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Les Horizons Amers : depuis quand l'Australie est-elle une île ?

Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée et la dessinatrice Laura Guglielmo ont sorti la bande dessinée “Les Horizons Amers” le 10 mai 2023. Cette dernière témoigne de la course à la cartographie de l’Australie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ils répondent à nos questions. 

Couverture BD Horizons AmersCouverture BD Horizons Amers
Écrit par Sophie Sager
Publié le 17 mai 2023, mis à jour le 31 mai 2023

C’est en 1803 que Matthew Flinders réalise la première circumnavigation, navigation en bateau autour d’un continent, traçant le contour de l’Australie actuelle. Avant cette date, l’Ouest et l’Est australiens étaient connus certes, mais tout le monde pensait qu’un bout de mer les séparait. Nous avons posé nos questions au scénariste et à la dessinatrice ayant couché sur papier la course entre Matthew Flinders et Nicolas Baudin, à la tête des équipes britannique et française en concurrence.
 

Pourquoi avoir choisi ce sujet? Pourquoi la découverte et surtout la cartographie de l’Australie particulièrement?

 

LF Bollée: Cela fait plus de quinze ans que je travaille sur l’Australie et ses premières années de “pays moderne”, c’est-à-dire à partir de 1788. J’avais déjà écrit deux romans graphiques sur le sujet : Terra Australis (Glénat, 2013) et Terra Doloris (Glénat, 2018). On y apprenait pourquoi les Anglais ont décidé d’aller à l’autre bout du monde avec la First Fleet pour y fonder une colonie et comment les premières années là-bas se sont déroulées (dans la douleur assurément)… Mais au fond de moi, cette première période devait aller jusqu’à ce qu’on comprenne qu’on s’était bien implanté dans un seul et unique pays ! On connaissait en effet la partie Ouest de l’Australie, la partie Est (déjà explorée par Cook en 1770), mais certains pensaient qu’entre les deux il n’y avait pas de terre, mais un bout d’Océan, car les distances paraissaient trop grandes d’un point à l’autre… Et il a fallu attendre globalement 1803 pour en être certain, grâce à Matthew Flinders, qui a donc fait le premier la circumnavigation de ce continent ! Cela me fascine vraiment de penser qu’il y a seulement 220 ans, on ne savait pas encore que l’Australie était bien une île ! Cela méritait bien un nouveau roman graphique, car, de plus, la vie de Flinders, entre ce périple, sa rencontre avec la marin français Nicolas Baudin (qui essayait de faire la même chose que lui au même moment…) et surtout son voyage de retour pour le moins mouvementé et son arrestation à Maurice (je n’en dis pas plus, mais vous verrez qu’il a quand même payé un lourd tribut à son expédition), est pour le moins digne d’un film ! A la fin, il est quand même le premier à avoir cartographié de manière “moderne” l’Australie et a, si cela ne suffisait pas, milité pour lui donner son nom actuel… 

 

Planches Horizons Amers

 

Comment se sont déroulées vos recherches et la collecte d’informations pour le scénario de cette BD?

 

LF Bollée: Comme toujours, en lisant beaucoup ! Il existe tout de même, évidemment, une large étendue de livres australiens consacrés aux premières années du pays, je dois bien en avoir une cinquantaine à la maison ! Mes cahiers de notes sont nombreux et fournis et il va de soi que j’avais mis de côté cette histoire de Flinders pour y arriver chronologiquement dans ma bibliographie… Mon apport, si je puis me permettre, est de me mettre dans la peau d’un metteur en scène qui digère toutes ces sources et de donner vie à Flinders par des dialogues et des situations dignes d’intérêt. Ensuite, j’aime à penser que je donne aussi une version française à cette histoire anglo-australienne, et j’en suis maintenant donc à plus de mille pages au total sur les vingt premières années de Sydney…

 

Vous avez publié une biographie de James Cook. Quels sont les points communs et les différences entre James Cook et Matthew Flinders?

 

LR Bollée: Tous les deux ont la passion de leur métier et conjuguent assurément le souffle de l’aventure maritime et l’appel de la “modernité” par leur rapport à la cartographie. On a tous été collectionneurs de quelque chose dans notre vie, et on sait tous ce que l’on peut ressentir lorsqu’on découvre une pièce, un objet qui rentre dans cette collection et que l’on n’avait pas avant, ou dont on ne soupçonnait pas l’existence… Il y a là un mélange de satisfaction, qui vient presque récompenser un but, voire une quête, n’est-ce pas ? Pour Cook et Flinders, je sens que le fait de cartographier ces nouveaux territoires, de leur donner forme et donc vie, était la manifestation de cette “obsession” d’identifier le monde et presque de le découvrir. Un but, une quête disais-je, dessiner une nouvelle carte était vraiment pour eux une façon d’exister et d’avancer. Il y avait sans doute aussi une question d’orgueil, forcément, avec le “pouvoir” d’être le premier à identifier des terres et les nommer… D’où, sans doute, et malgré des écrits à vocation “ethnologique”, une propension de leur part à “dominer” ce monde nouveau de l’extérieur, d’une manière froide, et certainement “occidentale”, au point de voir le contenant plus important que le contenu. J’aborde ce questionnement à la fin des Horizons amers, lorsque je confronte Flinders à Baudin qui lui assène des vérités pas bonnes à entendre sur son parcours et sa vision des peuples autochtones… 

 

Planche BD Horizons Amers


 

La dessinatrice étant italienne, ses réponses à nos questions ont été traduites de l’anglais.

 

Où avez-vous puisé votre inspiration pour les visuels ?

 

L Guglielmo: Ma principale source d'inspiration a été, comme toujours, l'animation, mon premier amour artistique. J'aime l'idée de recréer la sensation de mouvement dans mes bandes dessinées, l'impression que mes personnages ont été capturés au milieu d'une action. Pour les arrière-plans, j'ai essayé d'appliquer ce que j'appelle le "faux réalisme" : J'essaie toujours de donner une sensation de vraisemblance à mes atmosphères sans pour autant céder au vrai réalisme et peindre tous les détails. Je veux toujours que mes planches ressemblent à un dessin stylisé, pas à une photo, mais je veux aussi que le lecteur se sente immergé dans la scène !

Je pense que le style général atteint cet objectif, et j'espère que ceux qui liront le livre se sentiront transportés dans un autre lieu et une autre époque.

 

Comment avez-vous procédé pour recréer les costumes et les paysages de cette époque ?


L Guglielmo: J'ai essayé de faire autant de recherches que possible avec le peu de temps dont je disposais. Je suis très impliquée dans la reconstitution historique (je fais partie d'un groupe qui reconstitue la Belle Époque), je connais donc bien les archives, les gravures de mode et les sources primaires. La chose la plus délicate pour moi était les uniformes, car je ne connais pratiquement rien à l'histoire militaire, mais j'ai réussi à trouver des forums en ligne de passionnés de l'époque napoléonienne qui m'ont énormément aidée ! Les paysages ont été à la fois la partie la plus facile et la plus difficile : les environnements naturels étaient assez simples à recréer, puisque tout se passe dans des endroits réels dont on peut trouver des photos ; les villes et surtout les intérieurs étaient beaucoup plus difficiles, puisqu'il est plus compliqué de trouver des références fiables comme des gravures ou des peintures de l'époque qui dépeignent les lieux réels. J'ai essayé de faire le moins de suppositions possibles et de fonder mes hypothèses sur les sources dont je disposais. Espérons que je ne me suis pas trop trompée !

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