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CLAUDE HUDELOT – Mao et moa

Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 20 juin 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

 Vous habitez en Chine et vous n'avez jamais entendu parler de Claude Hudelot ? vous avez tort ! Ce trublion, sinologue passionné de Mao, est  aujourd'hui historien en même temps que producteur de radios et réalisteur de documentaires après avoir été attaché culturel en Asie. Il voyage désormais entre Macao, Hong Kong, la France et la Chine Continentale et n'hésite pas à aller contre les sentiers battus pour nous éclairer sur la Chine moderne, ses excès, ses dérives mais aussi sa créativité. Il vient de faire paraître une version restaurée et en anglais de son livre somme sur l'iconographie et le culte portés au Grand Timonier

Portrait de Claude Hudelot avec une chemise Andy Warhol photographié par Thierry Girard

Lepetitjournal.com : Votre famille a une longue histoire à Hong Kong et en Chine. Des postes au Consulat, la création du Lycée Français de Hong Kong. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Claude Hudelot : L'histoire des Hudelot, ou plutôt, pour reprendre une expression de Jean-David Levitte (qui commença sa carrière diplomatique sur le Rocher, avant de devenir Directeur Général des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques au Ministères des Affaires Etrangères, puis Ambassadeur à Washington, puis Conseiller Diplomatique de Nicolas Sarkozy durant sa présidence), la « saga des Hudelot à Hong Kong » commence, en 1964, par la nomination de mon père au poste de Directeur de l'Alliance Française. Celle-ci, minuscule par le nombre d'étudiants, deviendra en quelques années l'une des plus importantes d'Asie. Mon frère aîné, François, continuera au début des années 1970 le développement largement amorcé par mon père. Notre mère, Suzanne, ouvrit elle-même la « petite école française » - certains s'en souviennent encore ? qui devint plus tard la « French International School » dont mon plus jeune frère, Pierre, devint le Proviseur dans les années 1980. C'est à lui, au Comité de l'école et au Consul Général de l'époque, M. Travers, que l'on doit à la fois la construction des nouveaux bâtiments et la double filière française et anglaise. Personnellement, j'ai bien failli devenir Conseiller Culturel, mais Jean-David Levitte préféra, en 1994, à la fin mon de contrat d'attaché culturel à Pékin, me nommer à la tête de l'Institut Franco-Japonais du Kansai, à Kyoto, et de la Villa Kujoyama, un lieu de résidence pour artistes et chercheurs français. Un choix que je ne regrette pas !


Illustrations du Mao, livre qui ne se contente pas d'énumérer des iconographies de Mao mais qui raconte en meme temps le destin du Grand Timonier (Le Mao, editions Rouergue, p.3 et 4)

Passionné par l'histoire de la Chine et tout particulièrement par celle de Mao, vous écrivez sur le Grand Timonier dès vos études, racontez-nous comment vos rapports avec Mao ont évolué au fil des années.
En fait, j'ai commencé par soutenir, avec le Professeur Lucien Bianco, un mémoire de maîtrise sur « Chen Duxiu et le Mouvement du 4 mai 1919 », avant de me voir proposer par Pierre Nora et Jacques Revel, directeurs de la prestigieuse collection Archives, en1970, d'écrire un ouvrage sur La Longue Marche ( Julliard / Gallimard). Ce qui allait changer toute ma vie !
Cette plongée dans des archives multiples et variées, chinoises, russes, anglo-saxonnes, françaises furent un excellent moyen de jauger à la fois ce qu'il faut bien appeler le « génie » de Mao Zedong, le stratège, le visionnaire, mais aussi le pilleur d'idées, - il s'approprie par exemple celle des paysans comme fer de lance de la révolution, idée soutenue avant lui par deux autres révolutionnaires, Li Dazhao et surtout Peng Paï, tous deux très tôt disparus - , le chef de clan capable de réprimer violemment, de supprimer ses propres alliés pour préserver le pouvoir, le tyran. D'ailleurs, lorsque La Longue Marche parait, en 1971, les dirigeants français « mao » ne s'y sont pas trompés : il interdisent à leurs vaillantes troupes de lire mon bouquin !

