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Yan Chantrel : « La politique est un cheminement où l’on part du terrain »

Yan ChantrelYan Chantrel
Yan Chantrel
Écrit par Lepetitjournal Valence
Publié le 26 mai 2023, mis à jour le 6 juin 2023

Yan Chantrel, sénateur représentant les Français établis hors de France, était de passage à Valencia. Il nous a accordé un entretien, où il a abordé des sujets d'actualité tels que les politiques d'immigration, la création d'un Erasmus francophone ou l'importance de la double-culture. Siégeant dans l’hémicycle au sein du groupe SER (Socialistes Écologistes Républicains), le sénateur préside également un groupe d'études sur la francophonie. Il nous a fait part des actions qu'il entreprend et des défis auxquels il est confronté. Rencontre. 

Je considère que la politique doit se faire de bas en haut et non l’inverse. Il s’agit avant tout d'une démarche citoyenne. 

Le sénateur Yan Chantrel en train de faire un discours

 

Vous êtes sénateur représentant des Français établis hors de France depuis 2021. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette fonction ? 

Je représente les Français établis hors de France. J’en fais moi-même partie puisque j’ai vécu plus de 13 ans à Montréal. Il existe en France une représentation parlementaire très rare des compatriotes établis à l’étranger. Onze députés sont élus depuis 2012, dont un représentant de l'Espagne et du Portugal. Il existe également une représentation parlementaire au Sénat, datant de 1946. Douze sénateurs et sénatrices représentent les Français hors de France.

Enfin, nous avons un peu plus de 500 élus au suffrage universel direct : les conseillers des Français à l’étranger. Ce sont les équivalents des conseillers municipaux, partout dans le monde. Tous les Français inscrits dans les consulats ou sur les listes électorales consulaires peuvent voter pour des représentants locaux. Ces derniers travaillent dans des conseils consulaires sur des problématiques diverses : éducation, culture, aides sociales, etc. Les conseillers des Français de l’étranger sont les grands électeurs des sénateurs et sénatrices qui représentent les Français établis hors de France.

Le sénateur Yan Chantrel avec le maire de Valencia Joan Ribo
Yan Chantrel avec le maire de Valencia Joan Ribo

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir sénateur et à représenter les Français à l’étranger ? 

Mon parcours n’était pas prédéfini. J’étais très épanoui dans ma vie au Canada. La décision a été prise de manière collective. La politique est un cheminement où l’on part du terrain. Je considère qu’elle doit se faire de bas en haut et non l’inverse. Il s’agit avant tout d'une démarche citoyenne. 

Je pense que les Français établis hors de France m’ont élu car je n’ai pas peur de prendre des risques. Je n’ai pas le profil habituel d’un sénateur français. Je suis plus jeune. Je n’ai pas fait les mêmes écoles qu’eux. Parce que les Français de l’étranger ont eux-mêmes des parcours qui sortent des sentiers battus - pour nous, ce ne sont pas des sentiers battus, c’est la norme. On ne juge pas sur les diplômes, mais plutôt sur les propositions et sur les actions. L’engagement politique n’est pas un engagement de carrière mais un engagement temporaire. Ce n’est pas une profession mais une fonction. 

Il est important qu’il y ait un renouvellement assez permanent de nos représentants politiques et que plus de personnes représentent la société civile, que j’appelle “militante”. Malheureusement, je constate en France que les élus ne sont la plupart du temps pas à l’image de la population. Cela engendre une crise de la démocratie et de la représentation. Les gens ne sont pas représentés dans leur diversité sociale. Face à cela, il est essentiel de mettre en place des politiques de renouvellement automatique, des politiques proactives pour permettre à des personnes de différents milieux d’être représentées. Sans quoi les gens n’adhèrent plus aux institutions et se désengagent. 

La double culture que nous développons nous permet d’expérimenter d’autres approches. Vivant depuis treize ans au Québec, j’ai pu décentrer mon regard.

Dans quelle mesure la double culture des sénateurs représentants des Français de l’étranger apporte-t-elle une plus-value dans le débat politique français ? 

En choisissant de nous expatrier, nous apportons un prisme différent qui nous protège d’une vision trop franco-française du débat politique. La double culture que nous développons nous permet d’expérimenter d’autres approches. Vivant depuis treize ans au Québec, j’ai pu décentrer mon regard. Je prends souvent l’exemple des politiques d’immigration. Au Canada, il existe des politiques d’intégration concrètes dont il serait bon de s’inspirer en France, à l’heure où le sujet est devenu une obsession. 

