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Ceux qui ont cherché la gloire chez les Turcs…

Monsieur Levett et Hélène Glavany par Liotard, vers 1740Monsieur Levett et Hélène Glavany par Liotard, vers 1740
Monsieur Levett et Hélène Glavany par Liotard, vers 1740
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 27 avril 2023, mis à jour le 7 août 2023

Nombreux sont les étrangers qui ont cherché la gloire chez les Turcs. Le premier qui vient à l’esprit est le célèbre comte de Bonneval (1675-1747), devenu pacha sous le nom d’"Ahmet Pacha le Bombardier" (Humbaraci Osman Ahmet), connu pour avoir réorganisé l’artillerie ottomane, et dont le tombeau se trouve dans le cimetière du couvent des derviches "Mevlevis" de Galata.

 

Le comte de Bonneval par Liotard

Mais d’autres, moins fameux, n’ont pas hésité à s’embarquer, un balluchon à la main, en quête de fortune. Jean-Jacques Rousseau explique dans Les Confessions : "Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour Constantinople où il était appelé, et devint horloger du sérail".  Jean-Jacques naîtra des retrouvailles de ses parents après le séjour turc d’Isaac Rousseau. Isaac a-t-il vraiment réglé les pendules du palais, ou n’était-il qu’un simple artisan parmi tant d’autres chargés d’entretenir en Orient les montres que les Suisses commençaient à exporter ? Quoi qu’il en soit, travailler pour le sultan était le rêve de nombreux aventuriers.

 

Plaque pour Isaac Rousseau à Galata

 

La famille Glavany

La famille Glavany s’installe à Péra à la fin du XVIIe siècle. Banquiers et commerçants, ils font édifier un manoir de bois si majestueux que la traverse reliant l’avenue des Petits Champs à la Grande rue de Péra prend leur nom. Et deviennent si célèbres que vers 1740, le peintre Jean-Etienne Liotard fait poser Hélène Glavany en costume turc pour l’une de ses toiles.

En 1892, l’hôtel particulier des Glavany se métamorphose, par les soins de l’architecte Semprini, auteur de l’église Santa-Maria Draperis, en immense édifice de style néo-renaissance à la façade ornée de cariatides, qui deviendra le fameux Grand Hôtel de Londres, un des points de chute favoris, avec le Péra Palace et le Tokatlyan, des voyageurs de l’Orient-Express.

grand hotel de londres
Grand Hôtel de Londres

 

Ce prestigieux hôtel est encore aujourd’hui le rendez-vous des nostalgiques qui viennent y admirer ses sols tendus de tapis rouges, ses lustres en cristal de Bohème et son décor délicieusement suranné où voisinent vieux poêles de fonte colorée, volières désuètes et radios d’un autre âge. Quant aux riches levantins, d’autres vestiges de leur gloire passée sont encore visibles à Istanbul : le "Manoir Glavany", à Üsküdar, édifié en 1893 par David Glavany, l’un des fondateurs de la Banque ottomane, qui, peu à peu tombé en ruine et pillé par les chercheurs de trésor, est actuellement en cours de restauration ; et l’immeuble Glavany, dans la ruelle Postacılar, à Beyoglu.

"Riche comme les Alléon"

La famille française du comte Alléon s’était réfugiée à Istanbul lors de la Révolution française. Exerçant le métier de banquiers, les Alléon s’installent dans un manoir de Büyükdere, au bout du Bosphore puis font édifier, Grande Rue de Péra, une imposante demeure qui abritera ultérieurement le célèbre magasin "Le Bon Marché". Un peu plus tard, en association avec les Baltazzi, ils fonderont la banque de Constantinople, et feront construire un autre grand édifice, l’Immeuble Alyon, qui donnera son nom au "Passage Alyon". Mais leurs affaires périclitant au XIXe siècle, ils finiront par retourner en France.

 

Grande Rue de Péra avec le Bon Marché
Grande Rue de Péra avec le Bon Marché

 

La Grande Pharmacie della Suda

Une des plus importantes pharmacies ottomanes était celle d’un italien, Francesco Della Suda. Misérable orphelin, il entre en apprentissage chez un chimiste à l’âge de douze ans puis devient l’assistant d’un pharmacien à l’hôpital de Maltepe. Ses compétences sont telles qu’elles l’élèvent au grade de Directeur de la pharmacie de l’armée ottomane. En 1850, il ouvre à Beyoğlu la "Grande pharmacie della Suda", l’une des premières officines d’Istanbul. Eclate la guerre de Crimée. Francesco déploie tant d’efforts pour fabriquer des médicaments et secourir les blessés de tous bords qu’on le nomme "général". Il s’appellera désormais "Faik Pacha". Son fils Giorgio sera parmi les membres fondateurs du Conseil médical civil de l’Empire ottoman, remportera de nombreuses médailles dans des concours à Paris ou à Londres et sera aussi récompensé par le titre prestigieux de "pacha". La "Rue Faik Pacha", à Çukurcuma, perpétue le nom de ces deux pionniers de la pharmacie ottomane.

