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URBANISME - Cultiver la Ville (Partie 2)

Écrit par Lepetitjournal Montreal
Publié le 4 août 2015, mis à jour le 8 février 2018

 

Suite de notre dossier "Cultiver la ville". Les rencontres de l’Ecole d’agriculture urbaine, qui auront lieu semaine prochaine, sont aussi l’occasion de s’interroger sur la situation de l’agriculture urbaine et périurbaine aujourd’hui et sur ses perspectives de développement.

 

Les Vallons Maraîchers à Compton (Québec)

 

Qu’est-ce exactement que l’agriculture urbaine ? Et pourquoi faudrait-il à tout prix cultiver la ville ? Si on compare la situation au Québec et en France on se rend compte, malgré des différences de contexte évidentes, que les enjeux se convergent.

 

"Seulement 2 % de la superficie totale du Québec est constituée de terres propices à l’agriculture"

 

Le rapport sur l’agriculture périurbaine et urbaine au Québec réalisé en 2012 par la Direction de l’appui au développement des entreprises et de l’aménagement du territoire souligne bien l’enjeu à protéger les territoires agricoles face à la pression urbaine « alors que seulement 2 % de la superficie totale du Québec est constituée de terres propices à l’agriculture ». La Communauté Métropolitaine Montréalaise est concernée en premier lieu puisque qu’elle concentre une majorité des terres du Québec favorables à l’agriculture, qu’elle jouit de conditions climatiques plus clémentes que le reste de la province, mais aussi qu’elle se situe à proximité directe des grands bassins de consommation. Ceci explique que la plupart des entreprises maraîchères du Québec se trouvent dans un rayon de 100 km autour de la métropole, faisant du bassin montréalais le « panier alimentaire » des Québécois, et un pôle agricole majeur. Cependant un développement urbain massif, à partir des années 1960, a eu de profondes conséquences sur la réduction de l’activité agricole dans la région métropolitaine.

Parmi ses effets qui se font toujours sentir, Claude Marois (dans la revue Développement social en 2010) fait état de la « déstructuration de l’agriculture dans certaines zones périurbaines, la perte de superficie agricole, la réduction du nombre de fermes, la quasi‐disparition de la production laitière et des fermes d’élevage et le remplacement par des grandes cultures, l’accroissement de la spéculation foncière,… ». Afin de limiter le phénomène, le gouvernement québécois adopte en 1978 la Loi sur la protection du territoire agricole, remplacée en 1996 par la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Ces lois ont un effet notable sur le maintien des territoires agricoles autour des villes, mais l’agriculture que l’on y pratique fait toujours face à de fortes contraintes qui menacent sa pérennité. En premier lieu, le morcellement des terres agricoles, qui compromet la rentabilité des exploitations. Mais aussi une spéculation foncière accrue, qui pousse de nombreux propriétaires de terres non-constructibles autrefois cultivés, à laisser des parcelles s’enfricher dans l’espoir d’un changement d’affectation.  

 

En France, la problématique est la même. On estime que depuis les années 60, 20% de la surface agricole utile (c’est à dire l’ensemble des terrains potentiellement cultivables) ont disparu sous l’étalement urbain. Ce sont les terroirs agricoles les plus fertiles (qui historiquement ont pourtant constitué l’une des ressource naturelle majeure du pays) qui ont été les plus touchés : notamment dans le bassin parisien et autour des grandes agglomérations françaises.

Ferme du Bec Hellouin, en Haute-Normandie, a un objectif : prouver que des micro-fermes en permaculture, sans intrants ni pétrole, peuvent garantir une production locale et durable de produits bio de qualité

En effet on oublie trop souvent que les villes ne se sont pas implantées et développées au hasard, mais bien à proximité des terres agricoles les plus riches, et qu’au cours de ces 50 dernières années ce sont ces terres là qui en premier lieu ont été gagnées par le bitume et béton.

De plus il faut avoir à l’esprit que la destruction de terres à fort potentiel agronomique est un processus quasi-irréversible. En effet, il faudrait compter des centaines voire des milliers d’années pour espérer retrouver la fertilité naturel initiale de tels sols.

 

Cependant, des techniques issues de la permaculture et du génie écologique permettent à petite échelle de rendre à nouveau cultivable des terrains aux sols détruits comme les fiches urbaines, les terrains remblayés ou même pollués.

