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Quand Singapour fait son cinéma – Des débuts jusqu’à la seconde guerre mondiale

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Le cinéma Alhambra en 1930 (copyright National Library)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 18 septembre 2022, mis à jour le 29 septembre 2022

Quand on pense cinéma, Singapour n’est pas forcément le premier pays qui vient à l’idée. Et pourtant, il y a beaucoup de choses à dire sur le cinéma et Singapour, des premières projections à la fin du 19ème siècle, à la nouvelle vague singapourienne récompensée dans les festivals internationaux ces dernières décennies, en passant par l’âge d’or du cinéma singapourien, qui a produit des centaines de films largement diffusés en Asie dans les années 50-60. Cet article est le premier d’une série de trois.

 

Des Français ont contribué aux débuts du cinéma à Singapour

Bien que Singapour soit une colonie anglaise, les Français y ont joué un rôle important dans certains domaines, dont le cinéma. Ceci n’est pas trop surprenant, dans la mesure où la France est la patrie du cinématographe.

De premières projections ont commencé avant la fin du 19ème siècle dans des salles polyvalentes ou sous des tentes. Mais c’est un Français, Paul Picard, qui a ouvert la première salle dédiée au cinéma, the Paris Cinematograph, en 1904 sur Victoria street. D’autres salles ont rapidement suivi, comme l’Alhambra (1907), ouvert par le Français François Dreyfuss, et le Marlborough (1909) sur Beach Road, et le Palladium (1914) sur Orchard Road.

Les premiers films connus tournés à Singapour l’ont été par Gaston Méliès, le frère moins connu de Georges Méliès, en 1913, au cours d’une tournée en Asie et en Océanie. Il est à noter que des acteurs locaux ont joué dans ces films.

 

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Affiches des films de Gaston Méliès sur Singapour (copyright Singapore Film locations archive)

 

Les films, encore des courts métrages, alors projetés étaient très variés, depuis la procession du jubilé de la reine Victoria, jusqu’à des documentaires sur la région. Dans les premières années, les films américains ou européens étaient apportés par des commerçants itinérants. Mais, en 1907, Singapour est devenu un centre de distribution régional sous la houlette de la compagnie française Pathé Frères.

 

Singapour, ou l’orientalisme dans le cinéma du 20ème siècle

Pour beaucoup d’occidentaux, le nom de Singapour revêtait des couleurs exotiques. C’est pourquoi plusieurs films, faisant allusion à Singapour ont été tournés par des réalisateurs occidentaux avant ou après la seconde guerre mondiale.

Avant la guerre, la plupart d’entre eux n’avaient pas grand-chose à voir avec cet endroit : Ils n’y étaient pas tournés, les personnages soi-disant asiatiques étaient la plupart du temps joués par des « blancs » plus ou moins bien maquillés, et les sujets s’inspiraient plus de la vision de l’orient dans l’inconscient collectif occidental que de la réalité locale.

Citons les films « Across to Singapore » (1928), « Sal of Singapore » (1928), « The Crimson City », aussi connu sous le titre de « La Schiava di Singapore » (1928), « The Road to Singapore » (1931), « Out of Singapore » (1932), « Malay nights », aussi connu sous le titre de « Shadows of Singapore » (1932).

 

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Le décollage du cinéma singapourien avant la seconde guerre mondiale

Si le cinéma singapourien a connu son apogée dans les années 50 et 60, cet âge d’or trouve ses sources avant la seconde guerre mondiale.

Tout d’abord, après la première guerre mondiale, la distribution de films se développa à Singapour compte tenu de l’attrait pour ce nouveau loisir. Après des distributeurs occidentaux, des entrepreneurs chinois arrivèrent. Parmi eux, les frères Shaw, originaires d’une famille de Shanghai produisant des films, qui allaient 20 ans plus tard être déterminants dans l’épanouissement du cinéma singapourien. Devant la difficulté de diffuser leurs films dans les cinémas existants, souvent liés à des distributeurs, ils se lancèrent dans la projection en ouvrant un premier cinéma à Tanjong Pagar en 1927. Cette initiative leur réussit, car à la fin des années 30, ils avaient ouvert 139 cinémas en Malaisie, en Thaïlande, en Indochine et à Singapour.

En parallèle, le nombre de cinémas à Singapour et leur fréquentation ne cessaient d’augmenter. En 1932, il y avait déjà 9 cinémas (dont le Capitol avec 1700 places), sans compter les lieux de projection temporaires. Le nombre de places annuelles est alors estimé à 910.000, soit un peu plus d’une visite par an et par habitant en moyenne.

En 1935, une autre famille, les Lokes, originaires de Singapour, va se lancer dans l’industrie cinématographique, avant de devenir elle aussi un acteur majeur du cinéma singapourien après la seconde guerre mondiale avec leur compagnie Cathay Organisation. Elle va construire sur Orchard Road juste avant la seconde guerre mondiale le Cathay, qui restera le plus haut building de Singapour pendant 15 ans, avec 16 étages, incluant non seulement un cinéma de 1320 places, mais aussi un restaurant, un hôtel, et 80 appartements. De cette époque, seule la façade art déco a survécu grâce à un classement comme monument préservé.

 

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La version originale du Cathay building (copyright The Cathay)

 

Compte tenu du succès du cinéma à Singapour, certains se lancèrent dans la réalisation locale de films. Le premier semble être un film chinois de 1926, « Xin Ke » (« L’immigrant »), qui n’a pas laissé beaucoup de traces, mais qui a la particularité d’être une exception dans un paysage cinématographique local qui sera exclusivement malais pendant plusieurs décennies. En 1932, deux films réalisés par des occidentaux furent entièrement tournés à Singapour avec des acteurs locaux dont certains allaient jouer ultérieurement dans de nombreux films locaux : « White Pearl » et « Semarang ». En 1933, un réalisateur indien tourna « Leila Majnun », qui bien qu’inspiré des contes des mille et une nuits et de Roméo et Juliette, resonna dans la communauté malaise et inspira à son tour de nombreux films d’après-guerre. Ce même réalisateur tourna en 1942, toujours à Singapour, un second film en malais, « Menantu Derhaka » (« La belle-fille rebelle »). Entre temps, les frères Shaw avaient monté leur studio à Singapour et y produirent entre 1938 et 1941 une dizaine de films. Ces films tournés en malais par des directeurs d’origine chinoise, ne furent pas bien reçus par la communauté malaise à laquelle ils étaient destinés, car leurs thèmes relevaient de la culture chinoise. Ils permirent cependant aux frères Shaw de s’aguerrir dans le monde la production locale, où ils allaient jouer un rôle important après la seconde guerre mondiale

 

Pour en savoir plus sur l’histoire du cinéma à Singapour, lisez les livres et les articles de Raphaël Millet, dont cet article s’est largement inspiré. La version anglaise de son ouvrage principal, « Singapore cinema », est disponible dans le réseau des bibliothèques publiques de Singapour.

 

 

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