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FÊTE DE LA MUSIQUE - Dongzi, la musique comme remède à la solitude

Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 15 juin 2014, mis à jour le 20 juin 2014

A l'approche de la Fête de la musique, ce samedi 21 juin, lepetitjournal.com/pekin vous propose cette semaine d'aller chaque jour à la rencontre d'un musicien ou d'un groupe, chinois ou français, connu ou moins connu. Pour ouvrir les festivités aujourd'hui, rencontre avec le musicien folk chinois 冬子Dongzi.

Dongzi ferme les paupières, entre deux questions. On pourrait croire qu'il commence une séance de méditation bouddhiste, assis en tailleur sur un large coussin. Mais non, le voilà déjà les yeux ouverts, après une longue inspiration. Chez lui, il sert le thé rouge avec des gestes mesurés, dans un service raffiné. A 40 ans, il semble serein, laissant derrière lui plusieurs années de quête et d'errance, prêt à transmettre, avec sa musique, beauté et calme aux âmes solitaires.

Dans l'armée à 15 ans

Avant de revenir vivre à Pékin en 1999, Dongzi a eu un parcours assez chaotique. Né dans le district de Yumen, dans le Hubei, il se souvient dans un sourire des cassettes qu'il écoutait pour mieux chanter par-dessus. A l'époque, il n'y avait pas encore de karaoké, et l'enfant accompagnait donc les célébrités en les imitant. Et puis à 15 ans, après une discussion avec son père et deux de ses oncles, il est parti à l'armée, parce qu'il n'était pas "un bon élève", et qu'il avait "de mauvaises fréquentations en dehors de l'école". "Si je ne partais pas, ça allait mal se terminer", explique-t-il.

Dongzi, en concert (photo tu vision @ guazhou music festival 2014)

Résultat inattendu, c'est en tenue kaki qu'il apprend à aimer la musique, en écoutant un ami de l'armée jouer de la guitare. Du coup, Dongzi en achète une, et commence l'apprentissage. Après 3 ans et demi de service, il est parti. C'est l'hiver 1992, le début de plusieurs années de vagabondage pour Dongzi. Il rentre chez lui quelques mois, puis file à Shenzhen, seul, avec 200 RMB et sa guitare. Il trouve un travail dans un KTV, puis en 1994, vient à Pékin, à la recherche d'un professeur. "Je voulais en trouver un bon, et puis Pékin était la capitale du rock, de la culture. Mais je ne savais pas comment faire, où chercher." Résultat, il rentre bredouille à Shenzhen la même année. Et là, il fait un rêve qui le marquera à jamais, dans lequel son grand-père maternel vient le voir.

Le souvenir du grand-père

"Je me suis toujours bien entendu avec lui. C'est chez lui que j'habitais quand j'étais petit, on dormait sur le même lit. Quand je faisais mes devoirs, il était assis à côté, écoutant la radio. Le matin, il se levait très tôt, s'asseyait sur une chaise et fumait une cigarette en me regardant. Il nous emmenait avec mon frère nous promener dans les champs. Parfois il pleuvait très fort, et nous revenions tous les trois trempés. Mais il s'en fichait. Nous étions heureux. Il aimait aussi regarder du Chuju, une forme d'opéra traditionnel du Hubei, et nous emmenait avec lui."

Soucieux après le rêve, Dongzi décide de passer voir sa famille. Le jour de son arrivée, son grand-père est plein de vigueur, très content de son retour. "A l'époque, j'étais dans la vingtaine, et j'avais encore très envie de m'amuser, donc je suis parti dès le lendemain à Wuhan voir un ami". Mais dès qu'il arrive, il reçoit un coup de téléphone : '"Grand-Père est parti". Il décide de rentrer tout de suite. "Il pleuvait très fort, comme aujourd'hui, dans la nuit… Souvent, on pense qu'un rêve n'est qu'un rêve, mais il est parfois possible qu'il soit vrai." Ce décès est marquant pour Dongzi. "J'ai senti à ce moment que les belles choses, on ne peut jamais les retenir. " Un constat probablement facilité par sa pratique du bouddhisme depuis 1993.

Entre musique et bouddhisme

Après avoir travaillé un temps dans un magasin de céréales, consacrant ses soirées à sa guitare, Dongzi revient finalement vivre à Pékin en 1999. "A l'époque, je pensais que je courrais après la musique, mais je n'avais pas compris qu'en fait, j'étais à la poursuite d'une forme d'amour." L'amour de son grand-père par exemple, qui a laissé un grand vide, mais pas seulement. "Je pense que chaque individu est en fait à la recherche de chaleur humaine, que ce soit un amour familial, un désir d'affection ou un désir d'amitié. Nous en avons tous besoin, de même que nous avons tous besoin de lumière, d'eau et d'air." Et pour Dongzi, la musique est le moyen lui permettant de trouver, à l'intérieur de lui-même cet amour, mais aussi "la sagesse et la vérité". Là encore, le propos n'est pas sans faire penser au bouddhisme. "C'est le même chemin. Parce que l'enseignement bouddhique me permet de mieux comprendre les gens, les qualités et les défauts de la nature humaine. C'est une forme d'amour du monde des hommes. Ca me montre qu'on ne peut rien retenir, capter, on peut seulement prendre la partie la plus sincère de soi-même pour la faire ressortir."

