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DOMINIQUE LEMAY (1/2) : " comme une grande famille"

Écrit par Lepetitjournal.com aux Philippines
Publié le 7 juillet 2016, mis à jour le 4 juillet 2016

Retour sur notre rencontre avec Dominique Lemay, fondateur de l'O.N.G. Virlanie.
Premier volet de ce portrait, consacré à l'histoire de la fondation, ses grandes réalisations et ses futurs projets.


Lepetitjournal.com/Manille : Pourquoi et comment avez-vous décidé de créer cette fondation ?

Dominique LEMAY : Est-ce que dans la vie il y a des hasards ? Je ne sais pas.

En 1987, alors que je passais un diplôme supérieur de travailleur social, une de mes amies, présidente d'association française, m'a proposé de partir pour Manille, pour y étudier durant trois semaines la situation des enfants des rues. Je ne connaissais alors rien des Philippines. Et je ne parlais pas un mot d'anglais (ayant étudié l'allemand, le latin et le grec). J'ai terminé mon diplôme et ai décidé de partir.

A l'issue de mon enquête, j'ai naturellement remis un rapport. Je préconisais l'ouverture de maisons d'accueil pour les enfants des rues. Mais pour moi les choses s'arrêtaient là. J'imaginais alors mon avenir en France.

Fin décembre-début janvier 1988, mon amie est revenue vers moi, me demandant si j'acceptais de monter le projet de maisons d'accueil que j'avais imaginé et pour lequel elle avait trouvé les fonds. Il s'agissait d'une mission de deux ans.

Comment suis-je donc arrivé ici ? Par hasard ? Dans mon mémoire de D.S.T.L., j'analysais trois exemples du passage « de l'assistanat au développement » : le premier au Nicaragua, le deuxième en Alaska, le troisième aux Philippines, sur les coupeurs de cannes à sucre à Negros Occidental. Aujourd'hui je passe la moitié de mon temps à Bacolod, à Negros Occidental.

Est-ce que dans la vie il y a des hasards ? Je ne sais pas.

Je suis resté aux Philippines parce que c'est un pays que j'aime, dans lequel il y a mille choses à faire et dans lequel il est possible de les mettre en place.
En France, en tant que responsable départemental du Secours catholique, j'étais sans cesse confronté aux lourdeurs administratives qui certes protègent mais contraignent énormément et empêchent de nombreux projets de voir le jour.
Il y a ici une vraie liberté de création. Je suis actuellement en train de créer une ferme pour des adultes en situation de handicap dans la région de Bacolod. Je le fais en lien avec l'état philippin, avec les autorisations requises, mais dans un climat de confiance et de liberté.

Quel est l'objectif essentiel visé dans le travail de votre fondation ?

Quel est le but dans une famille ?

Nous essayons de concevoir l'association comme une grande famille.
Dans ma propre famille comme dans la fondation, la question qui est la mienne est : « Comment peut-on aider l'enfant, l'individu, à grandir, à devenir autonome ? ». Et la réponse est : « L'amour. »


Prendre l'enfant tel qu'il est et essayer d'être à son écoute (beaucoup d'enfants que nous accueillons ont été témoins et victimes de violences, de viols, de maltraitances ; plusieurs sont en situation de handicap).

Mettre en place des lieux d'accueil avec des parents (un père et une mère, qu'ils soient un couple réel ou non) et recomposer une structure familiale (que beaucoup d'enfants accueillis n'ont en fait jamais connue).

Donner à chacun, lorsqu'il devient adulte, la possibilité d'être autonome et responsable.

Combien de ces maisons avez-vous mis en place ?

Nous avions 13 maisons familiales d'accueil. Pour des raisons financières, nous n'en n'avons plus que 8 à Manille et 1 à Bacolod. Aujourd'hui, les choses vont mieux.

Mais nous travaillons aussi dans les bidonvilles, dans la rue, où nous proposons notamment une « école mobile ».

Nous avons aussi développé un lieu où les familles des bidonvilles viennent produire de l'artisanat, afin de leur permettre d'obtenir des revenus.

On retrouve en effet aujourd'hui de plus en plus de familles dans la rue. Ce n'était pas le cas il y a trente ans. Plusieurs facteurs l'expliquent : l'exode rural d'une part, et l'installation, d'autre part, de nouvelles familles issues d'anciens enfants des rues.
Lorsque la famille est dans la rue, l'enfant n'a généralement connu rien d'autre que cette réalité de la rue, et il est très difficile de l'en extraire. Il faut sortir la famille de la rue.
C'est l'objectif de ce programme.

