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LES JOURS HEUREUX - Episode 12 : Cicatrices

Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 29 juillet 2014, mis à jour le 30 juillet 2014

Le Petit Journal de Mexico vous propose un nouvel épisode de la série Les jours heureux, feuilleton en français et en espagnol. Gwenn-Aëlle Folange Téry, écrivain et peintre, y raconte l'histoire d'une jeune fille bretonne qui part à la découverte du Mexique, et de son indépendance. Aujourd'hui épisode 12 : Cicatrices

Episode 1 : Le départ / Episode 2 : Le voyage / Episode 3 : La traversée / Episode 4 : Les repas / Episode 5 : Acapulco / Episode 6 : Les mardis / Episode 7 : L'indifférence / Episode 8 : Yucatán / Episode 9 : Noël / Episode 10 : Les copains / Episode 11 : Pâques

"Il y a tout juste dix jours, elle a été emmenée d'urgence à l'hôpital..." (photo Catherine Téry)

Les murs sont blancs, blanc un peu sale, blanc un peu cassé sur lequel ressortent tableaux et masques bigarrés. Pas de tapis, juste un carrelage vert pomme veiné de blanc, avec des petits carreaux bordeaux aux coins. Sur la droite, à côté de la fenêtre, une bibliothèque en pin, les livres s'y amoncellent. Tout en haut une marionnette à grand chapeau de paille, elle vient de Veracruz. Et puis une collection de papillons, certains en papier, d'autres en vraie plume de perroquet. Une conque géante à intérieur rose si doux, si doux, trône sur l'étagère du milieu et un collier en perles de terre cuite et un sac en henequen brodé complètent la décoration de sa chambre. Elle ne jure que par l'artisanat mexicain, rêve de petites têtes de Tlatilco et de rubans, de paysages fous et de ciel bleu, sur la ville.

Oui, c'est bien sa chambre, elle n'est pas logée à l'écart puisque dans cette maison elle est chez elle, puisque qu'elle a des parents suédois et un petit frère qui rigole quand il la voit se lever les dimanches, les cheveux en bataille.

Elle est sur son lit, pieds nus, le ventre à l'air. Il ne fait pas si chaud que ça non, elle n'est pas en vacances, ni même en pyjama. Elle contemple, sur la droite, là, avant la jambe, une nouvelle cicatrice sur sa peau.

"Me malo la panza"

Les cicatrices elle connaît. Petite, elle a perdu un morceau de doigt, à cause d'un mal-blanc. Elle avait bien senti que son doigt l'élançait mais n'avait rien osé dire, elle avait peur d'être punie, encore. Elle a fini par ne plus savoir si ce qu'elle fait mérite une punition ou pas et a préféré cacher sa main dans sa poche. Alors, à force de pus et de démangeaisons, son ongle est tombé. Elle a été soignée bien sûr, alcool, bandage et tout le rituel déployé pour les petites blessures. Mais elle garde à la main gauche une vilaine marque, un creux  sur le pouce. Quand il est trop tard, il est trop tard.

Le soleil brille, c'est le soleil de novembre, le mois de son anniversaire et elle pense à la fête déguisée prévue pour dans deux semaines. Elle a envie de s'amuser, de danser, elle est majeure ! Enfin presque, dans treize jours elle le sera.

Mais son ventre la fait encore souffrir, elle a beau bander ses muscles, elle a du mal à se lever encore, à marcher. Il y a tout juste dix jours qu'elle a été emmenée d'urgence à l'hôpital, "Me malo la panza, me malo la panza", et que les médecins consultés ont parlé d'appendicite, de chirurgie. Rien du tout en fait, mais elle a si peur des aiguilles, des marques sur la peau. Elle devrait être remise mais la tête ne suit pas, elle replonge en arrière dès qu'elle ferme les yeux, voit du sang, entend sa mère crier, sent, oui, sent son menton se boursouffler et éclater sous les coups.

