Session publique spéciale le 4 janvier 2018 au musée de l´Orient à Lisbonne : c´est le deuxième et dernier jour de la conférence annuelle des ambassadeurs portugais lors de laquelle le ministre portugais des Affaires étrangères Augusto Santos Silva a tenu à inviter tout spécialement son homologue français, Jean-Yves Le Drian. Celui-ci a accepté l´invitation et est venu s´exprimer sur le thème de la refondation de l’Union européenne.
Jean-Yves Le Drian a créé la surprise en déclarant que la France souhaitait appartenir à la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) et que le Portugal devrait aussi rentrer dans l´Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Une certaine vision géopolitique de laquelle ne sont absents ni les intérêts politiques, ni surtout économiques.
Diplomatiquement vôtre
D’emblée, le ton est donné dans l´échange qui a lieu entre les deux ministres des Affaires étrangères et qui se traduit par un tutoiement de rigueur. Après une brève introduction du ministre portugais, c’est au tour de Jean-Yves Le Drian de prendre la parole. Il commence son discours en présentant ses voeux et déclare : "Ma présence ici, parmi vous, illustre la solidité de nos relations".
Il poursuit cet éloge en rappelant les "affinités historiques, structurelles ainsi que les visions communes à l’égard de l’Europe" qui unissent les deux pays. Puis, de façon naturelle il aborde la question de l´appartenance des deux pays à l´ organisation respective de chacun des pays à sa structure de défense de la langue et culture portugaise et française, c´est à dire pour la France devenir membre de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) et pour le Portugal rentrer dans l´Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Le Drian declare: “…Et à cet égard, puisque nous en avons parlé Augusto, je trouve paradoxal que le Portugal soit absent de l’Organisation internationale de la Francophonie et que, pareillement, la France ne soit pas présente au sein de la Communauté des pays de langue portugaise. C’est un sujet sur lequel nous avons décidé tout à l’heure, ensemble, d’avancer pour que nos deux organisations nous reçoivent de manière croisée. Car ces organisations ne sont pas uniquement des organisations qui défendent nos langues ; elles portent, sur plusieurs continents, nos valeurs, nos idéaux de dialogue, d’échange et de solidarité. À ce titre, elles constituent un outil diplomatique de premier ordre, que nous aurions intérêt à partager, comme nous partageons déjà nos efforts pour favoriser l’émergence d’un espace toujours plus grand de stabilité et de sécurité dans le monde, notamment au Sahel et au Levant. L’engagement de nos deux pays en faveur de la démocratie, de la paix et de la liberté afin de construire un monde plus équilibré doit passer notamment par nos actions déterminées dans les enceintes multilatérales et pour le multilatéralisme. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pourra toujours compter sur le soutien de la France, dans la conduite de la tâche, immense, qui lui revient….”
Re-fondation de l’Europe
Le ministre français s’attelle ensuite à évoquer ce pourquoi il est présent : la question du rôle de l’Europe et de l’Union européenne. Cette nouvelle année est le moyen de redonner une impulsion au moteur européen légèrement dans la brume depuis le Brexit et les questions récurrentes liées à l’immigration. L’Europe est, garante de "la paix, la démocratie, la liberté économique et le progrès social dans un souci d’humanisme" rappelle Jean-Yves Le Drian.
Les défis qui se profilent à l’aune de cette nouvelle année sont nombreux mais pas irréalisables. Pour ce faire, il faudrait, selon son homologue portugais doter le monde d’un " leadership européen encore plus poussé". Mais pas seulement. Les deux hommes s’accordent à affirmer la nécessité de rehausser la place de la lusophonie et la francophonie en "posant les jalons d’actions nouvelles". Un accord de coopération éducative et linguistique a par ailleurs déjà été signé le 28 mars 2017. La place des jeunes au sein de cette nouvelle Europe a aussi été évoquée dans le but de mieux encadrer le programme Erasmus (rebaptisé Erasmus+) créé en 1987.
En ce qui concerne l’élargissement de l’Union Européenne, Le Drian se montre prudent, notamment en ce qui concerne la Turquie. Il se dit ouvert à des discussions mais mentionne un "élargissement nécessaire de l’état de droit" en cas d’accueil de nouveaux pays au sein de l’U.E. Il poursuit en présentant le pays de Recep Tayyip Erdoğan comme un "partenaire stratégique" au moment même où le président Macron s´apprête à accueillir offciellement celui-ci à l´Elysée, et souligne les efforts menés par le président turc en matière de droits de l’homme.
Enfin s’ouvre le lourd volet du Moyen-Orient, et en particulier celui de la Syrie que le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères résume avec cette phrase qui laisse songeur: "Nous sommes sûrement en train de gagner la guerre, mais il ne faudrait pas perdre la paix".
Que restera-t-il ?
Lucide, il dit comprendre les doutes qui habitent les citoyens à propos de leurs dirigeants européens. La question de la sécurité devrait ainsi être au coeur des débats européens dans les prochains mois. Mais ce ne sera pas la seule. Les questions liées aux problèmes migratoires au déploiement d´une véritable politique des affaires étrangères, à l´écologie et à l´économie seront aussi à débattre.
À la fin de cet oratoire qui aura duré près d’une heure arrive un temps consacré aux questions-réponses. Pourtant prolixe, Le Drian répond prudemment à la question posée par la députée socialiste européenne Ana Gomes concernant les ventes d’armes de l’Europe vers des pays comme la Libye ou l’Égypte. Elles sont, selon elle, antinomiques du message humaniste porté par l’U.E.
Au final de cette rencontre, on décèle clairement une volonté réciproque des deux ministres de confirmer les bonnes relations qui existent entre les deux pays et une main tendue de la France envers son voisin portugais. Il s’agissait, néanmoins, d’une visite éclair puisque Jean-Yves Le Drian repartait dans la foulée à l’Élysée l´après-midi même pour les voeux du président français.