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FRANÇAIS DE MALAISIE - Josiane Reggane, de Seoul à Kuala Lumpur

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 22 septembre 2015, mis à jour le 5 novembre 2015

Josiane Reggane est une curatrice spécialisée dans l'art contemporain. Après avoir passé 12 mois à Séoul, son désir de rester en Asie l'a amenée à Kuala Lumpur il y a un an et demi de cela. Aussi connu sous le terme de commissaire d'exposition, le mot curateur provient de l'anglais ?curate? qui signifie "prendre soin" : soin des artistes, mais aussi des ?uvres et des spectateurs. Entre artiste et galeriste il est parfois difficile de comprendre le rôle du curateur. Pour elle, ?il travaille avec l'artiste et les ?uvres, pour le spectateur?.

Voilà six ans que Josiane s'est reconvertie, après un parcours professionnel dans l'univers bancaire. Elle commence tout d'abord à travailler sur des expositions avec son mari, qui en parallèle d'une carrière dans le pétrole est artiste-photographe et multimédias  ?Je l'ai aidé dans ses expositions de photos et de mix-médias. C'est quelque chose qui m'intéresse. J'ai toujours été passionnée par l'art? explique Josiane. L'occasion de revenir avec elle sur son rôle dans le monde artistique, son parcours et ses projets à venir.

Lepetitjournal.com : D'où vous est venue l'envie de faire ce métier ? 

Josiane Reggane : En 2008, alors que je travaillais toujours dans la banque, j'ai eu l'opportunité de partir à Dubaï, et mon mari m'a suivie. Sur place, nous nous sommes rendu compte que le marché de l'art était embryonnaire. Il s'agissait d'un marché au sens strict du terme: acheter et vendre. Il y avait beaucoup d'endroits dans lesquels il était possible d'exposer, mais pas d'infrastructures, pas de curateurs, pas de critiques, et pas de musées. Je me suis donc totalement impliquée dans la création et la conceptualisation de ses expositions en prenant en charge tous les aspects normalement gérés par la galerie et le curateur. C'est ainsi que j'ai réalisé que j'y prenais beaucoup de plaisir, même si ça n'a pas été toujours facile. J'ai par la suite mis un terme à ma carrière dans la banque, je suis retournée sur les bancs de l'école, et j'ai suivi un master en marché international de l'art à Paris. J'ai eu la chance en parallèle de rencontrer à Dubaï des artistes Saoudiennes qui avaient pour projet de créer une galerie d'art contemporain. Nous nous sommes tout de suite très bien entendues, car nous avions le même objectif. En fait, ce qui m'intéressait, c'était la promotion d'artistes émergents, locaux et internationaux. Quand nous nous sommes lancées dans le projet, tout s'est bien passé, car les deux jeunes femmes avaient une bonne connaissance du marché local, et des connexions avec les artistes locaux. De mon côté, j'avais une solide connaissance de l'art et du métier de curateur, de l'organisation d'une exposition, et aussi du business. Nous avons ainsi réussi à monter un projet viable. Quelques mois après l'ouverture de la galerie, mon mari a eu une opportunité de travail à Séoul. Nous avons saisi cette opportunité pour découvrir l'Asie. Séoul, est un endroit vraiment extraordinaire pour l'art. Mais je n'ai pas abandonné la galerie à Dubaï pour autant, j'ai continué à travailler sur les projets que j'avais initiés.

Etes-vous vous-même une artiste ? 

C'est une question qui fait polémique aujourd'hui dans le milieu de l'art. Je ne suis pas artiste tel qu'on l'entend dans le sens classique : je ne peins pas, et je fais de la photo comme tout le monde, avec mon smartphone ! Le métier de curateur peut être considéré comme de la gestion de projet, avec des tâches administratives. Néanmoins, lorsque l'on est indépendant ou que l'on travaille avec des galeries, il y a un côté dans la profession de curateur qui est très créatif. En tant que curateur on crée un projet. L'exposition devient alors une ?uvre en soi, de son auteur. Est-ce que c'est de l'art ? Est-ce que c'est assimilé à de l'art ? C'est un grand débat. En tout cas, il y a une part de créativité, c'est sûr.