Douleurs à l'âme

Saint-Servan, ils habitent Saint-Servan, la guerre est presque loin, elle doit avoir dans les neuf ans. Elle a fait pipi au lit, encore et toujours. Ni les coups des bonnes s?urs, ni leur drap exhibé dans la cour n'ont pu venir à bout de cette habitude, de cette faiblesse dit sa mère, qui ne supporte pas d'avoir une fille faible, qui ferait mieux de la câliner d'ailleurs, mais... Et ce matin, elle l'a attrapée par les cheveux, l'a secouée, a hurlé et l'a précipitée sur le mur, juste sur le coin du radiateur, et le sang a jailli, la peau tendre n'a pas résisté. Ce n'est rien, juste une ouverture sur le menton, juste une ligne, qui saigne oui, mais il n?y a pas grand mal. Est-ce pour cela que sa mère la soigne elle-même ? Ou pour ne pas payer un médecin ? Ou encore pour ne pas avoir à donner d'explications ... ?

C'est peut-être aussi pour parfaire la punition, les petites filles laides, sottes et pissouses n'ont droit à aucun égard. Cette femme, chirurgien dentiste, si admirée en dehors de chez elle, prend aiguille et fil et recoud, à gros points, comme qui bâtirait un ourlet. Sans anesthésie.

Alors, quand elle regarde son ventre, qu'elle passe son pouce sur la marque qui déjà s'estompe, elle serre les lèvres pour ne pas pleurer.

Mais la vie tourne, la prend dans les bras et la fait danser, elle qui ne peut pas encore marcher. La valse à mille temps de Brel débarque et l'entraîne dans sa course folle.

Michelle

Loin de là, dans la Colonia Doctores, Françoise travaille. Elle a été appelée au chevet d'une jeune fille, Michelle, qui relève d'une opération, on vient de lui enlever l'appendice. On pourrait crier à l'épidémie, pense l'infirmière avec un petit sourire en coin. Elles parlent en français, Michelle n'est au Mexique que depuis deux semaines, elle ne sait pas bien encore ce qui lui est arrivé.  Elle n'a pas eu du tout la même vie que ses deux compatriotes, elle ne fuit pas sa famille et a quitté la France seulement pour vivre plus fort et rire plus haut. C'est une nature heureuse comme on dit à l'époque, avec un petit air de dédain? Elle sait bien que les gens parlent de sa petite taille, mais elle compense par ses yeux verts et sa chevelure brillante. Son petit nez retroussé lui donne un air espiègle et Françoise la trouve adorable.

Et elle lui parle de la güerita, de la fête, des déguisements, de la musique et de la maison suédoise où tout le monde est bienvenu. Elle est invitée bien sûr, tout le monde l'attend, mais si, ici on fait comme ça, on arrive quand on veut, où on veut et si on est content et si on se trouve à l'aise, on reste, tout simplement. Elle lui met deux numéros de téléphone sur un petit bout de papier, le sien et celui de la maison de Reforma.

Michelle hésite un peu. Elle est hébergée chez son oncle, haut fonctionnaire au consulat français et ne connaît de la ville que les Lomas et la rue de l'hôpital. Le chauffeur du consulat les a déposées, elle et sa tante, devant la façade à colonnes blanches, juste avant la grille en fer forgé,  et quelques heures plus tard, elle s'est réveillée dans une chambre à fenêtres étroites, aux verres curieusement polis, opaques. Cette infirmière qu'elle ne connaît pas lui fait un peu peur, même si elle a une envie folle de s'amuser, de découvrir, de tout connaître, de tout savourer. Elle doit demander la permission, ne sait pas, n'ose pas?

Mais Françoise force un peu les choses, parle avec la tante, enlève la permission, sans grand mal d'ailleurs. Cette dame connaît bien sa nièce, elle sait qu'elle ne fera rien de bien terrible si elle est invitée et pense qu'un bain de culture, qu'elle soit mexicaine, barcelonnette ou suédoise, ne peut que lui faire du bien.

