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Chez François, la poutine servie par de jeunes adultes handicapés

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Écrit par Rachel Brunet
Publié le 24 mars 2021, mis à jour le 24 mars 2021

Chez François Poutinerie ouvrira ses portes durant l’été 2021 à Naperville, en banlieue de Chicago. Plus qu’un restaurant, c’est un lieu d’inclusion qu’est en train de dessiner Thi Tram Nguyen, une femme bourrée d’énergie et de bonne humeur communicative.  Une maman au grand coeur. La maman de François, né au Québec il y a 16 ans avec un handicap qui s’appelle l’autisme. Pour son fils et les autres enfants handicapés, elle porte un projet humain, gastronomique et social.

 

Adultes handicapés

François et sa maman, Thi

 

 

Maman d’un enfant autiste

« Aux États-Unis, les jeunes handicapés sont très bien accompagnés jusqu’à leur majorité, mais après il n’y a plus rien pour les aider et peu d’entreprises les recrutent sauf pour quelques heures, par-ci par-là, » explique Thi Tram Nguyen. Le devenir des jeunes adultes handicapés est une véritable angoisse pour leurs parents. « Une fois adultes, les handicapés se renferment sur eux parce qu’aucune structure ne les accompagne, contrairement au Canada ou à la France » rajoute Thi. Alors, elle a décidé de se lancer dans un combat, créer un business qui emploiera de jeunes adultes en situation de handicap. « On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même » lance-t-elle avec un grand sourire que l’on devine à l’autre bout du fil.

Thi Tram Nguyen est ce que l’on appelle une « boat people ». Avec sa famille, elle fuit le Vietnam alors qu’elle a huit ans. C’est grâce à La Croix-Rouge et à un parrainage du village de Pierrelatte où vit alors l’un de ses oncles qu’elle arrive enfant en France. « C’est là que j’ai appris le français » explique-t-elle avec un léger accent, non pas provençal mais  québécois. Plus tard, avec ses parents, elle rejoint Montréal où elle poursuit ses études à l’université et entame une belle carrière dans l’univers pharmaceutique. Un mariage, puis né François. Il est diagnostiqué autiste. « Il y a huit ans, mon mari a eu l’opportunité d’une mutation à côté de Chicago, mais je ne savais pas si c’était une bonne idée de changer notre fils d’univers. À l’époque, il ne parlait pas, » se souvient la maman. En visitant la région de Chicago, le couple découvre toutes les aides et structures mises en place pour les enfants comme François. La famille s’installe aux États-Unis et le jeune garçon se révèle. Inscrit dans une école où se mélangent enfants « normaux » et enfants handicapés, François se met à parler, à éclore. Il découvre, accompagné de son « peer buddy » une vie normale où se mélangent école, activités extra-scolaires, participation associative et vie sociale. Grâce à ce programme qui favorise l'inclusion, encourage le développement de relations sociales et améliore la réussite scolaire des élèves handicapés, « François fait des activités avec ses amis, va à la piscine, à une vie normale » explique Thi. Mais si le présent est encourageant, l’avenir et le devenir de François à compter de son 22e anniversaire inquiète cette mère courage qui s’est lancée dans ce qu’elle appelle une « bataille communautaire » pour son fils, mais aussi pour les autres jeunes handicapés.

 

Une aventure humaine et sociale 

« Avec mon mari, nous avons souvent dit que nous devrions ouvrir un restaurant de poutine » sourit la presque quincagenaire. Parole de Québécois ! Un plat traditionnel composé de frites, de fromage et de sauce. Un plat riche originellement « paysan » mais qui connaît tant succès que renommée. Il est même devenu un must dans les capitales internationales à l’instar de Paris. « C’est un plat très simple à préparer qui demande des gestes presque mécaniques » explique-t-elle. Autrement dit des gestes que les personnes autistes aiment faire, avides de précision et de régularité.

C’est ainsi que né le projet de Chez François Poutinerie, « on crée un business pour que François et ses amis aient un travail ». Une véritable aventure humaine, sociale. Un restaurant, lieu d’inclusion. « Notre objectif est d'offrir des possibilités d'emploi aux adultes ayant une déficience intellectuelle. Nous ne faisons pas cela comme un effort de charité, mais pour inclure ces personnes spéciales dans notre équipe. Ils feront partie intégrante de l'équipe qui apportera de la valeur à nos clients et à la communauté. Le pouvoir des copains est primordial ! Ils apprennent tous les uns des autres, la compassion, l'empathie, l'appartenance et l'équité. »

 

Adultes handicapés

Thi et sa famille

 

Accompagnée de Tim Baker — un ami serial entrepreneur dans l’industrie de la restauration — qui a pourtant jugé le projet « complètement fou », Thi développe, affine, pense et parfait ce projet jusque dans le moindre détail. Un projet d’avenir pour tant de jeunes handicapés. Une fois le projet ficelé, Thi crée une page Facebook, « en une semaine, j’ai eu 800 followers sur Facebook, et tant de parents d’enfants handicapés qui veulent nous offrir leurs services en soutien du projet ». Chez François Poutinerie crée l’émulation auprès des parents d’enfants autistes mais aussi auprès des médias attentifs et sensibles à ce projet d’inclusion.

Rassurée par le discours du président Macron lors de l’inauguration du Café Joyeux, à Paris, — un restaurant employant des adultes trisomiques — Thi croit en son projet autant qu’elle croit dans les capacités des enfants autistes. « Le discours d’Emmanuel Macron était un vrai trésor pour ces enfants ». Et de rajouter « pour l’inauguration, nous prévoyons une soirée « red carpet », une grande soirée médiatisée où tous les employés seront en smoking ». Plusieurs chaînes télé ont déjà répondu présent à cette inauguration hors norme.

« Pour un adulte handicapé, avoir un travail est une véritable fierté, ils sont des employés loyaux, heureux au travail » explique l’entrepreneure. Pour l’avenir de son fils, Thi est prête à tout, même à risquer ses économies. Dans un éclat de rire, elle lâche « si je perds tout, tant pis, je n’irai pas passer ma retraite en Floride. J’irai en Thaïlande, c’est moins cher ! ». Derrière son humour, se cache une véritable détermination, une soif de réussir et d’offrir le meilleur à des enfants dont l’avenir reste incertain. « J'ai fait l'expérience de l'empathie, de la gentillesse et du soutien du district scolaire de Naperville et de ses résidents. Je veux à mon tour redonner à la communauté en offrant des opportunités d'emploi tellement nécessaires aux adultes ayant une déficience intellectuelle. »

« Chez François Poutinerie, c’est un restaurant, donc une entreprise qui sera profitable. À côté, il y a l’association Friends of François, qui comptera un centre d’apprentissage pour les jeunes handicapés, rejoint par une équipe de professeurs spécialisés à la retraite qui sont déjà volontaires pour voler au secours et en renfort de cette aventure humaine. » Et de rajouter « j’ai une armée de soldats avec moi qui alertent élus, sénateurs, gouverneurs... » Thi est partie en croisade, prête à enfoncer toutes les portes. Une fois ce premier restaurant ouvert, Thi compte franchiser son restaurant et voir des Chez François Poutinerie éclore aux quatre coins des États-Unis. « Ce n’est pas pour faire fortune, c’est pour les enfants handicapés ».

 

Elle rappelle souvent à son mari « je suis partie de mon pays avec un pantalon et un pull. Je suis montée dans un bateau et regarde où je suis aujourd’hui ».

Parole de maman guerrière, prête à tout pour l’avenir de son enfant autiste. Et l’avenir des autres enfants handicapés.