Après vos écrits sur La Longue Marche qui évitaient, pour l'époque, la tendance chez beaucoup à héroïser Mao, vous avez commencé une collection d'iconographies sur le culte porté au Grand Timonier. C'est ce qui a abouti à votre livre, Le Mao, dans les années 2000, dont l'édition en anglais encore plus documentée vient de sortir cette année. Racontez-nous cette formidable aventure.
A vrai dire, cette aventure commence en 1987, quand, avec le caméraman Christian Hirou, je tourne pour le JT d'Antenne 2 sujets sur la Chine à l'occasion du 13ème congrès du Parti Communiste Chinois. Nos pas nous mènent à Shaoshan, le village natal de Mao, avant d'être rappelés par la rédaction et sommés de rentrer dare-dare à Pékin pour interviewer Alain Delon, qui fêtait son lui son 50ème anniversaire dans un stade?devant 18.000 fans ! Au passage, nous nous sommes arrêtés à Nanchang, capitale de la province du Jiangxi, et là, nous raflons une belle collection de porcelaine de la révolution culturelle?Cette collection entamée, j'ai bien entendu continué celle-ci à Pékin et ailleurs, notamment à Tianjin, au début des années 1990 lorsque je fus nommé attaché culturel.
En 1985, j'avais publié, toujours chez Gallimard, dans la collection Découvertes, La Longue Marche vers la Chine moderne, qui s'appuyait sur une iconographie foisonnante. En 2000, Larousse me demande un Mao, pour leur collection « La vie, la légende ». Là, je mets à contribution ma collection mais aussi ma connaissance, de plus en plus éprouvée, de cette formidable production de propagande liée au culte de la personnalité le plus inouï de toute l'histoire de l'humanité. Cette « maomania » - en chinois « maore » - est en effet au c?ur de la légende du Grand Timonier.

Mao et Moa, Claude Hudelot se prend lui-meme au jeu, photo de Guy Callice

Au début des années 2000, commissaire d'une exposition intitulée Mao y a pas photo ( Maison de la Chine, à Paris, Espace d'art contemporain de La Rochelle), je croise le photographe et peintre Guy Gallice, lui-même collectionneur. L'idée d'un gros « livre rouge » permettant de présenter des centaines d'icônes et aussi de les décoder, de les resituer, un livre quelque peu anticulte aussi, cette idée est née. Ensemble, nous nous amusons à trouver un titre : « Le Mao », comme « La Bible » ( !) ou comme Le Robert?Et nous voilà partis à la recherche d'un éditeur assez audacieux pour se lancer dans l'aventure, laquelle passe obligatoirement par un virée en Chine pour photographier les « lieux saints » du maoïsme, répertorier certaines des plus grandes collections ? nous en verrons une rassemblant 200.000 pièces, dans la province du Shandong - , « voler » quelques images cultes dans les musées?Cet éditeur, ou plutôt cette éditrice, nous l'avons trouvée en la personne de Nathalie Démoulin, qui travaille pour les Editions du Rouergue. Une grande chance. L'autre chance, ce fut la rencontre avec une graphiste de grand talent, Noémie Levain. Le Mao leur doit beaucoup.
Nous profitons de l'anniversaire des 60 ans de la « Libération », le 1er octobre 2009, pour effectuer un lancement d'enfer : le 20h sur France 2 ? merci Philippe Rochot ! ? un grand papier dans Le Monde ? merci Harry Bellet !-, une suite d'émissions sur RFI, des interviews sur France-Inter, avec « Le téléphone sonne », partagé avec Marie Holzmann, mon cher France-Culture ? où j'ai travaillé jadis - , ainsi que des articles fleuves dans des grands journaux italiens, espagnols?Ce lancement augurait d'autres éditions, en premier lieu, d'une anglaise. Et bien non : aucun éditeur anglo-saxon ne voulut s'y risquer. Jusqu'à ce que je rencontre Pia Copper et Christopher Ind, qui se préparaient à créer, à Londres, Horizons Editions. J'ai donc cassé ma propre tirelire pour que ce rêve existe.

