montrer que rien n'est évident et que tout peut être réinventé.

Des exemples ?
Pour ma part, j'aime les fictions scientifiques qui provoquent une transposition ainsi, qui sort de l'ordinaire. Un cinéaste que je trouve fantastique, dont j'ai vu tous les films et qui n'est pas tant sur le devant de la scène, c'est le Canadien David Cronenberg. C'est le genre de réalisateur qui est capable d'anticiper certains aspects de l'humanité. Il y a des très bonnes choses aussi chez Pedro Almodovar, Woody Allen, David Lynch, Steve McQueen (Shame) et même les Monty Python !

Et les films traitant de la psychanalyse vous plaisent-ils ?
Le problème est que la plupart en parle de manière stupide. Elles veulent vulgariser la psychanalyse et donc la ridiculisent. Bien sûr qu'elle peut être ridiculisée, comme tout, mais ces films ne traduisent pas bien ce qu'il se passe en réalité. Parmi les très bon films, il y a Freud, passions secrètes, avec Montgomery Clift, mais il n'intéressera que les personnes étudiant la psychanalyse. Woody Allen aussi, qui est toujours en analyse, en parle bien, c'est même elle qui l'a rendu riche et célèbre !

Comment va se dérouler l'événement en lui-même ?
Nous n'allons pas pouvoir projeter le film dans son ensemble donc l'idée est de montrer quelques courtes scènes, de une à

cinq minutes, et, avec mon confrère Aluisio Menezes, nous allons les commenter durant quelques minutes chacun. Le public pourra également intervenir, ce sera dynamique, ce ne sera ainsi ni la projection d'un film ni une conférence. Par l'intermédiaire de cet événement, nous voulons aussi montrer aux spectateurs qu'ils sont les acteurs de leur propre film, Shakespeare le disait déjà, le monde entier est un théâtre dont nous sommes ni plus ni moins que les comédiens. C'est le rôle de la psychanalyse d'indiquer cela au patient.

Est-ce que vous pensez déjà à d'autres films à montrer et commenter de cette manière ?
Selon le succès de ce premier événement, nous pensons en effet à en réaliser d'autres l'année prochaine, peut-être encore plus importants.    

Parlez-nous de votre expérience en tant que professeur invité à l'université Panthéon-Assas, à Paris?
J'ai été professeur dans plusieurs universités de Rio et j'ai noué une relation, via un autre professeur brésilien qui avait enseigné à Paris, avec le Ciffop (Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel). Ce dernier travaille notamment sur les liens entre la technologie et les personnes. J'y ai donné une conférence et ai connu sa directrice, Muriel de Fabrègues, qui a apprécié mon travail et m'a invité à revenir plusieurs fois ces six dernières années. Nous avons également mené un projet de recherche ensemble sur les technologies digitales et leur influence sur la vie des personnes. Par exemple, comment l'avènement de Whatsapp a bouleversé la vie des gens. Les téléphones portables en général sont devenus une sorte de prothèse de notre corps et en particulier de notre cerveau, ce sont comme des disques durs externes pour notre mémoire. Surpassant les médias traditionnels que sont la radio et la télévision, nous devenons nous-mêmes des médias : le cerveau humain est connecté au cerveau technologique et nous ne faisons plus qu'un.    

La psychanalyse est-elle aussi développée au Brésil qu'en France ?
Oui, la psychanalyse est très répandue au Brésil, parce que c'est un grand pays avec une population importante et très ouverte, plus qu'en France par exemple où c'est comme un tabou et les gens sont timides ou honteux. Ici, il n'y a pas de préjugés sur la psychanalyse, j'ai par exemple été l'un des premiers à faire des vidéos sur le sujet. Je la rends plus accessible et je touche beaucoup plus de personnes qu'avec des articles.

Y a-t-il des auteurs brésiliens importants en la matière ?
Si le Brésil commence à être autonome dans sa psychanalyse, il n'a pas encore de grands auteurs. C'est encore un pays très faible en ce qui concerne la production théorique, et cela a toujours été ainsi. Les Etats-Unis et l'Europe ont la suprématie dans le domaine. Pourtant, la psychanalyse provoque plus d'intérêt dans des pays comme le Brésil et l'Argentine qu'aux Etats-Unis, où elle n'a jamais été très bien acceptée parce que c'est une science de la contradiction, du paradoxe, et l'Américain est très pragmatique. C'est pour cela que nous sommes plus liés avec les auteurs français, qui ont une importante tradition philosophique comme Jacques Lacan, et européens. 

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) mercredi 7 décembre 2016

Infos pratiques

"O que é que O Vento levou ?"

samedi de 10h à 13h

Auditorio - Avenida Ataulfo de Paiva, 1251 - Leblon

Tarif : R$ 70

Contact : psicanalisedescolada@gmail.com 

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Publié le 6 décembre 2016, mis à jour le 7 décembre 2016

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