Cela veut dire que votre action a développé des priorités sur les adultes qui n'existaient pas au départ ?

Nous avons toujours travaillé sur la communauté.  Notre premier travail de prévention communautaire a eu lieu dans les barangays 1, 2 et 3 du bidonville de Tondo.

Mais les choses prennent aujourd'hui une toute autre ampleur.  Accompagner la production et la vente d'objet manufacturé (bracelets, sacs? de beaux produits !) afin de permettre aux familles d'avoir un revenu et d'obtenir un logement est nouveau.

Je suis persuadé qu'il y a chez ces gens un potentiel énorme. On ne cesse de répéter à ces populations qu'elles ne sont rien. Il faut travailler avec eux, les accompagner, afin qu'ils prennent en main leur commerce.

Un enfant abusé sexuellement ou prostitué, lorsqu'il arrive à la fondation, est persuadé que son corps ne vaut rien.  Qu'il n'est rien. Nos programmes Magellan et Sibuhi permettent aux enfants d'exprimer leurs talents. Nous avons une superbe chorale, composée d'enfants des maisons d'accueil, du bidonville et du quartier. Ils repartent bientôt en tournée internationale. Une enfant de la chorale, réalisant que le public s'était déplacé pour les écouter, m'a dit : « J'ai le droit d'exister maintenant ! »


Si on permet à chaque individu d'exprimer son talent, de croire en lui, en son pouvoir d'être aimé, on lui permet de grandir, avec lui-même et dans sa relation aux autres.

Quels sont, selon vous, vos plus belles réussites ?

Notre travail suit tout un processus. Il s'agit d'accompagner chaque enfant, chaque adolescent, jusqu'à l'autonomie, en fonction de ses capacités propres.

Qu'un enfant qui vient de la rue ou de la prison s'épanouisse, c'est déjà une merveilleuse réussite,  même s'il fugue encore, fait quelques bêtises. Il faut bien sûr le reprendre.

Je pense toujours au renard du Petit prince de Saint Exupéry : il faut s'apprivoiser, et cela prend du temps.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Actuellement, j'ai deux nouveaux projets.

A la suite du typhon, nous avons travaillé à Cadiz, dans le nord de Negros Occidental. Nous avons inauguré une école et mis en place un programme de rachat de bateaux et de filets, pour permettre aux familles de redevenir autonomes. Nous avons beaucoup travaillé avec la municipalité de Cadiz.

La fondation accueille aujourd'hui 80 enfants en situation de handicap (dont beaucoup ne sont plus des enfants). Nous allons créer une ferme pour accueillir 25 d'entre eux et des enfants de Cadiz. Il s'agira d'une ferme d'agriculture biologique. J'ai donc recherché des partenaires, financeurs, architecte, agriculteurs, biologistes.

Nous voulons aussi ouvrir un lieu d'accueil des enfants des rues à Bacolod. Ce lieu n'existe pas.
Le seul lieu qui existe est l'équivalent du R.A.C. de Manille ("Manila Reception and Action Center", le centre d'accueil pour les enfants des rues). Mais lorsque les enfants sortent du RAC, ils retournent directement dans la rue, sans qu'aucun accompagnement n'ait pu être proposé pour essayer d'apporter des solutions aux problèmes rencontrés. C'est ce lieu d'accueil provisoire que nous souhaitons mettre en place.

Pensez-vous ouvrir des fondations dans d'autres pays ?

La tâche est déjà de grande ampleur aux Philippines. Il y a encore beaucoup à faire.

Par contre, il est important de travailler en partenariat avec d'autres associations dans le monde, afin de partager nos solutions.

La concurrence existe évidemment dans le monde de l'humanitaire. Mais le partage reste essentiel.

A lire aussi : VIRLANIE - Une matinée à la rencontre du sourire des enfants des rues

Deuxième volet de ce portrait à paraître demain, vendredi 15 juillet 2016

Pour plus d'informations, cliquez ICI.

Lila BUNOAN (www.lepetitjournal.com/manille) vendredi 8 juillet 2016

Première publication le mercredi 20 avril 2016

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Publié le 7 juillet 2016, mis à jour le 4 juillet 2016

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