MAO vient d'être lancé à Hong Kong, lors de la HK Art Fair et à Macao, où il a fait la Une du quotidien Ponto Final. Il le sera le 20 juin à Paris lors d'un grand « dîner Mao », au restaurant L'Orient d'Or, avec un menu spécial Grand Timonier et en sous-titre la fameuse formule de celui-ci, bu chi la bu ge min ? "Qui ne mange pas épicé n'est pas un révolutionnaire ! ". Puis ce sera Londres, New York, Montréal, la Chine continentale, Taiwan, l'Australie. Avec deux objectifs : épuiser le plus vite possible cette édition, elle-même considérablement améliorée par rapport à la française, pour enrichir encore le fond et la forme ; pouvoir lancer, dans la foulée, l'édition en chinois, mon rêve ultime, qui sortira en 2013, au moment du 120ème anniversaire de ce géant diabolique.

J'ajoute, concernant cette édition anglaise, que nous sommes fiers d'ouvrir MAO avec une préface de Yu Hua, ce très grand écrivain, texte à la fois édifiant et hilarant, comme souvent en Chine, fiers aussi d'avoir fait entrer plusieurs icônes rarissimes, comme une peinture culte de Shen Jiawei, et d'avoir doubler le nombre d'?uvres d'art contemporain, avec dorénavant trente artistes qui ont revisité, détourné, moqué, attaqué depuis les grands pionniers que furent Andy Warhol et Errò, dans les années 1970, la figure du Grand Leader, Grand Guide, Grand Commandant, Grand Timonier.

Sieste de Li Haifeng, une oeuvre à l'opposé de l'hystérie qui accompagne généralement les oeuvres qui font l'apologie du communisme et de Mao

Vous venez d'écrire pour Mediapart et LeMonde.fr des billets savoureux sur la Hong Kong Art Fair, le marché de l'art en Chine mais aussi sur l'évolution de la société chinoise. Avec votre regard acéré, que diriez-vous de la voie qu'a choisi le PCC pour la Chine depuis 30 ans ?
Lorsque j'ai effectué ma première visite en Chine, à l'été 1964, après avoir pris le Transsibérien, mes hôtes ne cessaient de me répéter : "Zhongguo hen qiong, hen gemin", « La Chine est pauvre et révolutionnaire », ce qui pourrait tout aussi bien se traduire par "La Chine est pauvre, donc révolutionnaire ".
Aujourd'hui, il faut en convenir, l'Empire du Milieu ? j'emploie cette expression a dessein, car ce pays est en train de se resituer au c?ur de notre planète -, cet empire n'est ni pauvre et encore moins révolutionnaire. Ce n'est pas la faute à Mao, comme chacun sait, mais ce grand chamboulement, tous azimuts, les Chinois le doivent au petit « Xiaoping », Deng le lucide, le malin, le futé?Deng qui en 1992, lorsqu'il entame son grand tour dans le sud, en passant par Shanghaï, avoue que sa plus grande bévue est de ne pas avoir relancer la formidable machine shanghaienne avant.

Il a commis une autre bévue, qui pèse toujours très lourd, en affirmant, contre toute vraisemblance, que « le Président Mao était bon à 70% et mauvais à 30% ». Une phrase qui a gelé, depuis la disparition de celui-ci, en 1976, toute possibilité de mener à bien cette « démaoïsation » dont ce pays avait tant besoin. Une démaoïsation qui pourrait voir enfin le jour avec la venue au pouvoir de Xi Jingping dont le père et toute la famille avaient jadis tant souffert de Mao. Xi Jingping, ami du fils de Liu Shaoqi, ce président de la république en exercice auquel Mao et sa clique infligèrent de si mauvais traitements qu'il en mourut, à Luoyang, en 1967.
Malgré tous ces errements, tous ces « coups fourrés », toutes ces luttes de pouvoir intestines au sommet ? l'affaire Bo Xilaï en est un exemplaire révélateur -, malgré une politique discutable sur bien des points -, discutable et parfois exécrable, intolérable, par exemple au Tibet, au Xingjiang ? dont on parle trop peu ? vise a vis des « minorités nationales » - par rapport au traitement souvent violent de l'enfant unique, au rapport de plus en plus discordant, tendu, entre riches, de plus en plus riches, et pauvres, malgré tout ces avatars et l'absence de toute démocratie, malgré aussi la faille qui ne cesse de se creuser entre les régions côtières et le reste du pays, force est de constater que La Chine est en train de vivre une mutation ? le mot est faible ? d'une ampleur jamais vue ailleurs.

