Depuis quelques jours, les universités cherchent à prendre le relais de la révolution égyptienne avec différentes grèves organisées. Lepetitjournal.com en profite pour aller à la rencontre de futurs juristes africains francophones, afin de savoir comment ils traversent les troubles qui secouent le pays
Ces trois jeunes africains (photo: S. Thierno) ont fait le choix de s'inscrire à l'IDAI (Institut de Droit des Affaires Internationales), filière de la Sorbonne, installée dans l'enceinte de l'Université du Caire depuis les années 90. Leurs opinions divergent sur la situation politique du pays depuis la révolution, mais tous admettent, qu'à défaut de pouvoir aller en France, la stabilité académique a pesé un lourd poids dans leur décision de venir au Caire. Ils sont cependant, depuis quelques mois, confrontés à des changements qui les obligent à prendre de nouveaux repères.
Fabrice est burkinabé, arrivé en octobre 2010. La première chose qu'évoque cet étudiant, à la mine grave et sérieuse d'un juriste en herbe, c'est la bureaucratie égyptienne. Il n'invente rien, même les Egyptiens se plaignent des tracasseries du genre, dignes des meilleurs romans de Kafka. Il doit s'y conformer, mais pour lui l'Egypte doit en faire un vestige du passé si elle veut se moderniser. Les passe-droits et les pistons sont encore tout à fait d'actualité et les révolutionnaires poursuivent la lutte contre les fellouls, les "vestiges" de l'ancien régime, l'une de leurs priorités. Cette lutte pourrait-elle être une réalité dans tous les domaines ? Fabrice reste muet là-dessus et semble se conformer à un "Wait and see". Si une chose l'a marqué en 2011, c'est l'environnement de l'université : "on se croyait sur un vrai camp de concentration ; l'université était nuit et jour encerclée par des fourgons de police, à l'affut de tout mouvement susceptible de mettre en danger le régime", se rappelle-t-il. Aujourd'hui, pour Fabrice, et malgré les nouvelles manifestations, les universités, c'est comme un mauvais rêve qui se termine, enfin presque ! L'Egypte a certes beaucoup changé en un an, mais quelques très mauvaises habitudes de l'ancien régime sont encore bien en place.
La faute aux médias
Doukouré Mouhamadou, est malien, arrivé en Egypte en 2011. Détenteur d'une licence d'arabe de l'Université de Bamako, il se montre très optimiste sur l'avenir démocratique de l'Egypte. A l'inverse de Fabrice, qui ne parle pas un mot d'arabe, Doukouré est confiant en la capacité des Frères musulmans à diriger l'Egypte. Comme il maîtrise parfaitement la langue locale, cela lui facilite la compréhension des divers avis exprimés sur le pays, lui qui écoute intensément les discours islamistes. Pour lui, les Frères sont la seule alternative politique, pour l'instant. La langue est un facteur de rapprochement, dit-on. Et Mouhamadou, qui n'a cependant pas de contacts très poussés avec les Egyptiens de la rue, se montre un peu inquiet quant au laisser-aller sécuritaire, qui s'aggrave de jour en jour au Caire. Divers crimes commis au grand jour ces derniers temps étaient impensables sous Moubarak.
S'il a des craintes pour sa sécurité physique, ses parents, restés au pays, sont encore plus anxieux. La faute aux médias probablement, qui insistent souvent sur l'aspect négatif de la situation. Ainsi après des échauffourées entre policiers et manifestants ou avec la tragédie du stade Port-Saïd, quand 74 jeunes supporters de football ont trouvé la mort au début de ce mois, la situation dans le pays apparaît dramatique vue de l'étranger. Néanmoins, Mouhamadou, l'optimiste, est confiant : "Tout rentrera dans l'ordre, une fois le nouveau président de la république élu." Cela lui fait oublier les autres sujets brûlants et son discours rassure ses parents.
Baba N'Djaye est malien comme Mouhamadou. Installé en Egypte depuis 2010, il a abord reçu l'accueil d'une famille malienne, avant de voler de ses propres ailes. Au début, le séjour a été pénible, lui qui attendait chaque début de mois le soutien financier de ses parents au Mali. Grâce à des contacts et son courage, Baba a non seulement obtenu une bourse de la Ligue arabe mais a aussi intégré un club de basket-ball au Caire, sport qu'il pratiquait déjà dans son pays natal. Ses talents sportifs lui ont permis de passer le test avec succès. Le sport, en particulier le basket, reste sa passion en Egypte. Pour autant, Baba n'ignore pas ce qui l'entoure. Il estime que les Egyptiens sont "devenus incontrôlables" avec leurs manifestations quotidiennes, souvent isolées, et leurs réclamations incessantes. Non sans souhaiter à l'avenir une paix durable pour l?Egypte.
Pour ces trois jeunes africains francophones, "l'Egypte représente une échappatoire académique". Mais va-t-elle le rester ? Car depuis la révolution, il y a maintenant plus d'un un an, les cours ne sont plus réguliers et les examens sont organisés dans la plus grande confusion. Alors s'ils ne vont pas jusqu'à se considérer comme des victimes collatérales de la révolution, ils réalisent "en payer quand même un certain tribut".
Sylla Thierno (www.lepetitjournal.com/le-caire.html) jeudi 16 février 2012