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La Lisbonne pombaline inspirée des Lumières

Marques de Pombal, Lisbonne, Portugal Marques de Pombal, Lisbonne, Portugal
©M.J. Sobral
Écrit par André Laurins
Publié le 10 février 2021, mis à jour le 20 juin 2021


La Lisbonne pombaline est une partie de la ville de Lisbonne qui renaît de ses propres cendres après le tremblement de terre de 1755.  Reconstruction et réformes pombalines pro-bourgeoises favorisant essentiellement le commerce aux dépends de la remise en cause de situations et de droits acquis par l'aristocratie et l'Eglise jusque-là omniprésentes. Cette partie moderne de la ville va épouser l'esprit des "Lumières", qui servira d'inspiration à d'autres grandes villes européennes comme Bordeaux ou Barcelonne. Lepetitjournal propose à ses lecteurs de découvrir cette caractéristique de Lisbonne lors d´une visio-conférence le samedi 13 février.  

 

La Lisbonne d'avant le tremblement de terre du 1 novembre 1755

En 1755, la population de Lisbonne comptait 250000 habitants (10% de la population du royaume); on estime entre 20 à 25000 morts (séisme,  ras de marée et incendies), donc jusqu'à 10% de victimes de la catastrophe, qui eut lieu un jour de la Toussaint.
C'était habituellement les couvents et monastères qui constituaient les noyaux des nouveaux quartiers à la conquête de nouvelles collines, nés des constructions qui venaient s'accrocher à leurs flancs. La trentaine de couvents de nonnes étaient alors à Lisbonne des centres mondains où les gentilshommes allaient choisir leurs maîtresses. On comptait aussi une quarantaine de monastères pour hommes. Les cérémonies de l'église, qui se multipliaient á l'infini, étaient les "fêtes galantes" de la société portugaise dans la première moitié du XVIIIème siècle. Les processions accaparaient l'attention du roi Dom João V; celle du « Corpus Christi » ruinait souvent du point de vue financier le Sénat de la ville, qui devait obéir à tous les caprices du souverain. L'Eglise, disait-on, possédait alors 1/3 du royaume. Les Jésuites dominaient, depuis leur arrivée au XVIème siècle, l'enseignement au Portugal. A l'Université de Coimbra qui était considéré le sommet culturel du royaume, Descartes, Gassendi et Newton étaient toujours jugés inutiles pour l'étude des sciences majeures.

 

Le tremblement de terre

1er  novembre 1755, 9 heures du matin, 4 secousses, 9 minutes au total, estimé à 8,7 sur l'échelle de Richter, un incendie qui dure 5 à 6 jours, que l'on peut apercevoir jusqu'à Santarem (70km au nord de Lisbonne). Agadir, Rabat et Cadiz seront aussi durement touchées, ce tremblement de terre sera senti dans une grande partie de l'Europe (Nord de l'Italie-plaine du Po, Catalogne, Suisse, Bohème), aux Açores, sur les côtes du Brésil et aux Antilles. Au Portugal, surtout l'Algarve, déjà éprouvé en 1722, Coimbra, Setúbal et Santarem subiront de très gros dégâts.

La partie de la ville entre la Place de Rossio et le Tage sera complètement détruite, essentiellement par l'incendie général. Les églises toutes illuminées et prêtent à célébrer la messe de la Toussaint, ainsi que l'illumination des habitations en ce début de journée ont contribué l´ampleur de cet incendie. Le quartier d'Alfama, entre la cathédrale et le château São Jorge, une partie de la Mouraria, seront également détruit. Il en sera de même pour une partie de la colline de Graça jusqu'à Notre-Dame do Monte et, du côté du Bairro Alto,  l'église de São Paulo et le couvent de São Pedro de Alcântara. En somme, les quartiers les plus peuplés de la capitale portugaise ont été les plus durement touchés.

Pour Sebastião José de Carvalho e Mello, futur Marquis de Pombal, en 1770, le séisme constituera la chance de sa vie. Secrétaire d'Etat aux affaires du Royaume,  depuis 1750, il devient le principal chargé d'affaires  de la reconstruction, le roi D.  José Ier  n'étant pas disposé à en à prendre la situation en main. Celui-ci va se réfugier dans un baraquement à Ajuda,  il ne reviendra dans le centre-ville que 20 ans plus tard pour inaugurer sa statue en bronze de 38 tonnes au centre de ce qui s'appellera dès lors la » Praça do Comércio » .

 

L´intervention du Marquis de Pombal

Trois tâches en premier lieu ; distribuer des vivres aux survivants, porter des secours aux blessés et imposer l'ordre militaire. La tradition attribue cette phrase au Marquis: "donner sépulture aux morts et prendre soins des vivants...". Il empêcha la fuite des gens vers les campagnes, une justice sommaire fut instaurée contre les pillards (34 dont 23 étrangers furent exécutés jusqu'à la fin novembre) et les prix des aliments, salaires et loyers furent fixés selon les cours d'avant le désastre pour éviter toute spéculation.