 

faik pasa istanbul
Francesci della Suda ou Faik Pacha

 

"Chez Lebon, tout est bon"

Arrivé en 1805 dans la suite d’Horace Sébastiani, le cuisinier Lebon abandonne le service de l’ambassadeur de France pour s’installer définitivement à Istanbul. Son fils, Edouard Lebon, embauché comme apprenti par Vallaury, confiseur du palais, apprend peu à peu les arcanes du métier et finit par épouser la fille de son maître. Il commence par créer le café de Saint-Pétersbourg puis s’installe finalement dans le Passage oriental, construit par son beau-frère, le célèbre architecte Alexandre Vallaury, et il y fonde la Pâtisserie Lebon, qu’il décorera des fameux panneaux de faïence Art Nouveau représentant l’automne, le printemps et l’été. Suite à un accident, le motif de l’hiver manque. "A l’encontre des Trois Mousquetaires, de Dumas, écrit Said Naum-Duhani, les quatre saisons de Lebon ne sont que trois." Lebon est alors le seul à posséder un authentique four à gâteaux et livre à Dolmabahçe. Ce sera finalement pour la visite de l’empereur d’Allemagne que le sultan Abdülhamid ordonnera la construction d’un four identique dans les cuisines du palais. Entre temps, Lebon est devenu si célèbre que tous les voyageurs de l’Orient-Express, dont Sarah Bernhardt, viennent déguster ses gâteaux. Son ancien apprenti et successeur, Kosti Litopoulos, déménagera de l’autre côté de la rue pour installer la Pâtisserie Lebon à l’endroit où elle se trouvait avant sa récente fermeture. Quant à l’emplacement demeuré vide, il prendra ensuite, en 1940, le nom de Pâtisserie Marquise. 

 

Panneau de la pâtisserie Lebon puis Markiz.
Panneau de la pâtisserie Lebon puis Markiz

Les Stavolo, des artistes au service du sultan

En 1893, au Palais de Yildiz, le seul à posséder un théâtre, entre en scène la famille Stravolo, des comédiens et chanteurs italiens qui ambitionnent de réussir en Orient. Les Stravolo sont doués : Arturo est comédien et chanteur d’opéra-bouffe, Alfredo ténor, Olympia cantatrice, la belle-fille, Emilia, Prima donna. Bien vite, le sultan Abdülhamid, qui les a remarqués au théâtre des Petits-Champs, s’entiche des Stravolo et ne peut plus se passer de la dynamique "smala". Arturo, qui le fait rire, est nommé Directeur du théâtre et obtiendra plus tard le titre de "Bey" puis celui de "gouverneur".  

 

palais de Yildiz istanbul
Théâtre du Palais de Yildiz

Il faut dire que l’Italien ne recule devant rien pour satisfaire Abdülhamid. Soucieux de renouveler son répertoire, il part souvent en Europe pour y dénicher les derniers spectacles. Et nul n’est plus dévoué que lui. Les représentations n’ont pas lieu à jour fixe mais seulement quand le sultan en a envie ; la troupe se prépare sur-le-champ et joue ce que le maître demande, essentiellement des opéras italiens, comme l’indiquent les archives données à la Turquie par les descendants des Stravolo. Sa Majesté semblerait-elle sombrer dans la mélancolie lors de la représentation ? Arturo fait tout arrêter et se transforme en clown pour la dérider. Sa Majesté a demandé qu’on représente Le Trouvère, puis, au dernier moment, elle aurait préféré Le Barbier de Séville ? Qu’à cela ne tienne, on change prestement costumes et maquillages et on interprète Beaumarchais. Le sultan veut voir La Norma, son spectacle préféré mais ne supporte pas la présence d’enfants sur la scène ? On remplace les enfants par des soldats travestis. Les opéras qui se finissent mal attristent Sa Majesté ? On en change le dénouement. La Traviata se métamorphose en Madame Camélia, guérie in extremis par un médecin.

 

Arturo Stravolo
Arturo Stravolo

 

Fier de diriger la "Troupe du sultan", Arturo est exclusif. Peu d’artistes étrangers auront l’honneur de se produire sur la scène de Yildiz pendant les quinze années où il règnera sur les divertissements impériaux. Les Stravolo portent d’ailleurs tous un uniforme symbolisant leur fonction et s’enorgueillissent de titres militaires offerts par le souverain. Car Abdülhamid est généreux. Chaque fois qu’il reçoit un invité de marque, il lui offre un spectacle et après, récompense les artistes par de somptueux cadeaux. Le souverain aime ceux qui lui font oublier les tracas du pouvoir…

Tous ces étrangers venus à Istanbul chercher fortune n’en sont généralement repartis que contraints et forcés par la chute de l’Empire ottoman. On pourrait citer une multitude d’autres exemples, tant ont été nombreux ceux qui sont venus, plein d’espoir, se mettre au service des sultans…

 

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