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LITTERATURE - "Trois-ex" de Régine Detambel

Écrit par Lepetitjournal Lisbonne
Publié le 7 juin 2017, mis à jour le 8 juin 2017

Autant l´écrivain était remarquable autant le mari était exécrable. C´est du moins ce que l´on pourrait dire d´August Strindberg. Régine Detambel nous raconte, dans un beau récit, les affres de la vie conjugale aux côtes du génie suédois, à travers le regard de ses trois femmes.

 

Régine Detambel
Si les écrivains nous envoûtent le plus souvent avec leurs fictions, il n´en est pas moins vrai que parfois leur vie suscite l´intérêt des lecteurs et inspire à d´autres écrivains, outre des biographies, des romans ou des récits.  

Née en 1963, Régine Detambel est l´auteur d´une ?uvre considérable, riche d´une cinquantaine de titres, composée de fictions, formes brèves, essais et livres pour l´enfance et l´adolescence. Elle anime des ateliers d´écriture et des conférences sur la bibliothérapie. En 2015, elle a publié un essai intitulé Les livres prennent soin de vous - pour une bibliothérapie créative. Un sujet assurément intéressant, mais tout aussi important est son dernier livre,  paru  déjà cette année, chez son principal éditeur, Actes-Sud. Le sujet en est la vie du dramaturge, romancier, essayiste et peintre suédois August Strindberg (1849-1912), un des fondateurs du théâtre moderne et dont la plupart des ?uvres -dont deux écrites directement en français : Plaidoyer d´un fou et Inferno- se classent parmi trois courants littéraires majeurs : d´abord le naturalisme, puis le symbolisme et finalement l´expressionnisme. Pourtant, ce n´est pas tellement sur sa carrière que porte le récit de Regine Détambel, mais sur ses rapports avec les trois femmes qu´il a épousées sa vie durant. Le livre s´intitule d´ailleurs Trois ex et, comme on nous le présente dans la quatrième de couverture, est un "porte-voix offert à ces épouses aux ailes brûlées, qui relatent à tour de rôle les bonheurs et les drames de leur mariage avec le monstre sacré".

L´enfer de Strindberg
Les relations de Strindberg avec ses trois femmes -Siri Von Essen, Frida Uhl et Harriet Bosse- sont orageuses, découlant de son caractère misogyne, névrotique et hypersensible. Séducteur au premier abord, Strinberg ne parvenait pas à maîtriser sa nature atrabilaire et, partant, sa vie conjugale ne pouvait qu´en pâtir.

Sa première épouse, Siri von Essen, voulait devenir actrice, mais elle était alors encore mariée au baron Carl Gustav von Wrangel, officier de la Garde Royale,  et les strictes règles mondaines de l´époque rendaient impossible l´exercice d´un tel métier par la femme d´un personnage aussi haut placé. Ainsi la connaissance de Strinberg fut-elle une aubaine pour Siri qui, éprise de l´ écrivain, a divorcé du baron. Pourtant, si elle a bien pu accomplir son rêve de devenir actrice, sa vie aux côtés de Strinberg ne fut nullement une partie de plaisir, loin s´en faut. Régine Detambel donne voix dans le récit (quoiqu´il s´agisse d´une fiction) aux angoisses de Siri : "Il m´a gâché la vie. Tant que nous avons été mariés, j´ai pleuré presque tous les jours. Mes yeux se mouillaient dès qu´il élevait la voix. Je n´ai jamais cessé d´avoir peur". Et plus loin, elle renchérit : "Sur ce que doit être une épouse, une mère, August avait des idées bien arrêtées. Et tout le monde savait à quoi s´en tenir avec lui. Il n´a jamais eu d´amis véritables, les gens se sauvaient en courant aussitôt qu´ils comprenaient à quel genre de cinglé ils avaient affaire. Dire que je me suis imaginé que je serais capable de jouer le rôle de la femme de Strindberg. J´ai échoué. Pas une femme sur un million n´aurait pu réussir à tenir, même un seul jour."

Alors que la carrière de Siri s´essouffle, le couple déménage avec les enfants en Suisse où la vie n´est pas tranquille non plus.  Ils vivent dans une pension de famille et ont du mal à survivre. Une année, ils n´ont même pas de quoi s´offrir des vêtements neufs et les autres pensionnaires se méfient de ce monsieur sans revenus fixes qui ne semble pas en possession de toutes ses facultés mentales. Siri ne sait plus à quel saint se vouer quand fait irruption dans sa vie une belle blonde danoise qui répond au nom de Marie David, une lesbienne dont elle tombe follement amoureuse, suscitant la jalousie d´August et lui inspirant le roman Le plaidoyer d´un fou, cité plus haut. August et Siri divorcent en 1891.  

C´est à Heligoland, en pleine mer du Nord, au milieu des pingouins, des fous de Bassan, dans le vent et les embruns que Strindberg se marie en 1893 à sa deuxième épouse Frida Uhl, une journaliste et traductrice autrichienne. Entre la joie et la douleur, le bonheur et l´angoisse, leur vie se déroule tant bien que mal jusqu´à ce que l´usure de leur relation finisse inévitablement par mener au divorce. Strindberg sort facilement de ses gonds. Frida nous raconte ce qui s´est passé un beau jour : "Un matin, il trouve le café trop tiède. Alors il glisse sous la porte de la chambre de grandes feuilles de papier blanc sur lesquelles il écrit des choses extraordinairement fielleuses et haineuses. Il ne veut plus me parler. Il ne communiquera plus avec moi que sur des bouts de papier, de plus en plus petits, de plus en plus sales".

Enfin, à l´orée du vingtième siècle, Strindberg se marie à l´artiste Harriet Bosse. L´enchantement des premiers temps pour l´écrivain réputé va en s´émoussant et décidément Strindberg n´est pas fait pour le bonheur conjugal. Cette fois-ci, il se met en tête qu´il  n´est pas le père de  l´enfant qu´elle attend. Il l´insulte, la traite de pute et elle part. Elle finit toutefois par se raviser. Elle le quitte d´ailleurs à douze reprises et elle revient onze fois.  La dernière fois, elle se dit que c´est la bonne. Elle avait recouvré sa dignité : "Strindberg, c´était fini".

En se glissant dans la peau de chacune des trois épouses (Les trois-ex) d´August Strindberg, Régine Detambel nous a montré par le biais d´un remarquable récit comment le génie va souvent de pair avec la névrose et la mélancolie.

Régine Detambel, Trois-ex, éditions Actes-Sud, Arles, janvier 2017.

Fernando Couto e Santos (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) jeudi 8 juin 2017
http://laplumedissidente.blogspot.pt/ 

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Publié le 7 juin 2017, mis à jour le 8 juin 2017

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