En règle générale, les grandes familles ne purent ou ne voulurent pas reconstruire dans cette partie de la ville, beaucoup de leurs palais ayant été détruits. Les palais moins endommagés ont servi dans les premiers temps à louer des appartements, qui deviendront des hôtels peu luxueux. Le seul  noble, sous la direction de  Pombal, qui rebâtira son hôtel dans cette partie de la ville, sera le Comte de Castelo Melhor, édifice qui deviendra plus tard le palais Foz (au Restauradores, futur poste de tourisme principal de la capitale)  et qui abritera la cour du roi juste après la catastrophe. D'autres, comme le Marquis de Fronteira, ayant perdu sa demeure urbaine, agrandira celle de Benfica. Par contre, la grande bourgeoisie commencera rapidement à édifier des hôtels particuliers. Car le tremblement de terre donnait l'opportunité d'exiler la noblesse vers Belém et Ajuda où demeurait le roi D. José Ier et de mettre à sa place une société de marchands, une classe qui se voulait "éclairée", qui allait pouvoir créer son "classicisme" et était prête à le croire, voir à le proclamer "somptueux", par la bouche du Marquis de Pombal lui-même

Place du Rossio - Lisbonne
 ©M.J. Sobral

La reconstruction

Le nouveau maître du royaume, un despote illuminé pour certains, interdira toute construction en dehors des limites de la ville ancienne et menacera de détruire toute maison ou édifice construit en dehors de la planification générale. Beaucoup se mirent à camper sur les places ou dans les vastes terrains des couvents en attendant de futurs logements. Les nobles et les bourgeois fortunés, de leur côté, faisaient construire des baraques en bois, à l'exemple de la famille royale, cette dernière restant dans la "Real Barraca" de Ajuda,  pendant 22 ans. Beaucoup furent importées de Hollande, certaines luxueuses à 2 étages. En six mois, on en construisit 9000, le tout acheté à des prix spéculatifs, les classes aisées faisant également des dépenses exorbitantes en vêtements, carrosses, porcelaines. Quand l'argent venait à manquer, on empruntait; le luxe débordait paradoxalement à Lisbonne. L'esprit du roi Dom João V dominait encore dans les esprits, malgré les rues encombrées de décombres, de détritus et une véritable forêt des étayages de la reconstruction des bâtiments.

 

L'urbanisme pombalin fait de Lisbonne la première des villes modernes

L'uniformité des édifices de la nouvelle Lisbonne traduit un esprit fonctionnel, de discipline militaire dénuée de fantaisie, dans un tracé rigoureux et le rôle joué  dans le style utilisé est  autant d'origine militaire, que pour des raisons économiques. Ainsi, le manque de commodité des maisons; l'intérieur des immeubles est sans cour avec une entrée obscure, les escaliers étroits et sombres, des caves voûtées avec leurs piliers d'une belle technique, des appartements avec des pièces sans jour, sans cheminée, à part celle des cuisines, des pièces à la file où on y grelotte en hiver devant un brasier et une couverture sur les épaules.
Les hôtels nobles ou bourgeois, eux, sont  réduits à un seul portail. La standardisation des éléments de construction, qui est un des aspects les plus valables du phénomène lisboète qui traduit une sorte de pré-industrialisation et qui n'a pas joué ailleurs, en est la preuve concrète.

L'esprit conservateur de l'architecture portugaise, provoquée à la fois par l'attardement des goûts et par le manque d'études appliquées à l'actualité, joue ici un rôle paradoxal. Car au-delà de cette permanence sensible du XVIIème siècle et début du siècle suivant dans l'architecture de la nouvelle ville, on décèle un esprit autre, un esprit "moderne", qui, au niveau des formes se définit par la remise à la mode d'austères formes anciennes. On peut le classifier de néoclassicisme contemporain du XVIIIème siècle avec sa rigueur, sa simplicité et sa froideur.

Baixa de Lisbonne
 ©M.J. Sobral

Un nouveau tracé

Il est inutile de rappeler qu'au moment de la victoire du classicisme au sein d'une société évoluée comme la société parisienne, Lisbonne restait assujettie au goût espagnol (l'influence marquante de l'occupation jusqu'en 1640) s'exprimant par le gongorisme en littérature, le théâtre, les carrosses chargés d'or, tout ceci un demi-siècle durant. Le tremblement de terre provoquera la rupture avec cet héritage et la mise en place d'un néo-classicisme de manière empirique, déjà figé par son allure académique.

Le tracé de l'échiquier des rues de la Baixa est marqué par sa régularité où les trois places Rossio , Figueira et Comércio,  ont commandé l'alignement des édifices, leur uniformité, la rigueur de leurs dessins. Or l'urbanisme pombalin, par les circonstances de sa création, par son amplitude et par les exigences de son exécution, est un phénomène original, élaboré à partir de plans qui n'ont pas de sources étrangères.
Le nom de la grande place, qui du temps de D. Manuel I s'appelait "Terreiro do Paço", ou promenade de la cour,  sera remplacé par celui de "Praça do Comércio", pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté quant au changement radical de classe sociale, qui prenait en main cette partie de la ville. Paradoxalement, les deux termes sont encore utilisés de nos jours par l'ensemble des Lisboètes.

Dans le XVIIIème siècle portugais, le seul évènement vraiment original a été ce tremblement de terre de 1755 et la naissance d'une nouvelle ville, qui en a été la conséquence. Celle-ci, par ses limites, est la dernière des anciennes villes de l'Europe et par ses qualités, la première des villes.

 

En savoir plus : Samedi 13 février à 16h30 lors d´un vidéo-conférence proposée par André Laurins intitulée : "la Baixa  pombaline; fonctionnelle et ésotérique"
Inscription : laurins.andre@gmail.com

 

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