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Nilda Fernandez : "Le succès peut être une catastrophe"

Nilda FernandezNilda Fernandez
Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 20 mai 2019, mis à jour le 20 mai 2019

Le chanteur Nilda Fernandez est décédé dimanche 19 mai à l'âge de 61 ans. Lepetitjournal.com l'avait rencontré pour une interview -une des dernières sinon la dernière - en mars dernier.   

 

Le chanteur franco-espagnol, Nilda Fernandez, était à Lisbonne dans le cadre de la Fête de la Francophonie pour un concert à l´invitation de l´Institut français du Portugal. Retour sur presque quatre décennies de carrière.
 
Certains se souviennent peut être de "Nos fiançailles" en 1991, le titre qui a valu à Nilda Fernandez d’être nommé "meilleur espoir masculin" aux Victoires de la musique cette année là. D’autres se rappellent de sa chanson  "Madrid Madrid" où il raconte ses déambulations madrilènes et sentimentales. Nilda Fernandez, né Daniel Fernandez, n’a pourtant pas grandi à Madrid, mais à Barcelone où il est né en 1957. Sa famille andalouse et protestante met les voiles pour la France alors qu’il n’a que six ans. Très vite, il se met à la guitare et enregistre ses premiers albums au début des années 1990 qui le révèlent au grand public. À l’époque il disait "je serai artiste jusqu’à ma mort". Trente ans plus tard, Nilda a 61 ans et comme prévu, n’a toujours pas raccroché.
 

Lepetitjournal/Lisbonne : Vous semblez avoir beaucoup voyagé dans votre vie, est-ce que c’est important dans votre processus créatif ?
Nilda Fernandez : J’ai vécu à Moscou, à New York, en France, en Argentine… encore aujourd’hui je ne suis pas vraiment fixé, je vis entre Paris, la Catalogne et le Sud de la France. Si ça m’inspire ? Oui certainement, mais je voyage par envie humaine, pas par recherche artistique. Je prends le meilleur des peuples, je fais mon mix à moi, le mauvais je le laisse de côté. Je ne me laisse pas envahir par les choses que je ne trouve pas intéressantes. J’ai vécu quasiment cinq ans en Russie par exemple, ça ne m’a rien apporté de spécial musicalement parlant, mais j’ai appris beaucoup de choses sur moi, j’ai tenu un journal là-bas et j’ai fait autre chose que de la musique.
 

Vous avez sorti votre premier album en 1981, il y a 38 ans, et connu le succès au début des années 1990. Quel regard portez-vous sur votre parcours, votre carrière ?
Ma carrière me plaît telle qu’elle est. Je n’aurais pas souhaité autre chose. Quand j’ai commencé à avoir du succès, j’ai tout de suite repéré ce qui allait faire mal.

Le succès peut être une catastrophe en fait, parce qu’il fait naître l’angoisse et qu’il s’évapore.

Le succès crée une certaine pression du fait qu’il crée aussi une attente. Il faut sortir un disque qui marche, faire une tournée, et puis recommencer, sans faillir, sans s’arrêter… La peur de ne pas y arriver, de ne pas avoir le même succès ou de ne pas être reconnu peut être paralysante et décourageante. Pour me protéger, je n’ai jamais laissé cette peur m’envahir. La peur fondamentale est celle de mourir, une fois qu’elle est apprivoisée, les autres sont secondaires. La peur de mourir comme artiste est comparable, mais la peur de "perdre" ne doit pas empêcher de vivre sa vie. Être artiste est une profession de foi basée sur une envie profonde de faire ce qu’on aime et non par désir d’avoir du succès. J’ai vécu de mon travail, et encore aujourd’hui, et j’aime ma carrière parce qu’elle n’a jamais dépendu du regard des autres. Il y a deux manières de vivre : soit exister dans le regard des autres, soit faire exister les autres à travers soi. J’ai plutôt tendance à choisir cette deuxième option.
 

Vous êtes auteur-compositeur, écrivain aussi, vous avez la double nationalité française et espagnole. Qu’est-ce que ces deux langues vous inspirent ?
Le français m’a donné envie de faire des chansons. Je suis née en Espagne mais j’ai eu la chance de grandir et France, bercé par la chanson française. J’ai connu certains de ceux qui ont fait cette chanson française : George Moustaki ou Claude Nougaro, un être toujours en colère mais délicieux. J’aime aussi beaucoup Léo Ferré et Joe Dassin qui continuent d’être des sources d’inspiration pour moi. Je trouvais la variété espagnole moins intéressante. Je dois à la France d’être née comme artiste tout simplement. L’Espagne m’inspire aussi. Je suis un grand admirateur du poète espagnol Federico García Lorca. J’ai mis en musique ses poèmes et je travaille en ce moment sur l’écriture d’une pièce de théâtre basée sur sa vie. C’est un ami pour moi, même si je ne l’ai pas connu. Il est mort en 1936 dès le premier mois de la guerre civile en Espagne pour avoir été un sympathisant de la République et probablement parce qu’il était homosexuel. Il est mort en août, en homme libre.
 

Que pensez-vous de la scène pop rock française en 2019 ?
Avant il y avait des disques qui me donnaient envie de faire des disques, plus maintenant. La scène pop rock française d’aujourd’hui m’inspire beaucoup moins, je la trouve formatée. Les artistes d’aujourd’hui se demandent comment ils vont pouvoir vendre leur musique avant même de la composer. Et d’ailleurs ils la vendent mieux qu’ils ne la font… Ils sont des petites choses gentilles, ils sont contents, ils remercient tout le monde aux Victoires de la Musique, leurs managers, leurs éditeurs etc. Moi je n’avais remercié personne à part mes parents. J’ai dit : "Quant un cycliste arrive en haut d’un col, il ne va pas remercier tous les gens qui l’ont aspergé d’eau". Je n’allais pas remercier les gens dont c’était le métier de m’aider à grimper la montagne !

Je pense qu’un artiste ne doit rien à personne et tout à tout le monde… mais certainement pas à une personne ou deux.
 

Vos albums suivent-ils une progression, une ligne musicale particulière ? Combien en avez-vous sorti d’ailleurs ?
Je ne sais plus combien j’en en ai fait…  Mais chacun a représenté un moment particulier. Ça a toujours été important pour moi d’enregistrer mes albums avec des musiciens différents, pour en faire une expérience humaine et artistique différente. Une fois j’ai demandé à Francis Cabrel comment il faisait pour travailler toujours avec les mêmes personnes au même endroit, parce que moi ça dépasse mon entendement, rien que l’idée m’ennuie terriblement. Je préfère me mettre en danger avec des nouveaux musiciens dont j’ignore comment ils vont servir ma musique. C’est peut être aussi pour ça qu’ils sont tous assez différents et que les gens du métier me trouvent difficile à "marketer", ma musique est très variée, je touche un peu à tout et à tous les registres. J’ai sorti Ti Amo en 2010, un album très classique tout en français qu’on a enregistré à Gênes, et puis trois ans plus tard Basta Ya, qui était très pop rock et que j’ai enregistré avec les musiciens d’Alain Bashung.

 

Publié le 20 mai 2019, mis à jour le 20 mai 2019

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