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L’expatriation LGBT : orage ou arc-en-ciel ?

La clé d’une expatriation réussie passe par une bonne intégration dans son pays de résidence. Mais les choses se compliquent pour les expatriés LGBT qui doivent préparer leur mobilité internationale autrement dans des pays qui bafouent parfois leurs droits. A l'occasion de ce mois des fiertés, lepetitjournal.com vous partage cet article déjà publié à l'été 2020. 

Des expatriées LGBT avec un drapeau arc-en-cielDes expatriées LGBT avec un drapeau arc-en-ciel
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 31 mai 2023, mis à jour le 20 juin 2023

« Il y a très peu d'endroits dans le monde où les personnes LGBTQ + peuvent vivre sans avoir à se soucier de la possibilité d'être ciblées, exclues ou discriminées en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre. », martèle Lucas Ramón Mendos, responsable recherche pour Ilga, association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexe. Comment peut-on appréhender le monde et la mobilité internationale quand son orientation ou son identité peuvent être des freins à l’intégration voire un crime dans certains Etats ?

 

La mobilité internationale pour les personnes LGBT

D’après le baromètre 2020 Autre cercle-Ifop seule une personne LGBT sur deux est « visible » en France dans son entourage professionnel. Cette invisibilité des cadres et salariés LGBT complique d’autant plus les politiques de mobilité internationale des grandes entreprises. Faute de pouvoir en discuter ou de réponses concrètes de la part de sa direction, c’est donc souvent à l’expatrié lui-même de se renseigner sur son futur pays d’accueil. «Les lois en vigueur dans le pays sont une bonne première étape pour évaluer la situation.», souligne Lucas Ramón Mendos. Mais cela n’est pas suffisant : «Plusieurs pays où l'homosexualité est légale ont d'autres lois qui restreignent sévèrement la possibilité de mener une vie ouverte en tant qu'expatrié LGBTQ +, y compris des lois qui interdisent la diffusion d'idées liées à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre (comme en Russie), des lois qui interdisent les marches des fiertés ou même la possibilité pour les organisations LGBTQ+ de fonctionner légalement (bloquant ainsi la plupart des chances de voir un changement positif dans le futur).» Par ailleurs, «même si aucune de ces lois restrictives n'existe, l'hostilité et les préjugés peuvent encore être élevés sur le terrain. Les expatriés peuvent trouver des rapports locaux sur les actes de violence et de discrimination contre les personnes LGBTQ + comme une source utile pour évaluer cela. Par exemple, plusieurs études ont mesuré la relation entre la religiosité et les préjugés. Les études révélant les attitudes sociales à l'égard de la diversité sexuelle et de genre sont également une bonne source d’information.»

Learnlight, acteur de la ed-tech, liste également les questions que doivent se poser les candidats à l’expatriation : « Les expatriés LGBT qui envisagent d’accepter un poste à l’international doivent absolument se poser les sept questions suivantes : Comment la loi de mon pays d’accueil traite-t-elle les personnes LGBT ? Mon conjoint sera-t-il bien traité ? Mes droits parentaux seront-ils respectés ? Quelles seront les réactions de mes collègues ? Quels sont les pays les plus accueillants pour les personnes LGBT ? Quels sont les pays les moins accueillants pour les personnes LGBT ? Mon entreprise a-t-elle l’obligation de proposer un accompagnement supplémentaire aux expatriés LGBT ? »

Carte ILGA des lois sur l'orientation sexuelle dans le monde en 2020

 

Vivre dans un pays où les droits LGBT ne sont pas reconnus

« En juin 2020, 70 pays criminalisaient toujours l'intimité homosexuelle consensuelle et de nombreuses formes de travestissement et d'expressions de genre diverses. », nous explique Lucas Ramón Mendos, auteur du rapport l'Homophobie d’État. Les personnes LGBT doivent donc souvent faire attention à ne pas divulguer leur vie privée ou à se faire passer pour « célibataire ». Pascal, ancien expatrié au Laos, nous explique : « quand je vivais à Vientiane, il était compliqué pour moi de parler de ma vie privée. Bien qu’en couple, je devais toujours prétendre être célibataire auprès des autorités mais aussi de mon patron et de mes collègues ». Sergio, aujourd’hui expatrié en Allemagne, nous raconte sa première expatriation en Chine : « La Chine n'est pas un pays qui punit l'homosexualité (ou d'autres sexualités), ce pays applique simplement ce qu'ils appellent «san bu zhengce» quelque chose comme: aucune approbation, aucune désapprobation, aucune promotion. Par conséquent, en Chine continentale, vous ne trouverez même pas de représentations d'autres sexualités dans les médias traditionnels, car elles sont interdites. À l'intérieur de cette relation entre les LGBTQ et l'État chinois, ce n'est pas socialement invisible ou mauvais d'être gay, cela n'existe tout simplement pas comme quelque chose de pertinent pour la communauté et cela reste un choix dans le domaine personnel, mais pas dans le domaine professionnel. Personnellement, je n'ai pas été victime de discrimination pour être gay, mais j'ai constaté que tous les Chinois n'essayaient pas d'être inclusifs avec d'autres sexualités et ils supposaient simplement que j'étais intéressé à trouver une fille. »