Ceinture de ferme urbaine à Détroit. Les habitants retournent à la terre pour construire ce qui, auparavant, n'était que débris et mauvaises herbes
A l’instar de la ville de Rosario en Argentine, Detroit (USA-Michigan) est l’emblème qui illustre le mieux cette reconquête de l’agriculture sur la ville en déclin. Après une grave crise qui a secoué de plein fouet l’industrie automobile dès la fin des années 60, conduisant à des problèmes économiques et sociaux accrus, les habitants de Detroit ont désormais repris leur destin en main. En effet depuis la fin des années 70, les habitants se sont peu à peu auto-organisés en une multitude des mouvements collaboratifs qui participent activement au développement d’une agriculture vivrière de proximité. Avec une superficie équivalente à la ville de San Franscisco, les fiches laissées par l’industrie sont une aubaine pour développer cette activité agricole. Avant tout, l’agriculture urbaine permet ici de répondre à la pauvreté et à la pénurie de produits frais dans les supermarchés de la ville. Chacun peut ainsi, à proximité directe de son logement, cultiver lui-même, échanger, ou acheter à des coûts réduits des produits agricoles par le biais d’associations de quartiers, de coopératives ou de fermes urbaines. Mais l’aspect vivrier n’est pas le seul bénéfice pour la population de Detroit. Dans une ville particulièrement touchée par la criminalité et les conflits ethniques, le développement de ce mouvement a permis d’atténuer les tensions, de réduire l’isolement, de refaire du lien entre les communautés, de créer des emplois, de partager des savoirs et des savoirs-faires et contribuer ainsi à des formes d’éducation populaire. Bref de redonner l’envie de sortir de chez soi, d’apprendre, et de faire des choses ensemble.

 

Au Québec comme France il y a donc un enjeu majeur au maintien des terres agricoles urbaines et péri-urbaines, ou du moins de ce qu’il en reste. En plus de cet enjeu foncier lié à la qualité de ses sols, le développement de l’agriculture en ville répond à d’autres enjeux environnementaux majeurs : accroissement de la biodiversité, réduction de l’effet de serre et des phénomènes d’îlots de chaleur crées par les villes, récupération et recyclages de l’eau pluviale et des déchets alimentaires (grâce au compostage).

 

Mais l’agriculture urbaine répond aussi à un grand nombre d’enjeux sociaux. Dans les pays occidentaux on constate d’abord une demande sociale de plus en plus forte pour des produits alimentaires de qualité, respectueux de la santé et de l’environnement. Couplé à cela, le développement de nouveaux modèles économiques éthiques (économie circulaire, économie sociale et solidaire) favorise l’attrait d’une certaine partie des consommateurs pour les filières locales et les circuits-courts : ventes directes à la ferme, marchés de producteurs, paniers bio (type AMAP en France ou ASC au Québec). Bien qu’il ne s’agisse pour l’instant que d’expériences assez singulières, il est très probable que l’agriculture urbaine deviennent au cours des prochaines décennies une activité économique généralisée, nécessaire pour répondre à l’accroissement de population et à la diminution des ressources.

 

"Dans les grandes métropoles, les populations expriment de plus en plus un besoin vital de contact à la nature"

 

Certaines initiatives sont en train de prendre le chemin d’un développement à une plus grande échelle de l’agriculture urbaine. Au Québec, on citera notamment les fermes Lufa. Le fondateur Mohamed Hage et son équipe (ingénieurs, architectes et agronomes) ont aménagé une première serre commerciale sur le toit d’un immeuble du quartier Ahuntsic à Montréal. Il s’agit de proposer des produits locaux sans intermédiaires, sous forme de paniers bio. Deux nouveaux projets verront bientôt le jour dans la région de Montréal et l’entreprise prévoit également de s’établir à Toronto et dans différentes villes des États‐Unis. En France à Bordeaux, une initiative intéressante est train de prendre corps sur le site d’une ancienne fiche ferroviaire et militaire en cours de reconversions (Darwin / La Caserne Niel). Le temps que les nouveaux immeubles ne voient le jour, la ZAUE (Zone d’agriculture urbaine expérimentale) propose d’investir le lieu durant 3 ans pour que puissent s’installer un ensemble de projets agricoles provisoires : maraîchage, micro-élevages, ruches, champignonnière, ateliers pédagogiques, etc.

 

Mais si l’agriculture urbaine connaît un fort engouement, c’est aussi car elle permet à chacun d’y prendre part à son échelle. Dans les grandes métropoles, les populations expriment de plus en plus un besoin vital de contact à la nature. Et quoi de plus déstressant que de mettre les mains dans la terre ou d’arroser son potager après une journée de boulot et des heures passées dans le métro.

 

L’agriculture urbaine est productrice de cercles vertueux tant sur le plan social et environnemental, qu’économique. Mais il reste encore un long chemin pour qu’elle puisse être réellement être reconnue et soutenue par les gouvernements à la hauteur de son utilité sociétale. Et pour, qu’au delà d’un loisir réservé aux seuls « bobos », elle puisse aussi se démocratiser et devenir accessible au plus grand nombre, car elle reste encore aujourd’hui majoritairement connue et pratiquée par une population plutôt aisée et avertie. 

 

Cecile C. (www.lepetitjournal.com/montreal) Mardi 28 juillet 2015

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Publié le 4 août 2015, mis à jour le 8 février 2018

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