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Carte blanche à Carmen Calvo au musée Picasso de Barcelone

Carmen Calvo et le directeur du musée Picasso de BarceloneCarmen Calvo et le directeur du musée Picasso de Barcelone
L'artiste Carmen Calvo et le directeur du musée Picasso de Barcelone, Emmanuel Guigon/© F. Mateo
Écrit par Francis Mateo
Publié le 20 mai 2023, mis à jour le 20 mai 2023

Jusqu'au 3 septembre 2023, le musée met à l'honneur l'une des artistes espagnoles les plus reconnues. Une œuvre où la mémoire du quotidien rejoint celle de l'histoire de tout un pays. Un demi siècle de création féministe et engagée.

 

 

L'exposition consacrée à Carmen Calvo au musée Picasso de Barcelone est comme une mosaïque où les œuvres d'art nous racontent des sortes de fables personnelles imaginées par l'artiste tout au long de son parcours depuis les années 70. Des petites histoires qui s'inscrivent dans la grande, celle où l'Espagne vivait encore au rythme de la dictature de Franco, dont Carmen Calvo donne une vision fragmentée, à travers l'art du découpage et du collage, mais non moins critique.

 

Ses photographies manipulées avec des objets ou de la peinture reflètent une société refermée sur elle-même avec "ses corsets moraux". L'artiste joue aussi avec l'accumulation d'objets qui jalonnent son parcours. "Un peu à la façon des archéologues avec leurs trouvailles ou des épiciers avec leurs marchandises, Carmen Calvo compile sur des étagères des plâtres extraits de moules en carton, dont l’esthétique austère rappelle l'univers de Giorgio Morandi", analyse Emmanuel Guigon, directeur du musée Picasso de Barcelone, particulièrement fier et heureux de ramener à Barcelone une artiste qui n'y avait pas exposé depuis très longtemps.

 

La photographe plasticienne originaire de Valencia en profite pour dévoiler un travail réalisé au cours des dernières années de pandémie, en revisitant notamment des films de jeunesse pour en extraire une kyrielle de photogrammes fantasmagoriques projetés dans l’obscurité, évoquant ainsi un récit qui reflète tout à la fois la peur, la mort, le sentiment de claustrophobie et d’agitation provoqué par cet isolement sanitaire pas si salutaire.

Manipulations ludiques et transgressives

Cette vision kaléidoscopique du monde se retrouve dans une salle de l'exposition du musée Picasso consacrée aux cartes portales, cet objet épistolaire qui a toujours intéressé les artistes depuis le XIXème siècle, et qui a même joué un rôle patrimonial en permettant d'y reproduire des œuvres d’art. Objet de curiosité aussi dans son utilisation la plus prosaïque, "fidèle messagère d’amour ou d’amitié", comme disait Paul Éluard. Carmen Calvo s'empare de la carte postale pour des manipulations ludiques et transgressives, jouant parfois ici avec les représentations des œuvres de Picasso comme un hommage au maître. "Carmen Calvo sait rendre avec une particulière singularité toutes les nuances de la vie à travers ses œuvres", ajoute Emmanuel Guigon: "C'est la vie dans sa dimension dramatique, mais qui apparaît dans un même temps dans son aspect le plus poétique, parfois jusqu'au mystère, où s'entrecroise le visible et l'invisible".

 

Dans un grand nombre d'œuvres, le regard est souvent masqué, les yeux dissimulés lorsqu'ils ne sont pas en verre. La vision de l’artiste et la cécité des personnages comme dichotomie du dicible et de l'indicible, où le spectateur devient voyeur. Une tension qui culmine dans la dernière salle de l'exposition, totalement inspirée d'un fait divers réel survenu en 1997, lorsqu'une fillette de sept ans avait été enfermée pendant des semaines par ses parents dans une sorte de cage. Carmen Calvo recrée cette histoire en remplissant un habitacle blanc de poupées, peluches et autres objets de l’enfance qui peuvent uniquement être contemplés par des judas percés aux murs de cette "cage" hermétiquement fermée ; une vision très réduite et parcellaire de ce qui se passe à l'intérieur, mais dont certains éléments sont représentés tout autour de la cage, ce qui donne cette impression, étrange et angoissante, d'être à la fois dedans et dehors.

"La dénonciation est dans l'œuvre"

Si Carmen Calvo parvient si bien à entraîner le spectateur dans ses œuvres c'est sans doute parce qu'elle est justement une artiste engagée, une féministe qui explore depuis ses débuts -et en toute liberté-, les sentiments, désirs et répressions du corps de la femme. En témoigne ici une installation de trois mannequins féminins dont on aperçoit uniquement le torse et les jambes, et qui peuvent être interprétés comme les victimes d’une agression ou comme une allusion corporelle à des jeux érotiques entre femmes. Cruauté ou lascivité? Le regard du visiteur tranchera sur l'interprétation de ces mannequins aux têtes coupées et corps mutilés.

 

Et c'est bien cette liberté qui intéresse Carmen Calvo, ce qui donne toute la profondeur et la complexité aux œuvres d'une artiste qui refuse de se laisser elle-même enfermer dans une "cage" idéologique, qui n'accepte pas les étiquettes : "Mon féminisme n’a jamais consisté en des manifestations explicites ni programmatiques, mais il a toujours dénoncé avec subtilité et ironie les rôles traditionnellement associés à la femme. Je ne fais pas une œuvre politique, je ne suis pas là pour dénoncer... La dénonciation est dans l'œuvre et dans ses effets, qui parfois me surprenent moi-même. Je ne veux pas souligner, je n'aime pas souligner mes œuvres". N'allez donc pas chercher cette féministe engagée et reconnue qui expose au musée Picasso de Barcelone sur le terrain de la polémique médiatique, au moment où le maître du cubisme est attaqué sur ses relations avec les femmes : "Si on commençait à critiquer sur cet aspect tous les artistes de son époque, on ne sauverait personne ! La vie privée de Picasso ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est sa vie d'artiste, son génie artistique, et je n'entrerai pas dans tout autre débat qui concerne un autre temps, une autre éducation, un autre monde. Ne comptez pas sur moi pour participer à une chasse aux sorcières!

francis mateo
Publié le 20 mai 2023, mis à jour le 20 mai 2023

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