Plus d'une semaine après les attentats qui ont secoué Paris le 13 novembre dernier, l'Ambassadeur de France en Espagne coordonne au quotidien depuis Madrid les nombreux dossiers ouverts dans le cadre du renforcement de la sécurité et de la coopération bilatérale. "En plus d'être excellente, la relation franco-espagnole, mise à l'épreuve des attentats, s'avère particulièrement féconde", estime Yves Saint-Geours. "Je suis tout à fait mobilisé", souligne-t-il concernant la situation de crise.
Lepetitjournal.com : Quelles sont les mesures que les attentats du 13 novembre vous ont contraint à prendre ?
Yves Saint-Geours (photo Ambassade de France en Espagne) : Premièrement nous avons dû nous assurer de la sécurité de la communauté française en Espagne. Nous avons, dès la nuit du vendredi 13, en liaison avec les autorités espagnoles, pris toutes les mesures nécessaires et renforcé la surveillance des installations françaises et des lieux fréquentés par les Français. J'ai à cet égard, vendredi matin, supervisé une réunion du comité de sécurité, avec les conseillers consulaires, afin de nous assurer de la bonne coordination et du bon suivi de ce dossier prioritaire. Mais les attentats du 13 nous ont aussi amené à agir dans le cadre de la relation bilatérale, en coordonnant notamment le travail policier et le travail de renseignement, ou en mettant en ?uvre les moyens nécessaires au renforcement de la surveillance de la frontière. Enfin, nous avons un travail d'explication permanent avec nos homologues espagnols, lié à la politique extérieure de la France, au niveau bilatéral donc, mais aussi concernant les propositions faites dans le cadre de l'Union européenne et de l'ONU. Une de nos préoccupations a notamment été de faire voter une résolution contre le terrorisme au conseil de sécurité des Nations Unies, dont fait partie l'Espagne en ce moment. Elle a été adoptée à l'unanimité vendredi soir à New York.
Quel est le message que vous faites passer aux Espagnols, suite à ces attentats ?
Tout d'abord "merci". L'appui du peuple et du Gouvernement espagnol est extraordinaire. Nous avons reçu d'innombrables témoignages de soutien et les autorités ont clairement assuré leur certitude que sur cette affaire, nos sorts sont liés. C'est pourquoi, le second message que nous souhaitons transmettre, passe facilement. A savoir : nous avons à lutter contre un ennemi commun, qui est l'Etat Islamique, et nous devons nous organiser pour le faire ensemble.
L'expertise des Espagnols en matière de terrorisme est-elle mise au service de la France ?
Les Espagnols ont une double expertise dans la lutte contre le terrorisme, en effet. Tout d'abord une expertise dans la lutte contre l'ETA, que nous partageons avec eux. Cette coopération de longue date nous a permis de travailler depuis des mois de façon conjointe sur le problème du djihadisme et de l'extrémisme islamique. Nous disposons de moyens et d'équipes conséquents impliqués ensemble sur cette question. Mais ne l'oublions pas, les Espagnols ont aussi une expertise et une expérience des attentats, suite aux événements du 11 mars 2004 à Atocha. Cela leur a conféré des connaissances au niveau technique et scientifique, mais aussi dans la gestion des effets psychologiques et affectifs, qui sont autant de compétences qu'ils veulent partager avec nous.
Lors d'un déjeuner-débat organisé la semaine dernière par l'association d'amitié franco-espagnole Diálogo, Yves Saint-Geours a donné sa vision des relations entre les deux pays. Il a, avant tout, voulu remercier les messages de soutien reçus de tous les Espagnols après les attentats de Paris, "du Roi au simple citoyen, qui ont montré une capacité de mobilisation rapide du peuple espagnol, nous aidant à lutter et à rester fermes". Pour en revenir à la relation franco-espagnole, qu'il qualifie "d'excellente", il a évoqué la possibilité de "l'approfondir, avec plus d'Europe, plus de multilatéralisme, plus de relations et plus d'intégration". Au niveau politique, d'abord, domaine dans lequel "les deux pays ne sont pas si différents. Sur la résolution des conflits internationaux, nous avons la même ligne de conduite. Idem pour la COP21, avec une vision commune pour un accord contraignant sur le climat". Pour le secteur économique, ensuite, où "les relations sont très fortes, de l'ordre d'environ 70 milliards d'euros d'échanges entre les deux pays". Cependant, l'ambassadeur français estime qu'un chainon est manquant, celui de "la relation scientifique et technologique, les secteurs des développements économiques de demain. Il doit exister une politique commune sur ce plan". |
Concrètement, comment va évoluer la lutte commune contre le djihadisme ?
Cela passera probablement par une concertation plus étroite entre les alliés, que le lien franco-espagnol structurera de façon éminente. Les choses sont en train de se mettre en place et nous sommes en train de consolider la coalition. La France s'efforce de promouvoir des changements à l'ONU, mais aussi à Bruxelles, en défendant, avec l'appui de l'Espagne notamment, la possibilité d'avoir accès aux données des dossiers passagers (Passenger Name Record) des pays membres de l'UE, même si le Parlement y est pour l'instant opposé. Sur le terrain enfin, les Espagnols nous aident déjà en Afrique et en Irak.
Comment l'Ambassade réussit-elle à gérer les dossiers courants dans ce contexte ?
Il est vrai que, depuis le 13 novembre, tout s'est accéléré. Mais avec le voyage du Roi en France en juin, de nombreux dossiers ont largement avancé, et nous allons continuer à progresser sur ces points. C'est vrai dans le domaine des interconnexions notamment, où nous allons très prochainement pouvoir inaugurer une nouvelle autoroute de la mer, entre Vigo et Saint-Nazaire, stratégique pour nos intérêts économiques communs. Le doublement de l'interconnexion électrique entre nos pays grâce à la nouvelle ligne à Très Haute Tension est quant à lui effectif depuis un mois tout juste. Le dialogue politique autour de la vision partagée de ce que doit être l'Europe de demain constitue également une activité constante. Les événements récents nous feront réfléchir plus encore sur l'Europe de la Défense, qui est mise sur le devant de la scène, mais nous menons aussi en parallèle des propositions communes sur l'union économique et monétaire. Enfin, la question de la croissance, centrale, est aussi au c?ur de notre action : la question de savoir comment augmenter encore ensemble nos échanges, dans un contexte de croissance retrouvée en France, et de fort dynamisme en Espagne, occupe nos équipes au quotidien.
Y a-t-il des dossiers plus conjoncturels ?
Nous sommes actuellement en train de mener des actions sensibilisation dans le cadre de la COP21. Nous serons prochainement mobilisés pour promouvoir l'Euro 2016 via notre réseau culturel.
Vous auriez peut-être apprécié une arrivée en Espagne moins mouvementée...
Ce n'est pas la question. Les diplomates nous sommes, par construction, des personnes de terrain, mobilisables à tout moment. Soyez certain que je suis tout à fait mobilisé.
Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 25 novembre 2015
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