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Fin de l’IVG aux États-Unis : Vers encore plus d’inégalités sociales !

Une feuille se déchire Une feuille se déchire
Écrit par Rachel Brunet
Publié le 27 juin 2022, mis à jour le 30 juin 2022

À l'annonce de cette volte-face historique de la part de la Cour suprême laissant le droit d'autoriser ou d'interdire l'avortement au choix des États américains, pas moins de onze d’entre eux — Républicains — en ont profité pour bannir immédiatement les interruptions de grossesse sur leur sol. Avec la révocation de l’arrêt Roe vs Wade qui garantissait jusqu’ici, aux femmes, le droit à l’avortement dans le pays depuis 1973, la situation aux États-Unis revient à celle en vigueur avant cette date symbolique pour la liberté des femmes. Il y a désormais donc cinquante législations différentes. Une par État. Et avec, un pas de plus les inégalités sociales et de genre.

 

La fin de l’IVG et plus d’ inégalités

Décider si, et quand, avoir un enfant est essentiel pour le bien-être économique et psychologique d’une femme : cela a des implications pour son éducation, de même que pour son accès au marché du travail. Dans une étude de 2018, basée sur des entretiens recueillis auprès de 813 femmes aux États-Unis au cours d’une période de cinq ans, les chercheurs ont constaté que les femmes auxquelles on avait interdit d’avorter étaient plus susceptibles de se retrouver en situation de pauvreté dans les six mois qui suivaient, que celles qui avaient pu interrompre leur grossesse. Les femmes qui se voient refuser l’avortement sont également moins susceptibles d’avoir un emploi à plein temps et plus susceptibles de dépendre de l’aide publique sous une forme ou une autre. Dans les deux cas, les effets restaient significatifs pendant quatre ans. Sûrement une corrélation avec l’âge d’entrée à l’école aux États-Unis. Par ailleurs, les Afro-américaines présentent les taux d’avortement les plus élevés du pays. Ceci est une conséquence de l’important écart de richesse entre les familles blanches et noires, qui reste constant même parmi les familles pauvres.

 

Cette décision de la Cour suprême américaine intervient près de 6 ans après l’élection de Donald Trump, en novembre 2016. Et elle n’est pas le fruit du hasard mais bien une stratégie mise en place par l’ancien président républicain. Alors qu’il prêtait serment à Washington le 21 janvier 2017, des millions de femmes marchaient dans la capitale américaine, et partout aux États-Unis, pour protester contre l'élection du 45e président des États-Unis. Au-delà des propos insultants tenus à l'encontre des femmes, ce sont ses positions ouvertement contre l'avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps librement qui avaient inquiété les citoyennes et les citoyens des États-Unis. À juste titre !

Dans l’entourage proche du président, dès le début de son mandat : le Vice-président Mike Pence, qui avait restreint l'accès à l'avortement dans l'Indiana où il était gouverneur de 2013 à 2017 ; Neil Gorsuch, juge à la Cour suprême, contre l'avortement ; Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, pour qui l'avortement n'était possible qu'en cas de danger vital pour la mère, ou encore Charmaine Yoest, secrétaire d'État à la Santé d’alors et ancienne présidente du groupe anti-IVG Americans United for Life. Le message avait été clair dès le départ et pour le résultat que l’on connait aujourd’hui. Après avoir permis à Brett Kavanaugh, d’accéder à la Cour Suprême et en nominant Amy Coney Barrett, pour succéder à la progressiste Ruth Bader Ginsburg à la Cour suprême, en 2020, Trump scellait le sort des États Unis pour plusieurs décennie. Farouchement opposée à l’avortement, la juge Barrett appartient au groupe People of Praise lequel prône que les maris ont autorité sur leur épouse et doivent diriger leur famille.

En avril 2017, le Planning Familial devenait aussi la cible de l’administration Trump. Cette organisation qui a pour mission de militer en faveur de l'éducation sexuelle et de garantir aux femmes un accès aux soins de santé et à la santé reproductive, avait vu ses financements publics tout simplement annulés par promulguation d’une loi abrogeant la sanctuarisation des financements publics des cliniques du Planning Familial pratiquant l'interruption volontaire de grossesse.

Juste après l’annonce de la haute cour vendredi, le président Biden a demandé aux responsables sanitaires de s’assurer que les pilules abortives soient disponibles pour les Américaines, en affirmant qu’il ferait « tout ce qui est en son pouvoir » pour protéger les droits des femmes dans les États où ils seraient affectés par la décision.

Les pilules, qui peuvent être utilisées jusqu’à 10 semaines de grossesse aux États-Unis, représentent la moitié des avortements dans le pays. La demande devrait encore augmenter après qu’une dizaine d’Etats ont interdit ou imposé des restrictions draconiennes à l’avortement, et d’autres devraient suivre.

 

Mortalité maternelle, marqueur « inégalité des chances »

Chaque année, aux États-Unis, entre 700 et 1200 femmes meurent à la suite de complications liées à la grossesse ou lors de l'accouchement et pas moins de 60.000 femmes enceintes souffrent de graves problèmes de santé. Les complications dues à la grossesse tuent trois à quatre fois plus les mères noires que les mères blanches non hispaniques, et les bébés nés de femmes noires meurent deux fois plus souvent.