Et là, je ne parle pas seulement de politique et d'économie, mais aussi de culture. Ayant ?uvré, modestement, sur ce terrain pendant huit ans ? trois ans à Pékin, cinq à Shanghaï, notamment durant les Années France-Chine ? j'ai vu, je vois les incroyables changements. Changements dans les mentalités, dans des lieux de plus en plus nombreux, permettant aux citadins de s'ouvrir à la culture, aux cultures chinoise et étrangères, changements provoqués par le fait que les Chinois voyagent de plus en plus, se documentent, ont parfaitement intégré les réseaux sociaux, la « toile », même si Big Brother veille toujours et tente de contrôler tout ça ? pour combien de temps ?, des changements qui de mon point de vue annoncent, dans cinq ans, dans dix ans tout au plus, la venue de cette démocratie que les intellectuels révolutionnaires appelaient déjà de leurs v?ux lors du Mouvement du 4 mai 1919, seule vraie révolution culturelle que la Chine ait connu au XXème siècle.

Vous vivez entre Paris, Macao et Hong Kong, où préférez-vous être aujourd'hui ?

Là d'où je vous réponds : sur une petite île dont on parle beaucoup?l'été, où il fait bon vivre à toutes les saisons, l'île de Ré, Ré la Blanche?Une vieille ferme, mon regard se porte vers une belle tache verte, une « forêt », signée Ding Yi, sur un autoportrait énigmatique de Zhang Huan, sur une femme nue peinte par un artiste que j'aime particulièrement, Li Haifeng, la toile se nomme « nap », « somme » ou « sieste ». Elle est là, d'un naturel absolu, elle rêve. Elle s'est endormie dans un compartiment de train vidé de tous ses gardes rouges, qui l'instant d'avant criaient, chantaient des slogans à la gloire du « Président », lançaient des « Mao Zhuxi Wan Sui ! » (1). Au mur, il reste encore quelques affiches, quelques slogans. On peut y lire cette fameuse citation, sous le portrait de Mao : « La révolution n'est pas un dîner de gala »?
Ce rêve, imaginé par Li Haifeng, est le l'exact négatif d'une autre image, un cliché pris par Li Zhensheng et bien d'autres photographes lors de la « Révolution culturelle », un compartiment bondé, le peuple de Chine est debout, gesticulant, s'époumonant. Un peuple hystérisé, bafoué, trompé. Chez Li Haifeng, dont l'?uvre est peinte grâce à un néo-pointillisme qui rend si bien la lumière et le sentiment de vide, tout n'est que « rêve, calme et volupté ».

Eric Ollivier, (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), mercredi 20 juin 2012


Bibliographie selective :
La Longue marche, collection Archives, dirigée par Pierre Nora et Jacques Revel ; Julliard / Gallimard, 1971
La Longue marche vers la Chine moderne, collection Découvertes, dirigée par Pierre Marchand, Gallimard, 1985, réédité en 2002 ;
MAO, collection la vie, la légende, dirigée par Christian Biet ; Larousse, 2001 ;
Le Mao de Claude Hudelot et Guy Callice aux editions Rouergue
L'édition anglaise est parue en 2012 aux éditions Horizons
(1) Ce sera le titre de l'ouvrage en chinois, titre qui figure déjà, tel quel, en quatrième de couverture de l'édition anglaise.

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Publié le 20 juin 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

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