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EXPATRIATION - Une histoire d’acculturation (2/2)

Expatriation Manille Expatriation Manille
Écrit par Carole DUDRAGNE
Publié le 27 mai 2018, mis à jour le 27 mai 2018

Deux ans après son expérience au sein de la fondation Virlanie, Carole Durdagne raconte et tente d’expliquer le cheminement intérieur qu’a représenté sa rencontre avec les enfants des rues de Manille. Du rejet à l’engagement…

 

La phase de rejet

 

J'ai voulu quitter Manille tant de fois. Je voyais alors ma souffrance d'un pur égoïsme face à ceux qui n'avaient pas le choix. Je m’interdisais de l'exprimer et je me sentais simplement d'une puissante incapacité. Je suis restée non pas par héroïsme mais par honte de l'échec. Il m'est encore bien difficile de m'exprimer, il y a bien des émotions, mais elles me paraissent si intimes encore aujourd'hui.

 

J'ai gardé un lien très fort avec les philippines. Pourtant je crois bien que les Philippines n'ont gardé aucun lien avec moi. Les destins sont bien trop éloignés, il y a une vie à l'autre bout du monde, mais elle paraît insaisissable.

 

Je suis partagée entre une attirance très forte de revenir sur mes pas, de retourner vivre dans cette effervescence qui s’est avérée finalement véritablement magique… et le désir également très fort de ne plus jamais y revenir.

 

Je me sentais agressée par cette démesure.

 

Les premiers jours, les premiers mois même m’ont paru si longs. Il faisait bien trop chaud, la ville était sale, sentait mauvais et tout était si bruyant. Je me sentais agressée par cette démesure.

 

manille
© Carole DUDRAGNE

 

Ce n'était pas seulement un simple repli sur moi-même mais un véritable rejet de cette culture pourtant fascinante qui se présentait à moi. J’étais indifférente à tous contacts sociaux et je ne sentais simplement aucune attirance à découvrir Manille. Les gens n'éveillaient pas chez moi la moindre passion. Tout m'était indifférent. Du matin au soir j'attendais simplement que le temps passe.

 

L’accomplissement

 

Réussir à mettre des mots sur mon expérience sociale aux philippines est un exercice très difficile. Plus de deux ans plus tard, j'ai encore du mal à percer cette carapace que je m'étais créé. Je suis restée très longtemps dans le déni de cette expérience personnelle, et aujourd'hui encore, il est difficile de me souvenir des émotions qui m'entouraient. Pourtant je parlais souvent de Manille, mais presque toujours de façon impersonnelle.

 

Tous avaient le sourire, les visages étaient radieux.

 

Même dans les plus pauvres bidonvilles, nous étions accueillis comme si nous étions chez nous. Au coin des petits passages les enfants jouaient par vingtaines. Tous avaient le sourire et semblaient fiers d'avoir de la visite. Une vie communautaire dans la promiscuité et l'insalubrité, pourtant les visages étaient radieux.

 

manille
© Carole DUDRAGNE

 

De simples bassines faisaient office de bain pour les enfants, pour les adultes aussi d'ailleurs. Ces mêmes bassines servaient pour le linge et la vaisselle et, par manque de place, s'utilisaient directement dans les petites rues étroites des bidonvilles. Des petites maisons, construites de récupération, et qui s'entassaient les unes sur les autres. Souvent, elles étaient même trop petites pour accueillir toute la famille, qui devait alors se relayer pour dormir.

 

Ces petites constructions individuelles, qui devenaient d'énormes ensembles collectifs de pauvreté, n’étaient bien évidemment pas assez solides. La mousson faisait des ravages, les incendies aussi, rayaient trop souvent les bidonvilles des cartes. Du moins, l'espace d'un instant, car les familles étaient résignées à tout perdre et à construire et reconstruire à l'infini.

 

Sourires et résilience

 

Les sourires et la résilience cachaient presque la misère de ces familles. L'ampleur telle de la pauvreté semblait normaliser les situations individuelles.

 

Même au fond des bidonvilles, les Philippins sourient et les enfants jouent.

 

Les Philippins ont une résilience incroyable, par la religion, mais aussi par la culture et la tradition, ils s’en remettent à dieu et se résignent à avancer, et même au fond des bidonvilles, les Philippins sourient et les enfants jouent.

 

L'hospitalité philippine était des plus touchantes. Même dans une misère profonde, les Philippins étaient fiers de partager absolument tout ce qu'ils possédaient. C'est comme s'il n'y avait pas d'individualité ici, la communauté est toujours plus importante.

 

Les Philippins ont tant à nous montrer, tant à nous apprendre.

 

Ces visages noircis de soleil, ces petits yeux bridés qui pétillent, ces vêtements pas toujours très accordés, et ce dévouement, ce partage, cette joie incroyable que l'on nous transmet. Nos destins sont si différents et pourtant les rencontres sont chaque fois magiques. Les Philippins ont tant à nous montrer, tant à nous apprendre. A nous, qui semblons tout connaître de l'humanité, eux la vive, pendant que nous la pensons.

 

Pourtant plus de deux ans après je ne trouve pas encore tous les mots. J'en ai appris des choses sur moi-même, et j'en apprends encore. Alors je cerne la richesse de la confrontation à l'autre. Vivre ensemble, une utopie, un parcours parfois si compliqué. Se comprendre par-delà le monde, se lier de nos cultures, vivre les uns et les autres ou bien les uns avec les autres.

 

Pour découvrir le travail de l'auteur, cliquez ICI.

 

CaroleDudragne
Publié le 27 mai 2018, mis à jour le 27 mai 2018

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