 

Le traumatisme de la manif pour tous

Bien qu’ayant instauré le mariage pour tous, la France n’est pas non plus le pays le plus à la pointe pour ce qui est des droits des personnes LGBT tout comme d’ailleurs la perception de la population envers cette communauté. SOS Homophobie a ainsi reçu 2396 témoignages soit 26% supplémentaires entre 2019 et 2018, signalant des actes homophobes ou transphobes. La virulence des manifs pour tous a d’ailleurs marqué de nombreux expatriés. David, expatrié à Malte et interrogé par Le Petit Maltais, a expliqué : « quand les lois du mariage pour tous sont passées à Paris, on a eu le droit à 6 mois de manifestation contre nous, à Malte, non … » Pour François, cela l’a même décidé à partir : « J’ai choisi de refaire ma vie en Grande Canarie il y a 3 ans avec ma fille issue d’une famille homoparentale ! Le temps de nous organiser, nous avons aménager sur l’île en février 2019. J’ai choisi cette île pour l’école française ici présente et que ma fille ne soit pas trop dépaysée, mais aussi et surtout pour l’ouverture d’esprit dont les Canariens font preuve. Lors des manifestations contre le mariage pour tous j’ai vu mon pays comme jamais je ne l’aurai imaginé jusqu’alors, ça a été mon déclencheur ».

Céline Audebeau est la première personne à avoir été reconnue officiellement dans le nouveau genre au Vietnam. Ce pays d’Asie lui semble beaucoup plus tolérant à l’égard des personnes transgenres que la France : « Je suis passée à la télé au Vietnam et en France et le lendemain, les attitudes étaient complètement différentes. Au Vietnam, les gens me reconnaissaient dans la rue, ils voulaient prendre des selfies, me serrer la main ou faire un hug. En France, ce sont des chuchotements ! Les Vietnamiens ont une tolérance beaucoup plus élevée que les Français car c’est quelque chose de nouveau pour eux qui ne les troublent pas outre mesure. En France, il y a encore une terrible image de la folle et beaucoup de préjugés à casser. C’est mon boulot ! ».

 

Le drapeau arc-en-ciel LGBT et le drapeau trans

 

Devenir soi-même à l’étranger

S’expatrier nous permet souvent de nous remettre en question ou de nous découvrir. Loin du carcan familial ou social, on peut se sentir plus libre. Pour les personnes transgenres françaises à l’étranger, l’expatriation leur a parfois permis de devenir elles-mêmes. Céline Audebeau, auteure de l’ouvrage Du masculin au féminin, mon parcours singulier, nous expliquait : « Jamais je n’aurais fait ma transition en France ». L’expatriée reproche au système médical français « la mainmise des psychiatres sur une décision de transformation éventuelle. Ils disent qu’il faut qu’il y ait une imprégnation dans le genre avant qu’il y ait une imprégnation hormonale. Ils souhaitent qu’on vive en tant que femme tous les jours pendant un ou deux ans. Ainsi, ils génèrent beaucoup de transphobie en France. Quand on voit une personne masculine dans des vêtements féminins, c’est très mal perçu. C’est tellement visible que ça stigmatise ». En Asie, Céline Audebeau a pu faire les choses autrement. « Mon privilège d’expat, c’est d’avoir pu décider ». Sylvia Zatanna, expatriée à Perth, regrette que les démarches administratives françaises soient si compliquées : « Les démarches ont été relativement faciles ici en Australie et les gens que j'ai rencontrés ont tous été bienveillants. Par contre, je n'ai pas encore modifié mon passeport français car les démarches en France sont beaucoup plus complexes ».

