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Carolina Phillips : «  Les réfugiés sont vus comme des statistiques » 

Carolina Phillips réfugiés MunichCarolina Phillips réfugiés Munich
Écrit par Justine Hugues
Publié le 20 juillet 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Etablie en Allemagne, cette Française auteur de deux ouvrages, met toute son énergie au service de l’intégration des réfugiés et du changement des mentalités. 

 

Lepetitjournal.com : Des Etats-Unis à l’Allemagne, en passant par 10 ans de Royaume-Uni et un tour du monde en 21 étapes, vous semblez être une baroudeuse aguerrie. D’où vient ce goût des voyages et de l'expatriation ? Que vous ont-ils appris ? 

 

Carolina Phillips : Pour moi, le voyage fait partie de la norme. Mon père est finlandais. Je suis née et j’ai grandi au Portugal, avant de rentrer en France avec ma mère et mon frère. J’ai donc toujours passé une partie de mes étés à l’étranger.

Après mes études, je suis partie aux Etats-Unis approfondir mon anglais. Le pays m’a ouvert les yeux et m'a montré que tout était possible, à condition de le vouloir. C’est là que j’ai puisé le courage de partir faire un tour du monde seule, d'écrire des livres et tout le reste. Avec le temps, cette force s'est couplée à la confiance en la vie : cette sensation ancrée en soi que tout va bien se passer et qu’on peut le faire, un pas après l’autre. Le stress et la méfiance empêchent ou inhibent la réalisation de projets.

Pendant mon voyage puis après, en Angleterre, j’ai appris à connaître de nouvelles cultures et, en les comparant à la mienne, apprécier la différence. Au Royaume-Uni, les employeurs donnent plus de responsabilités et de chance aux employés. En Afrique et au Moyen Orient, j’ai pu apprécier les petites choses de la vie et relativiser. Et puis j’ai appris l’accueil, beaucoup plus fort dans ces pays qu’en Europe. 

 


Parlez-nous de votre expérience auprès des demandeurs d’asile de votre ville, laquelle a conduit à la publication de votre deuxième ouvrage. 

 

Pendant plus de deux ans, j'ai travaillé auprès des réfugiés de Poing, là où je suis installée, au nord de Munich. J'ai commencé avec rien, juste l'intention de vouloir aider les nouveaux arrivants à s'intégrer ainsi qu'à leur donner la possibilité de faire connaître leur culture. Pour moi l'intégration se fait dans les deux sens : les nouveaux arrivants ne peuvent pas s'intégrer si on leur ferme la porte au nez. Dans mon projet, j'ai toujours privilégié les rencontres, les fêtes, les partages, pour que les habitants apprennent à se connaître. 

J’ai vécu des moments forts et inoubliables avec les réfugiés et les bénévoles. Pour partager cette expérience, j’ai écrit un livre (Leur périple).  Ce que j'en retiens, c'est qu'il y a un grand écart entre le monde social, où se mêlent l'émotionnel et l'humanisme, et le monde politique où l'humanisme a disparu et les réfugiés ne sont vus que comme des chiffres et des statistiques. Les résolutions prises par l'Etat ont un impact majeur sur le système d'aide. Par exemple, comment expliquer à un Sénégalais qu'il ne peut pas travailler, aller au cours de langue ou d'intégration car il est réfugié économique et pas politique alors que son voisin de lit, un Syrien, le peut et aura le droit de rester en Allemagne? Je comprends que pour prendre des décisions touchant des milliers de personnes, il faut être rationnel et laisser de côté l'émotion. Mais rappelons nous que nous avons à faire à des être humains et que nous faisons partie des minorités qui ont une belle vie. Le minimum que nous puissions faire est d’aider. 

 

Carolina Phillips réfugiés Munich

 

 

Aujourd’hui, vous faites un travail de sensibilisation à l’asile en milieu scolaire. A l’heure où les migrations font l’objet de fortes tensions intra-européennes, avez-vous pu constater des différences majeures dans l’accueil et les mentalités entre la France et l'Allemagne ? 

