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Sacré nom d'une pâte

des pâtes Farfalle posées sur des spaghettides pâtes Farfalle posées sur des spaghetti
Pasta Di Pasta Del Nastro Sulle Fettuccine (CC0)
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 24 mai 2023, mis à jour le 5 avril 2024

Vous ne choisirez plus jamais vos formats de pâtes de la même façon…

La pastasciutta, on le sait, fait le midi et le soir de toute la Péninsule. Et les Italiens sont tellement habitués aux noms des formats de leurs pâtes, imaginés pour accueillir au mieux telle ou telle sauce, qu'ils se délectent de « petites ficelles » (spaghetti, de spago, ficelle) sans y penser. Si les Français n'y rechignent pas non plus c'est qu'ils ne les comprennent pas toujours, les marques ne les traduisant pas sur leurs paquets. C'est comme avec nos pets de nonne, frittelle a base di farina, burro, uova e zucchero, beignets à base de farine, beurre, œuf et sucre selon le Larousse italien qui n'ose en dire davantage, et nos crottes (en chocolat), cioccolatini ripieni, littéralement chocolats fourrés. Et ce n'est pas plus mal car on est tous un peu chochottes sur les bords et une simple mouche dans notre assiette nous donne déjà des frissons. Que se passerait-il si on nous disait que les cazzetti ou minchiette que les futurs mariés mangeaient lors des repas d'adieu au célibat du côté de Rome (des pâtes qu'on appelle aussi, justement, addio al nubilato) et aujourd'hui servis partout, veulent dire, leur forme ne trompe pas, petits « bijoux de famille » ?

Le miracle des mots

S'attarder au rayon pâtes des supermarchés peut donner du peps au rituel de nos courses et empêcher les enfants de galoper partout. On les retiendra peut-être en disant que, par le miracle des mots, une assiette de papillons (farfalle) rassasie tout autant qu'une assiette de gros tuyaux (cannelloni). On les fera peut-être sourire en expliquant que de pauvres gens inventèrent le format « étrangle-prêtres » (strangolapreti ou strozzapreti) si bons que leurs curés, goulus et rapiats par tradition, venaient s'en empiffrer jusqu'à l'étouffement. Ce qui n'est pas une lubie locale : à des milliers de kilomètres de là, on offre bien un plat d'aubergines nommé « imam évanoui » (imam bayıldı en turc) qui fait pâmer de plaisir les chefs religieux musulmans.

Le nom des formats de pâtes nous donne des super pouvoirs qui nous transforment en phénomènes de foire, nous faisant ingurgiter les objets les plus hétéroclites. Et il y a vraiment de quoi chiner : chiffons (cencioni), petits rubans (fettucine), petits chapeaux (cappelletti). Du plus lourd et dur avec des dés à coudre (ditali), clochettes (campanelle), roulettes (rotelle), fuseaux (fusilli de fuso), tire-bouchon (cavatappi), petits paniers (canestrini). Encore plus fort avec les accordéons (fisarmoniche), les radiateurs (radiatori) et les hélices (eliche). Et même, oui oui, des soucoupes volantes (dischi volanti), un format rond avec une bosse au milieu, un creux dessous et un volant tout autour, créé, dit-on, peu après les prétendus et très médiatisés passages de 9 ovnis dans l'État de Washington en 1947 et la première apparition de l'expression flying saucer (soucoupe volante) à la une des journaux. Des pâtes de science-fiction ! Chapeau, les Italiens !

 

des spaghettis dans un bocal avec des pâtes penne et tagliatelle
heather-gill unsplash

 

Des coquillettes? Oui, mais des Panzani

Le nom des pâtes nous rend carnivores, remplissant nos estomacs de drôles de vermicelles, vermisseaux (vermicelli), crêtes de coq (creste di galli), plumes (penne) d'oie taillées en biseau pour écrire, et coquillages (conchiglie).
Ah, les coquillettes... Oui mais non ! Halte ! N'osons pas même pas le rapprochement ! Les conchiglie ressemblent à des coquillages, les coquillettes à de petits tubes recourbés.  Et puis, que diable, les coquillettes, c'est nous ! La petite histoire veut que ce soit la marque française Panzani à les avoir introduites dans le menu pour enfants, avec leur sacro-saint accompagnement jambon-gruyère râpé (un sacrilège pour les Italiens). Succès de folie dans les cantines. Sans doute désabusées, certainement pas stupides, les grandes marques italiennes en fabriquèrent à leur tour: mais, noblesse oblige, en français et strictement pour le marché français.

