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LES JOURS HEUREUX - Episode 2 : Le Voyage

Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 28 octobre 2015, mis à jour le 28 octobre 2015

Le Petit Journal de Mexico republie ce feuilleton en français et en espagnol : Les Jours heureux. Gwenn-Aëlle Folange Téry, écrivain et peintre, y raconte l'histoire d'une jeune fille bretonne qui part à la découverte du Mexique, et de son indépendance. Aujourd'hui épisode 2 : Le Voyage

Episode 1 : Le départ

5 novembre 1958.

Aéroport, bagages et avion, gigantesque. Il serait petit qu'elle ne s'en apercevrait pas, c'est la première fois qu'elle voyage en avion. Le train, le bateau grand ou petit, la voiture, elle connaît. Ce voyage en avion c'est son baptême.

Tout est beau, sent le neuf, ou l'aspirateur fraîchement passé. Les sièges sont larges, confortables, nous ne sommes pas encore au temps des avions presse-personne, où il faudrait presque s'excuser d'avoir des jambes et des pieds au bout.

Carte du menu du vol Air France direction Mexico en 1958. (DR) 

Tout l'enchante, le voisin, la voisine, la couverture bleue, -il s'agit d'un vol Air France-, et le menu, carte décorée d'un éléphant en Inde, aquarelle de Beuville, très logique pour un trajet France-États-Unis-Mexique, soigneusement rangée dans sa pochette personnelle, entre revues et journaux.

Elle part, l'avion bouge, recule, prend de la vitesse sur la piste, vibre et s'envole. Libre, elle est libre. L'hôtesse de l'air est élégante, l'eau est fraîche et la vie est belle.

L'escale est bienvenue, elle commençait à trouver le temps long, la demoiselle dans son fauteuil. Parce qu'on ne peut s'émerveiller sur place que pendant un temps limité, n'est-ce pas ?

À New York, elle prend son premier café vraiment américain, avant de goûter ceux du Mexique, qu'elle n'apprécie d'ailleurs toujours pas, cinquante ans plus tard. Il leur manque du goût, de la caféine, du nerf quoi.

Première déconvenue, pas dramatique, juste anecdotique : elle attendait Sidney Bechet et son sourire éclatant ou au moins Fred Astaire en smoking blanc et elle n'a qu'un jeune gars devant elle, souriant certes, mais inconnu. Et pour simplifier les choses, son anglais à elle n'est à la hauteur ni de la carte, ni du serveur, ni du lieu.

Oui, l'école a rempli son rôle, "My taylor is rich" et le reste, mais après avoir repassé dans sa tête son "buy, bought, bought", elle n'arrive pas à aligner deux mots en anglais. Son café n'en est que meilleur, une fois que le jeune américain, qui n'est donc ni vedette au cinéma ni milliardaire, comprend enfin ce qu'elle veut. Payer et recevoir la monnaie n'est enfin rien de plus qu'une simple formalité?

L'avion lui semble alors un havre, refuge amical. Elle retrouve son siège, ses revues, et relit le menu, se demandant ce qu'est une Salade Tourangelle et si la pâtisserie annoncée est au chocolat ou au citron. Quant au saumon, coq au vin et petits pois, elle n'en fait qu'une bouchée. À la voir si mince, maigre presque, son voisin pensait hériter au moins du petit pain, mais il n'en est rien. 

Celle que l'on surnommait "le craquelin" mange bien. Elle, comme tous les enfants de la guerre, a faim, toujours faim. Elle sourit en étalant son beurre, fermant presque les yeux  sur un souvenir lointain : trois, quatre ans peut-être après la fin de la guerre, ils sont à table, tous ensemble, frères, s?urs et parents, les parts sont maigres, mais il y a du beurre, luxe suprême? Quand il n'y a rien dans le garde-manger, on n'étale pas le beurre sur le pain, on le gratte. Et son frère, le petit dernier, le sait. Sur sa tartine, pas un gramme de trop, surface soigneusement lissée, calme plat. Mais sous la tartine, loin des yeux de la mère, du père, se cache une couche épaisse de beurre, dans laquelle il fait bon planter les dents.

Elle sourit, un peu triste tout à coup.

Dix-sept heures de voyage, escale, café et pain beurré compris. Dix-sept heures de rêves fous, de libertés entrevues, de c?ur serré aussi.

À l'arrivée, il n'y aura personne.