 

Une oeuvre de street-art LGBT

 

La reconnaissance du conjoint

Lorsque l’on vit à l’étranger l’un des sésames pour pouvoir s’installer reste l’obtention d’un visa de travail ou bien de résidence. Dans le cas des conjoints d’expatriés LGBT, la tâche est d’autant plus ardue quand le mariage homosexuel n’est pas reconnu sur place. Seuls 29 pays dans le monde reconnaissent le mariage homosexuel. Un expatrié de Singapour, souhaitant rester anonyme, nous explique : « Aucun permis de résider ne sera délivré à un couple LGBT contrairement aux couples non-LGBT mariés (Dependent Pass) ou non mariés (Long Term Visitor Pass) par le Ministry of Manpower (MoM). Mon partenaire réside à Singapour avec un visa touristique. Depuis fin 2017, il doit faire un aller-retour (généralement avec le Vietnam) de plusieurs jours tous les 3 mois et demander un nouveau visa touristique à son retour à la discrétion des services de l'immigration (ICA). » Il souligne que la situation des couples LGBT n’est pas prise en compte par l’administration française à l’étranger : « Nos consulats n'ont pas organisé ce retour d'expérience et le partage d'information. Lorsque vous arrivez en couple dans un pays qui ne reconnait pas les couples LGBT vous avez de nombreuses questions bien pragmatiques: Est-ce que je peux enregistrer mon partenaire sur mon contrat de location ? Est-ce que je dois l'enregistrer avec moi au Consulat ? Dans quelles conditions le visa (touristique) de notre partenaires peut ne pas être renouvelé par les autorités locales ? Vaut-il mieux passer les frontières ensemble ? Peut-on ouvertement dire qu'on est LGBT et qu'on rejoint son partenaire lors des investigations par les bureaux de l'immigration ou vaut-il mieux invoquer un autre motif (c.a.d. mentir au risque de se faire expulser) ? Comment se font et se préparer aux expulsions, si il y en a (j'ai appris récemment après la procédure du tampon rouge) ? Ces retours sont essentiels. Les situations évoluent dans chaque pays. Nos Consulats sont démunis car pas intéressés par ces sujets pourtant plus critiques pour nos concitoyens (que la connaissance du montant des frais de scolarités au lycée international). »

 

Une marche des fiertés ou gay pride

 

Une intégration facilitée par l’expatriation

Malgré les difficultés rencontrées, les personnes ayant témoigné sont ravies d’avoir pu partir vivre à l’étranger. Leur intégration n’a d’ailleurs pas posé de problèmes particuliers, peut-être également car leur statut d’expatrié leur permet une certaine liberté par rapport aux locaux. Luc Citrinot nous a ainsi confié : « Je n'ai eu pratiquement aucun problème dans ma vie personnelle et professionnelle dans les deux pays où j'ai vécu, Malaisie et Thaïlande. Probablement parce qu'il existe dans la population un certain degré de tolérance, tolérance qui est particulièrement présente en Thaïlande. Mon statut d'occidental m'a certainement favorisé dans mes rapports avec la population locale, y compris pour expliquer quelles étaient ou non les différences dans mes orientations et également de dissiper d'éventuelles incompréhensions ou conceptions erronées. Ce fut aussi vrai en Indonésie ou en Malaisie, malgré le poids de la religion musulmane. Expliquer a été une bonne pédagogie. N'ayant pas un style revendicatif en imposant mon homosexualité aux autres, mes relations ont toujours été très apaisées avec les populations locales, n'ayant jamais-ou très peu comme en France- dû cacher mon identité. Elle m'a même aidé dans mon travail en écrivant le premier guide LGBTQ de Bangkok sponsorisé par l'office de tourisme de Thaïlande… »

Cet expatrié anonyme à Singapour nous a également souligné la solidarité de la communauté LGBT locale : « Nous appartenons à une minorité qui est solidaire. De facto nous avons été très vite intégrés à la population locale. Dès les premiers mois, nous avons été invités chez des Singapouriens, alors qu'un couple non-LGBT expatrié mettra au moins un ans pour être accepté par la population locale. Nous avons également un réseaux solidaire de collègues français des autres entreprises. Ces derniers mois, confinés à la maison, nous avons aussitôt mis en place un web-apéro (ZOOM) qui me permet de se tenir bien informé sur ce qui se passe sur le territoire, á titre individuel et professionnel. »

Jean-Pierre Schmitt, chef d’orchestre et directeur artistique du Classical Saxophone Project, à New York depuis 1988, nous permet de clore cet article sur une note d’espoir, qui résonne en particulier lors de ce mois des fiertés : « Faire partie d’une minorité, sexuelle, raciale, ethnique etc n’est pas une menace mais au contraire apporte de la richesse au tissu social. Dans cet ordre d’idées, je ne peux que me féliciter de la réaction des Américains qui descendent dans la rue pour lutter contre les injustices sociales et aussi du camouflet reçu par l’administration lorsque récemment la Cour Suprême a voté pour conserver les droits de  la Communauté LGBTQ. Voltaire je crois est content. Essayons, c’est impératif, sinon de nous aimer, du moins de nous comprendre, de tolérer et de célébrer nos différences. » 

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