Les dés en sont jetés, dirait Jules. Le bloc opératoire a réuni deux femmes qui vont se rencontrer pour une fête où l'une doute de pouvoir danser, où l'autre ne connaît personne. Elles vont s'aimer, s'aimer à la folie, s'aimer comme des plus que s?urs, comme des complices, comme des étoiles filantes qui n'en finiraient pas de filer.

La nuit? 

La nuit efface les cicatrices.

DÍAS DE SOL : Cicatrices 

Las paredes son blancas y viejitas pero los cuadros y máscaras coloridas resaltan de manera hermosa. No hay alfombra, sólo una losa verde manzana con vetas blancas y uno que otro azulejo color vino por las esquinas. A la derecha, pegada a la ventana, una biblioteca de pino con libros amontonados. Hasta arriba una marioneta de sombrero de palma, es de Veracruz. Y luego una colección de mariposas, algunas de papel, otras de verdadera pluma de papagayo. Una concha gigante de interior rosa delicado, muy delicado, reina sobre el estante de en medio y un collar de perlas de barro  y una bolsa de henequén completan la decoración de su recámara. Ella no habla más que de artesanía mexicana, sueña con cabecitas de Tlatilco y listones, con paisajes demenciales y cielo azul sobre la ciudad. 

Sí, el cuarto es suyo, no duerme en un rincón porque en esta casa está a salvo, porque ya tiene papás suecos y un hermanito que se muere de  risa cuando la ve levantarse los domingos con el cabello alborotado.

Descansa sobre su cama, descalza, panza descubierta, aunque no haga tanto calor y no esté de vacaciones, ni siquiera en pijama. Contempla, sobre su costado derecho, arribita de la pierna, una cicatriz nueva sobre su piel.

Sabe  lo que es una cicatriz, cuando chica perdió un pedazo de dedo, por un panarizo. Claro que se había dado cuenta de que le punzaba el dedo pero no se había atrevido a comentarlo, le daba miedo un posible castigo, otro. Había llegado a un punto en el que no sabía cuando merecía un castigo o no y prefirió esconder la mano. Entonces, de tanto pus y comezón, su uña terminó por caerse. Alguien la curó claro, alcohol, gaza y todo el ritual habitual de los pequeños accidentes. Pero le quedó de por vida una marca horrible, un hueco en el pulgar de la mano izquierda. Porque cuando es demasiado tarde, es demasiado tarde.

El sol brilla, es el de noviembre, el mes de su cumpleaños y sólo piensa en la fiesta de disfraces prevista para dentro de dos semanas. Tiene ganas de divertirse, de bailar, ¡es mayor de edad! Bueno casi, sólo faltan trece días.

Pero su panza le sigue doliendo, por más que tensa los músculos, le es difícil todavía levantarse, caminar. Se la llevaron de urgencia al hospital hace justo diez días, ?Me malo la panza, me malo la panza.?, y los doctores consultados hablaron de apendicitis y de cirugía. Nada grave la verdad, pero le tiene mucho miedo a las agujas, a las marcas sobre la piel. Debería de sentirse ya muy bien pero la cabeza no quiere, se hunde en el pasado en cuanto cierra los ojos, ve sangre, oye a su madre gritar, siente, sí, siente su barbilla abultarse y estallar bajo los golpes.

Saint-Servan, viven en Saint-Servan, la guerra quedó atrás, casi y ella ha de tener unos nueve años. Mojó la cama como siempre. Ni los golpes de las monjas, ni su sábana exhibida en el patio han podido acabar con esa costumbre, esa debilidad dice su madre, quien no soporta el tener una hija débil, y quien mejor la debería de abrazar, pero? Y hoy por la mañana, la agarró del cabello, la sacudió, vociferó y la aventó sobre la pared, justo en la esquina del radiador, y la sangre salpicó, la piel de la niña no resistió. No es nada, sólo una herida en la barbilla, sólo una línea, que sangra sí, pero no se ve tan mal el asunto. ¿Será por eso que su madre la cura en casa? ¿O para no pagar un doctor? ¿O tal vez para no tener que dar explicaciones??