DIAS DE SOL - El viaje                            Capitulo 1 : La partida - Capitulo 3 :  La travesía

5 de noviembre de 1958

Aeropuerto, maletas y avión, gigantesco.Si fuera chico, ni cuenta se daría, es la primera vez que viaja en avión. Trenes, barcos grandes o chicos, le son familiares. Este viaje en avión es su bautizo.

Todo es nuevo, huele a nuevo, o a recién aspirado. Los asientos son anchos, cómodos, no estamos todavía en el tiempo de los aviones aprieta-personas, en los cuales casi debería uno de disculparse por tener piernas y pies.

Todo le fascina, el vecino, la vecina, la cobija azul, -es un vuelo de Air France-, y el menú, tarjeta con un elefante en la India al frente, acuarela de Beuville, muy lógico para un trayecto Francia-Estados Unidos-México, cuidadosamente colocada en su revistero personal, entre revistas y periódicos.

Se va, el avión se mueve, retrocede, toma velocidad sobre la pista, vibra y despega. Libre, es libre. La azafata es elegante, el agua fresca y la vida bella.

La escala es bienvenida, la viajera instalada en su asiento empezaba ya a contar los minutos para llegar. Porque no puede uno maravillarse de lo mismo, una y otra vez, más que por tiempo limitado, ¿cierto?

En Nueva York, toma su primer café realmente americano, antes de probar los de México, que de hecho sigue sin apreciar demasiado, cincuenta años más tarde. Les hace falta sabor, cafeína, empuje pues.

Primer desengaño, no muy dramático, apenas anecdótico: esperaba a Sidney Bechet con su sonrisa deslumbrante o por lo menos a Fred Astaire de esmoquin blanco y no ve  más que a un muchacho joven, muy sonriente claro, pero desconocido. Y para acabar de simplificar las cosas, el inglés que ella maneja no está a la altura ni de la carta, ni del mesero, ni del lugar.

Sí, la escuela cumplió con su papel, ?My Taylor is rich? y lo demás, pero después de haber repasado en su mente el ?buy, bought, bought?, no logra sacar dos palabras seguidas en inglés. Claro que cuando el joven americano, que no es entonces ni estrella de cine ni millonario, entiende por fin lo que quiere, el café le sabe hasta mejor. Pagar y recibir el cambio no es entonces más que una simple formalidad? 

El avión le parece entonces tibio cobijo, refugio amistoso. Recobra su asiento, sus revistas y vuelve a leer el menú, preguntándose qué es una Ensalada Tourangelle y si el pastelillo anunciado es de limón o  de chocolate. El salmón, el coq au vin y  los chícharos desaparecen en dos minutos. Al verla tan delgada, flaca casi, su vecino esperaba heredar por lo menos del pan, pero no sobra nada.

A la que apodaban ?el craquelin?*, por su delgadez extrema, come bien. A ella, como a todos los niños de la guerra, le da hambre todo el tiempo, mucha hambre. Sonríe al ponerle mantequilla a su pan, cerrando casi los ojos sobre un recuerdo lejano: tres, cuatro años tal vez después de la guerra, están en el comedor, todos juntos, hermanos, hermanas y padres, las raciones son chicas, pero hay mantequilla, lujo supremo?
Cuando no hay nada en la alacena, la mantequilla no se le unta al pan tan fácilmente, hay que extenderla, rozando apenas cada centímetro existente. Y su hermano, el más chico, lo sabe. Sobre su rebanada de pan, no sobra ni un gramo, la superficie es lisa, cual mar sin olas. Pero debajo de la rebanada, lejos de los ojos de la madre, del padre, se esconde una capa espesa de mantequilla, en la cual hincar los dientes es una delicia. 

Sonríe, un poco triste de repente.

Diecisiete horas de viaje, escala, café y pan con mantequilla incluidos. Diecisiete horas de sueños locos, de libertades entrevistas, de corazón en un puño también.

Al bajar del avión, no le espera nadie. 

*craquelin: pan crujiente, sumamente ligero y? delgado.

Lire également notre article : Gwenn-Aëlle : "Un roman pour faire ouvrir les yeux aux femmes"

Gwenn-Aëlle Folange Téry pour (Lepetitjournal.com/mexico) Mercredi 28 octobre 2015 (Republication)

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Publié le 28 octobre 2015, mis à jour le 28 octobre 2015

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