Aujourd'hui, Dongzi semble donc avoir trouvé sa voie musicale. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Dans les années 90, il s'est essayé au métal, au blues, au grunge ou encore au rock'n'roll. Jusqu'au jour où, à Pékin, un de ses très bons amis Zhao Yi Rang, musicien, lui a permis de rencontrer le groupe 野孩子, Les enfants sauvages. "Je leur ai fait écouter ma musique, et ils m'ont dit : on entend la sonorité de beaucoup de groupes occidentaux, mais ton propre langage, ton propre style, il est où ?" Cette question va lui permettre finalement de comprendre qui il était, et que le folk était la meilleure expression de lui-même, "parce que j'aime ce qui a trait à la terre, à la nature et à l'esprit". A l'image de sa vie à la campagne ou de ses pieds mouillés par la rosée en marchant sur l'herbe de bon matin… une sensation qui lui manque.

Entre voyages et taoïsme


Entre 2001 et 2005, dans un travail de recherche, et après avoir entendu ses amis vanter les mérites d'un voyage sur les rives du Fleuve jaune, il décide aussi de consacrer un à deux mois tous les ans, à parcourir les provinces du Xibei (Ningxia, Gansu, Qinghai), mais aussi le Yunnan et le Guizhou. "Je cherchais des endroits avec des montagnes, de l'eau, et des chants folkloriques." Il y trouve à chaque fois des personnes de tout âge, dont pas un n'est musicien et qui l'ont pourtant tous touché avec des chants traditionnels.

"Je me souviens d'un vieux maître taoïste de 80 ans, avec un jeune disciple de 40 ans. Nous avons partagé la chambre dans un petit village, pour 3 RMB la nuit. Le lendemain, nous avons grimpé ensemble une montagne. Et une fois au sommet, nous sommes tombés sur un groupe de vieilles femmes de plus de 70 ans qui chantaient. Et ça pour moi, c'est de la vraie musique. Car elles ne sont pas en représentation, elles ne se produisent pas pour un public, le chant est l'expression naturelle de leur coeur". Dans ces moments-là, Dongzi récolte ce qu'il était allé chercher.

Ces multiples séjours lui ont donné son nom d'artiste, Dongzi, L'enfant du Nord, choisi par son ami Zhao Yi Rang, mais aussi des sonorités dans son chant et ses textes, qui retranscrivent en partie ces voyages. D'ailleurs, Dongzi ne considère pas qu'il écrit des chansons, mais qu'il enregistre simplement ses expériences ou encore ses rêves, ceux qui le réveillent parfois au milieu de la nuit. "L'expérience de la vie, les rencontres, tout s'accumule avec le temps, et puis un jour, on est dans un état d'esprit particulier, et ça déborde."

Dongzi chez lui, jouant de la chiba, flûte traditionnelle chinoise (photo JCB)

La place de la musique

Tant mieux pour le public qui pourra le voir gratuitement lors de la Fête de la musique, à laquelle il participera pour la première fois cette année. S'il regrette qu'il n'y ait pas de partenariat avec une chaîne de télé, "la meilleure promotion", il regrette qu'il n'y ait qu'un seul jour de Fête de la musique dans l'année. Car pour lui, c'est l'occasion de se faire connaître auprès d'un public qui n'aurait pas forcément été prêt à payer pour le découvrir. "Le public chinois aime les choses un peu plus bruyantes, peut-être parce qu'ils ont besoin de se laisser aller". Dongzi regrette que la place de la musique en Chine soit assez basse : "Peut-être que le niveau culturel et économique n'est pas encore suffisant... Pour certains, la musique n'est pas encore quelque chose d'indispensable dans la vie. Elle est là seulement pour tromper l'ennui."

Quel que soit le public, Dongzi a un nouvel objectif. "J'ai déjà fait de mon rêve, ma vie. La musique est devenue mon quotidien. Tous les matins, je me lève, je joue de la guitare, je compose, je lis, je joue du dizi ou du chiba [flûtes traditionnelles chinoises]. Et j'ai réalisé l'année dernière qu'à 40 ans, je devais devenir plus mature. Je ne dois plus avoir les désirs, le besoin d'amour d'un enfant. Maintenant, c'est à moi de distribuer cet amour, et de permettre aux gens de trouver le calme. Car les gens ne prennent plus le temps tout seuls, ils ont besoin de la musique pour les guider. J'espère donc transmettre de la beauté, du calme. Je ne sais pas si je peux le faire, mais c'est mon espoir."



Joseph Chun Bancaud (lepetitjournal.com/pekin) Lundi 16 juin 2014

Pratique : Dongzi se produira le samedi 21 vers 18h au 2Kolegas.

Pour écouter le premier des deux albums de l'artiste, cliquer ici.

Page douban de Dongzi : ici.

Le site de la Fête de la musique à Pékin

lepetitjournal.com pekin
Publié le 15 juin 2014, mis à jour le 20 juin 2014

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