Puede que sea para perfeccionar el castigo, las nenas feas, tontas y meonas no merecen ninguna consideración. Esta mujer, cirujano dentista, tan admirada fuera de casa, toma aguja e hilo y cose, con largas puntadas, como quien hilvanara un dobladillo. Sin anestesia.

Entonces, cuando mira su vientre, cuando pasa su pulgar sobre la marca que ya está desapareciendo, aprieta duro los labios para no llorar.

Pero la vida da una voltereta, la toma del brazo y se la lleva a bailar, sí, aunque todavía no pueda caminar. El vals de mil tiempos de Brel se abre paso y se la lleva, en una carrera loca.. 

Lejos de allí, en la Colonia Doctores, Françoise trabaja. La apostaron a la cabecera de una jovencita, Michelle, quien se recupera de una cirugía, le acaban de quitar el apéndice. Esto parece epidemia, piensa la enfermera disimulando una sonrisa. Hablan en francés, Michelle no lleva más que dos semanas en México, no sabe bien ni qué le pasó. Su vida ha sido muy diferente de la de sus dos compatriotas, no huye de su familia y sólo dejó Francia para vivir más fuerte y para reír más alto. Es de carácter amable, como se dice en aquél tiempo, con una tonadita desdeñosa? Sabe que la gente habla de su poca estatura, pero ella la compensa con sus ojos verdes y su cabellera brillosa. Su naricita respingada la hace parecer traviesa y Françoise está encantada.

Y le habla entonces de la güerita, de la fiesta, de los disfraces, de la música y de la casa sueca en la que todo mundo se siente bienvenido. Claro que está invitada, todos la esperan, sí, aquí así se hace, llega uno cuando quiere, donde quiere y si se está a gusto, se queda uno el tiempo que quiera, así de fácil. Le pone en la mano un papelito con dos números telefónicos anotados, el suyo y el de la casa de Reforma.

Michelle duda. Vive en casa de su tío, alto funcionario del consulado francés y no conoce de la ciudad más que las Lomas y la calle del hospital. El chofer del consulado las dejó, a ella y a su tía, frente a la fachada de columnas blancas, justo llegando a la reja de hierro forjado y unas pocas horas después, despertó en un cuarto de estrechas ventanas, cuyos vidrios extrañamente esmerilados dejan pasar una luz opaca. Esta enfermera a la que no conoce la pone nerviosa, por más que tenga unas ganas incontrolables de divertirse, de descubrir, de conocerlo todo, saborearlo todo. Tiene que pedir permiso, no sabe, no se atreve?

Pero Françoise le fuerza un poco la mano, habla con la tía, arrebata el permiso, sin demasiado esfuerzo de hecho. Esa señora conoce bien a su sobrina, sabe que no se le va a ocurrir hacer nada terrible si es invitada y piensa que una inmersión en la cultura mexicana, barcelonnette o sueca, no puede más que gustarle.

La suerte está echada, diría Julio. El quirófano reunió a dos mujeres que van a encontrarse en una fiesta para la cual una no sabe si podrá bailar y en la cual la otra no conoce a  nadie. Se van a querer, querer con locura, querer más como hermanas que como amigas, como cómplices, como estrellas fugaces que no hubieran terminado su fuga nunca.

La noche?

La noche borra cicatrices.

Capítulo 1 : La partida - Capítulo 2 : El viaje -
Capitulo 3 - 
La travesía -Capitulo 4 - La comida -Capitulo 5 - Acapulco -Capitulo 6 - Los martes -Capitulo 7 - La indiferencia - Capitulo 8 - Yucatán -Capitulo 9 - Navidad -Capitulo 10 - Los cuates - Capitulo 11 - Pascua

Pour connaître (mieux) l'auteur :
http://gwennaelle.wordpress.com/
http://guenahuiles.yolasite.com/ 

Gwenn-Aëlle Folange Téry pour (Lepetitjournal.com/mexico) Mercredi 30 juillet 2014

lepetitjournal.com Mexico
Publié le 29 juillet 2014, mis à jour le 30 juillet 2014

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