 

Lorsque je vais dans les écoles ici en Allemagne, je suis accompagnée par des réfugiés pour que les enfants voient du concret : ce qu’il s’est vraiment passé lors des périples. Nous sommes toujours accueillis à bras ouvert par les professeurs, qui vont même parfois jusqu’à héberger des réfugiés. Les élèves quant à eux sont attentifs et curieux : ils ne se gênent pas pour poser les questions qui touchent le cœur du problème. 

Les échanges sont toujours intéressants et instructifs des deux côtés. Ce travail aide à valoriser les jeunes réfugiés, dans un cadre où ils se sentent appréciés et égaux. A la fin d'une rencontre avec des élèves de primaire il y a quelques mois, la classe a conclu: ''Alors si tu es ici, c'est que tu as eu de la chance!'' Le jeune sénégalais qui m'avait accompagné ce jour-là a souri: ''Oui!'' Ils ont tout compris...


En avril, je suis retournée dans mon ancien lycée, dans le Tarn, pour présenter mon travail auprès des réfugiés. Au début, j’ai eu du mal à capter leur attention, puis dès que j'ai commencé à raconter leur traversée du désert, de la Méditerranée et leur arrivée en Europe, on n'entendait plus rien dans la salle de classe. Les élèves se sont alors transformés. Les minorités de la classe ont osé prendre la parole et partagé leur ressenti sur leur propre expérience d'intégration. Certains m'ont demandé: « Comment avez-vous fait pour vous intégrer dans les pays dans lesquels vous avez vécu? » J'ai adoré cette question : cela voulait dire que les élèves pouvaient maintenant se mettre à la place des réfugiés qui essaient de s'intégrer en France.

Chez les Français comme chez les Allemands, beaucoup ne veulent plus entendre parler des demandeurs d'asile.  Je pense néanmoins que l’Europe peut trouver une solution avec une jeunesse ouverte et un peu de créativité. Chacun à son échelle peut faire quelque chose, même si ce n'est qu'une goutte dans l'océan. Hier par exemple, j'ai été invitée par un club de cartonnage de Munich à une vente aux enchères au profit de Mouhamed, un jeune sénégalais qui doit retourner chez lui et va monter une blanchisserie près de Dakar. Il a été très touché de recevoir l’argent et ce moment de solidarité lui a donné encore un peu plus de force dans son retour. Nous pouvons aider les réfugiés à s’intégrer en leur ouvrant la porte, mais nous pouvons aussi accompagner au mieux ceux qui doivent repartir : cela s’appelle la fraternité et l’entraide. 

 

 

Votre statut d’expatriée a-t-il été un frein ou un appui dans la mise en place de vos différents projets ?

 

Je n'aime pas trop le mot expatrié ou plutôt la connotation qu'on lui donne. Je suis juste une française à Munich, au milieu de beaucoup d’autres nationalités.  En tant qu'étrangère, je pense que cela a été plus facile pour moi de toucher les réfugiés car d'un côté j'étais « un peu » comme eux. Par contre,  pour tout ce qui a été administratif, création du projet, se faire prendre au sérieux, ça a été difficile. Cela a pris beaucoup de temps mais j’ai tenu bon. J'ai été soutenue par une association allemande, le « Familienzentrum », ce qui m’a permis d’aller rencontrer les écoles, la marie, les clubs sportifs… Le maire de Poing a même fini par écrire un avant-propos pour mon livre ! 

 

Quels sont vos endroits préférés de Munich, que vous recommanderiez à nos lecteurs ? 

 

  • Les jardins de Nymphenburg et leur petit café (Schlosscafé im Palmenhaus), quand nous avons de la visite (famille/amis)
  • Ostpark et son Biergarten pour une ambiance bien bavaroise
  • Le Cinéma Theatiner pour regarder des films internationaux
  • Le restaurant Sushis and Soul pour s'échapper
Justine Hugues
Publié le 20 juillet 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

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