Le nom des pâtes nous rend cannibales à notre insu. Des pâtes toujours al dente, peut-être un signe, et nous, tous des ogres. Nous avalons des tas de gens par petits bouts et piochant ça et là, des coudes (gomiti) et des cheveux fins (capellini), des petites langues (linguine) et des petites oreilles (orecchiette), grands dégoûts ! Puis des gens tout entiers. Plutôt pas ragoûtant avec des platées de vieilles filles (zite, pour zitella) venues de Naples où elles sont traditionnellement préparées par la future mariée pour son repas de noces. Plus grave et touchant, toujours de Naples, les petites reines ou petites mafaldas (reginelle ou Mafaldine) aux bords ondulés comme des dentelles royales, en hommage à Mafalda de Savoie, fille de Victor Emmanuel III, morte dans le camp de concentration de Buchenwald.

Le bon temps de cuisson des pâtes ? De l'Avemaria à Spotify

Et puis il y a ces pâtes onomatopéiques, qui claquent, marmonnent, fredonnent rien qu'à les lire. Les fameux paccheri (de pacca, gifle) qu'on appelle parfois schiaffoni et voulant dire la même chose. Leur nom viendrait du splaaaaach phénoménal, comme une belle claque dans le dos, que font ces pâtes en tubes énormes quand elles tombent dans l'assiette avec leur sauce. Il fut un temps aussi où il n'y avait ni minuteur ni réveil ni sablier dans les cuisines. Que faire sachant que la cuisson des pâtes est une affaire de seconde ? Bien sûr, les Italiens sentent à la couleur et à la consistance quand elles sont prêtes.

Une solution est tout de même remontée de Toscane. On s'aperçut que le temps de cuisson des petites pâtes trouées correspondait à la durée exacte d'un « Je vous salue Marie »: les pâtes avemarie voyaient le jour. D'autres, le format au-dessus, reçurent le nom de « Notre Père », paternostri, prière plus longue pour pâtes plus grosses. Du vieillot-ringard-bigot-folklorique ? En 2021, la marque Barilla lança sur Spotify une Playlist Timer (dommage pour l'anglais) de 8 morceaux composés tout exprès pour le temps de cuisson des formats préférés des Italiens, spaghetti, linguine, fusilli et penne, variant de 9 à 11 minutes. 

Le nom des pâtes est sacré, toute nouvelle création peut déclencher de violents combats de mots. Ce fut le cas en 2014 lorsque la marque Molisana voulut empêcher Barilla d'utiliser spaghetti quadrati (spaghetti carrés) dont elle revendiquait la paternité. L'affaire arriva jusqu'au tribunal qui trancha et ce fut non car il s'agissait d'une description, une description pouvant être le fait de tous. Plus trouble l'épisode de ces noms imaginés dans les années Trente pour rendre honneur à l'occupation italienne en Afrique puis réapparus en 2021 ; abissini (de Abyssinie), des petites coquilles, ou tripoline (de Tripoli) comme des mafaldine avec un seul bord ondulé. Des noms d'allures colonialistes et fascistes, ils soulevèrent un tollé dans les médias italiens. Pardon, pardon pour la bévue, la marque s'excusa et remplaça vite fait abissine par conchiglie, tripoline par farfalline.

C'est comme ça, le nom des pâtes est un monde où tout arrive. Et que les enfants des supermarchés réclament un jour non plus leurs nounours en gélatine qui restent nounours jusqu'à la fin mais des sachets de pâtes, pour leurs histoires et encore et encore, fait toujours partie du prodige.

 

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