Au pays de l’Oncle Sam, une fillette noire a plus de chances qu’une fillette blanche de grandir dans un appartement insalubre. En grandissant, elle aura moins de chances d’accéder à un niveau d'éducation égal à celui d’une fillette blanche, et elle recevra aussi moins de soins médicaux. Par ailleurs, 72 % des mères noires sont cheffes d’une famille monoparentale. Difficile de se payer une bonne assurance santé dans un pays où accoucher peut facilement coûter jusqu’à 10.000 dollars. D’autant plus qu’une femme noire gagne 62 centimes pendant qu’un homme blanc gagne 1 dollar.

Ainsi, s’en suit une réelle économie sur le suivi des soins de santé. Et cela se retrouve également au sein des services de conseils et de planification familiale. Les femmes afro-américaines sont donc plus enclin à moins recevoir de soins de santé, ou même un suivi médical régulier, ce qui contribue aux disparités raciales dans les facteurs de risque liés à la grossesse comme l'hypertension, l'anémie, le diabète, l'obésité, les maladies cardiaques, le VIH, le SIDA et le cancer. 

Les docteurs  Michael Lu, professeur agrégé d'obstétrique et de gynécologie, et le Docteur Neal Halfon, directeur fondateur du Centre pour les enfants, les familles et les communautés de l'UCLA  expliquent que « même en recevant des soins, les femmes noires sont moins prises au sérieux que les femmes blanches ». Preuve d’un racisme latent au sein même des hôpitaux. Les deux médecins qui se sont penchés sur ce phénomène de mortalité maternelle accrue chez les femmes afro-américaines mettent en avant des postulats politiquement peu corrects. En même temps, où est passé le politiquement correct aux États-Unis ?

Pour Michael Lu et Neal Halfon, ce racisme latent aux États-Unis, et notamment dans les zones rurales, est un facteur de ce phénomène de mortalité. Les femmes afro-américaines sont moins écoutées et moins entendues dans les hôpitaux et maternités. Face aux complications de la grossesse et de l’accouchement en lui-même, elles ne sont donc pas considérées de la même manière que les femmes blanches et meurent plus alors que dans la majorité des décès, les femmes afro-américaines pourraient être sauvées. Un drame sociétal tant effroyable qu’injuste.

 

La mortalité infantile inégale

Si les mères afro-américaines ont plus de chances de mourir en mettant leur enfant au monde que les femmes blanches, l’inégalité des chances de vie entre les bébés noirs et blancs est aussi malheureusement criante.

De 2005 à 2012, le taux de mortalité infantile chez les nourrissons noirs a baissé, passant de 14,3 à 11,6 pour 1.000 naissances avant de se stabiliser à 11,7 en 2015. Mais il reste deux fois plus élevé que chez les enfants blancs dont le taux «plafonne» à 4,8 pour 1 000 naissances de 2005 à 2015. En clair, un bébé né aux États-Unis est deux fois plus en danger dans une famille noire que dans une famille blanche. 

L’Association américaine de pédiatrie  explique ces chiffres par les difficultés d’accès aux soins des femmes noires. Ces dernières pèsent un poids relativement important dans la classe sociale la plus modeste, et leur faible accès aux soins est tout aussi important avant, pendant ou après la naissance de leur enfant. L’association des pédiatres souligne une autre disparité, un plus grand pourcentage de bébés prématurés chez les femmes noires. Le taux de naissance avant terme y est près de 50 % plus élevé que chez les femmes blanches. Un autre facteur alarmant qui engendre là, encore, une chance de mortalité supérieure chez les bébés noirs.

 

National Birth Equity

Selon les spécialistes, 60 % de ces morts, tant des mères que des nourrissons, pourraient être évitées. Sur l'ensemble du territoire américain , un « Birth Equity Movement » existe et rassemble des organisations telles que la National Birth Equity Collaborative ou encore Black mamas matter, pour œuvrer en faveur d'une justice reproductive. Composées d'universitaires, de membres du corps médical et de militantes communautaires, ces organisations ont mené différentes études et actions de terrain permettant de déterminer que des biais liés à la pauvreté, au racisme ainsi qu'aux inégalités sociales et économiques étaient des facteurs aggravants de la situation. 

Aux États-Unis, où les inégalités sociales se creusent depuis des décennies, le dessein d’égalité entre la population afro-américaine et la population blanche semble encore lointain, même en ce qui concerne la survie des mères et de leurs nourrissons. Et l’interdiction d’accéder à l’IVG dans certains États américain ne fera qu’accroître ces inégalités, pour l’avenir des mères mais aussi pour l’avenir des enfants.

 

Et le droit d'accès à la contraception dans tout ça ? Garanti par l'arrêt Griswold vs Connecticut, le droit à la contraception est assuré depuis 1965 outre-Atlantique. Après avoir fait un bond de 50 ans en arrière sur l'avortement, la Cour suprême reculera-t-elle de dix années supplémentaires ? C'est ce qu'a laissé entendre l'un des neuf juges de l'institution. Dans de futurs dossiers concernant, eux aussi, le respect de la vie privée, « nous devrions revoir toutes les jurisprudences », a écrit le juge de la haute juridiction, Clarence Thomas, dans un argumentaire personnel qui accompagne la décision.