Par exemple, le Canada a développé une réglementation relative au cannabis. Depuis dix ans, elle a permis de faire baisser le trafic et s’est affirmée comme une véritable politique de santé publique. Alors que la France possède une politique coercitive en termes de consommation du cannabis, elle est aussi l’un des pays qui en consomment le plus... Je vois que cela ne fonctionne pas, tandis que j’observe, en parallèle, d’autres systèmes plus efficaces.

 

Vous avez été nommé à la tête d’un groupe spécifique au Sénat.

Oui, je suis président d’un groupe d'études sur la francophonie. J’ai élaboré tout un programme, et notamment un volet culturel, car je constate qu’il n’y a pas de vision claire concernant la politique de coopération de la francophonie aujourd’hui. Il est important d’avoir un sentiment d'appartenance à un espace plus vaste que nous au sein de la francophonie. En France, l’un des enjeux éducatifs est d’apprendre à s’ouvrir davantage à cette diversité. 

Le français décline dans certaines zones de l’Afrique francophone. Or le cœur de la francophonie c’est l’Afrique. En 2100, selon les estimations, 85% des francophones seront africains. Il existe un réel enjeu au niveau de la jeunesse puisqu’un sentiment anti-français se développe dans certaines régions. Nous avons tout intérêt à coopérer et à montrer que nous entretenons des relations privilégiées avec les pays francophones. J’ai par exemple l’idée de mettre en place un Erasmus francophone et un visa francophone afin de faciliter les déplacements au sein des espaces.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont nos compatriotes à l’étranger perçoivent la vie politique française ? 

Cela dépend des endroits. Avec le recul, je pense qu’ils ont l’impression qu’il y a des obsessions françaises, justement par rapport à la question de l’immigration. Je pense aussi qu’ils sont très inquiets, à juste titre, vis-à-vis de la montée de l’extrême-droite dans le pays. Les Français de l’étranger sont beaucoup plus tolérants étant donné qu’ils ont eux-mêmes un parcours d’immigration. À l’inverse, ils ont l’impression de voir un pays qui se replie sur lui-même, qui se rétracte, qui se raidit. Il faut retrouver des lieux de rencontre.

Les montées de l’extrémisme se font dans des lieux où il n’y a plus de lien social, dans des villages où il y a une déperdition des services publics par exemple. Les gens ne se rencontrent plus. Il faut donc trouver des lieux, comme La Base Culture, d’échange et de rencontre. C’est fondamental. Il faut trouver des politiques qui permettent aux gens de se rencontrer et de faire société, afin que la pression baisse et que les stéréotypes tombent. 

La Base Culture prouve que l’on peut être très intégré dans sa société d’accueil et l’aimer, tout en faisant vivre et cohabiter les deux cultures qui s’enrichissent mutuellement.

Comment percevez-vous les initiatives citoyennes à l’image de La Base Culture, cette association qui promeut la francophonie à Valencia ? 

Je sais ce qu’immigrer peut représenter en termes d’enjeux d’intégration culturelle. Nous savons aussi à quel point nous pouvons être attachés à notre culture d’origine. On ne l’abandonne pas, et La Base Culture en est la preuve aujourd’hui. Bravo pour cette initiative qui permet d’avoir des acteurs de terrain, et permet aussi de voir les nouvelles tendances qui peuvent intéresser nos compatriotes en établissant un lien entre la France et Valencia. Cela prouve que l’on peut être très intégré dans sa société d’accueil et l’aimer, tout en faisant vivre et cohabiter les deux cultures qui s’enrichissent mutuellement. C’est quelque chose qui, selon moi, devrait être beaucoup plus valorisé en France. Nous avons tendance à vouloir gommer les origines ou la culture alors que les deux vont de pair et ne devraient pas se confronter. Elles participent de notre identité.

 

Si seulement nous pouvions interroger nos ressortissants hors de France sur ce qu’est l’immigration - parce qu’il n’y a pas que de l’immigration en France, il y a aussi une émigration - nous aurions peut être une vision très différente sur la place de l’émigré. Malheureusement, nous n’entendons pas souvent cette parole là en France. Je souhaite la porter. 

 

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