Festivaletteratura à Mantoue est l'événement phare de la rentrée culturelle depuis 1997. Les littératures du monde et leurs auteurs se croisent dans les places et les rues de la ville lombarde. Cette année, 64.000 billets ont été vendus et 48.000 personnes ont participé aux événements gratuits. La culture dans les rues résiste à la crise économique et lance un signal politique fort. La rédaction a rencontré les auteurs francophones à l'instar d'Emmanuel Carrère et vous décrit l'ambiance littéraire et populaire du festival.
Les raisons d'un succès
Le festival littéraire de Mantoue définit une inversion de tendance significative dans les comportements d'achat des Italiens. Pas d'austérité pour la culture. Le besoin de culture ne se plie pas toujours aux insuffisances économiques. Malgré le prix des billets plus cher que les années précédentes, les résultats de l'édition 2013 (du 4 au 8 septembre) de Festivaletteratura sont surprenants : 4.000 participants en plus aux événements payants et 8.000 aux événements gratuits par rapport à l'édition 2012.
Les rues et les places fourmillent de monde. Une foule impressionnante s'est rendue à Mantoue pour interroger le réel et pour partager des points de vue différents. Hors des universités et des écoles, la littérature devient un savoir matériel qui se fait contaminer par l'actualité mais qui a le pouvoir de l'expliquer. Festivaletteratura n'est donc qu'un prétexte pour que cette parole devienne communicable et se partage. Pendant ces quatre jours, on croise les auteurs dans les bars ou les librairies de la ville, on peut échanger avec eux quelques mots ou instaurer une véritable discussion.
Les protagonistesC'est Roberto Saviano, le célèbre auteur de Gomorra, qui ouvre la manifestation. Dans l'empire de la Camorra, le roman-enquête d'où Matteo Garrone a tiré le film éponyme, arrive à Mantoue accompagné par une escort d'agents de police qui l'accompagne depuis 2006. C'est en effet pour des raisons de sécurité que la présence de Saviano n'a été annoncée par les organisateurs que quelques jours avant le début de la manifestation. Il est toujours dans le viseur de la mafia. Son arrivée est accueillie par une énorme ovation, signe de la reconnaissance diffuse que le public lui rend.
Depuis la scène de Piazza Castello il revendique l'importance du savoir littéraire, capable d'intervenir et de modifier la réalité. La parole poétique, commune et partagée, est ainsi un instrument de lutte contre la criminalité organisée. ?L'écrivain devient d'autant plus dangereux qu'il est lu par un grand nombre de personnes? confie-t-il.
C'est toujours dans le cadre de la Piazza Castello que la physicienne et activiste indienne Vandana Shiva se prononce en faveur d'une économie mondiale plus soutenable. Elle se positionne contre les lois injustes qui ne répondent qu'aux intérêts de grandes entreprises internationales.
Étaient également présents à Mantoue, parmi les 400 auteurs invités, Massimo Cacciari, philosophe, ancien maire de Venise et grand expert d'actualité politique ; les romanciers Marcello Fois et Mathias Énard qui ont débattu ensemble dans les salles de l'Université ; la sociologue française Luce Irigaray ; l'écrivain Marie-Aude Murail qui a discuté avec l'actrice italienne Lella Costa.
La France au programme
Depuis une scène plus intime et de grande élégance, l'église de Santa Maria della Vittoria, Gérard Pommier essaie de répondre à la question : ?pourquoi est-ce que j'éclate de rire ??. Un événement en français sans traduction, où le psychiatre et psychanalyste français a insisté sur la nature subversive du mot d'esprit. ?Toute blague, dit-il, n'est qu'une attaque à un pouvoir établi, dans le but de le destituer? affirme-t-il à plusieurs reprises lors de son intervention. L'intérêt de la perspective que la psychanalyse ouvre sur le rire ne manque pas de liens avec l'actualité.
Le mot d'esprit est en effet associé au féminin, qui devient à son tour puissance subversive contre la domination du masculin. ?C'est l'angoisse des hommes pour la mise en discussion de leur pouvoir qui explique les actes mortifères à l'égard des femmes. Les hommes voient que leur pouvoir est en danger? nous confie Gérard Pommier. Une solution possible ? Aller vers le féminin, rééquilibrer la relation entre les genres. Tout un programme !
Dimanche 8 septembre, c'est le tour d'Emmanuel Carrère, qui discute en compagnie d'Elena Stancanelli, écrivain et journaliste italienne. Le cadre est la cour du Palazzo Ducale, dont l'amphithéâtre construit pour l'occasion est plein à craquer. Un succès prévisible pour le romancier français, auteur de textes comme L'adversaire, adapté au grand écran par Nicole Garcia ou D'autres vies que la mienne, Limonov.
Qu'est-ce qu'un ouvrage de Carrère ? Telle est la question qui dirige le tout débat. ?Si j'étais un peintre, je serais un portraitiste?, affirme l'auteur. L'écriture d'un roman n'est donc que ?le tâtonnement d'un auteur pour raconter les vies des autres de la manière la plus correcte? nous confie Emmanuel Carrère après son intervention publique. De cette manière, affirme-t-il, ?la littérature n'est pas faite pour fuir la réalité, mais pour s'y plonger dedans?. Si l'on peut dire que la littérature a un rôle politique, c'est en ce sens-là.
Ce qui explique le fait ? et ce n'est pas du au hasard - que l'écrivain italien qui a influencé davantage l'écriture de Carrère, comme il le confie à la rédaction, c'est Leonardo Sciascia.
Tommaso Venturini ? (www.lepetitjournal.com de Milan) ? jeudi 12 septembre 2013
Crédits Photos :
- Photo 1 : T.V. pour Lepetitjournal.com de Milan
- Photo 2 : Couverture du livre Gomora
- Photo 3 : T.V. pour Lepetitjournal.com de Milan
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