Pouvez-vous nous parler de la mission qu'est celle de curatrice?

Il y a deux aspects dans ce métier. L'aspect purement administratif : l'organisation d'expositions, la logistique, ? Et puis à côté, il y a tout ce qui concerne le travail de recherche et d'analyse, la conceptualisation et la médiation culturelle. Je travaille sur l'art contemporain, je suis donc plus dans la rencontre que dans la recherche livresque. Je prends soin des artistes en les questionnant sur leur art pour les inciter au meilleur, ou les bousculer. Je me préoccupe également de leurs ?uvres. Il faut s'assurer des conditions d'accrochage et de conservation. Je m'attache à mettre les ?uvres en résonance avec un lieu et à créer pour chaque projet une nouvelle narration spatiale, sans corrompre ou trahir l'esprit de l'artiste. Le but premier du curateur, c'est de présenter une vision différente du monde. Ce qu'il faut savoir, c'est que le métier de curateur n'existe pas depuis longtemps. Il y a 50 ans, il n'était pas concevable de rassembler des artistes hors d'un cadre géographique ou chronologique, ni même d'organiser des expositions comme des points de vue sur le monde. Le commissaire d'exposition, n'existait quasiment pas. Ce que les curateurs ont apporté au monde de l'art, c'est le fait d'assembler, dans un lieu choisi, des artistes et des idées. L'objectif, est de divertir le spectateur, de l'amener à se questionner ou de le choquer, mais surtout de ne pas le laisser indifférent. Il faut que le spectateur réagisse ou interagisse.  Mon objectif n'est pas de vendre, de faire de l'art un objet de consommation, mais de faire connaître et de faire aimer.

Choisir et présenter des ?uvres est quelque chose de très subjectif. Intégrez-vous votre expérience personnelle dans une exposition, et est-ce que le fait que vous soyez Française à une influence ?

Bien sûr, notre culture et notre expérience personnelle rentrent en compte. Du coup, il y a beaucoup de discussions avec l'artiste, car on n'est pas toujours d'accord sur tout. Le curateur est le premier spectateur. Il porte ses influences en lui, mais il travaille avant tout pour le spectateur final avec pour objectif de le divertir, le faire réfléchir, le ramener à proximité d'un artiste dont la présence physique n'est pas révélée par un corps, mais par ses créations.. En revanche, l'influence de la nationalité a tendance à s'estomper. Il n'y a plus de frontières dans le milieu artistique. Nous sommes tous exposés à des cultures, des ?uvres et des artistes de nationalités différentes. Notre perception de l'art est de moins en moins biaisée par notre propre culture. Aujourd'hui, il est très difficile de qualifier un artiste d'artiste Français. Certes, il a une nationalité, une origine, mais est-ce que l'on peut se dire aujourd'hui dans l'art contemporain, que cet artiste fait de l'art français? Je pense surtout qu'aujourd'hui la notion de nationalité dans le monde de l'art est un peu dépassée. 

Y a t-il un thème ou un pays qui vous inspire plus qu'un autre ?

Je m'intéresse plus à tout ce qui est conceptuel, plutôt que figuratif. Même si le figuratif m'intéresse, j'aurais plus de mal à faire un projet à partir de ce style. Ensuite, au niveau du thème, on se rend vite compte que les auteurs tournent autour des mêmes problématiques. Leur questionnement porte sur des sujets philosophiques. Ils s'interrogent sur la vie, le temps, le réel, qu'est-ce que le réel et comment puis-je le représenter ? Tout cela m'intéresse je n'ai pas de thèmes privilégiés.

Organisez-vous une exposition en ce moment ?

Je travaille actuellement sur un projet à Séoul. J'ai rencontré un critique d'art Coréen avec lequel je travaille sur un projet d'exposition photo très conceptuel. Dans le métier de curateur, la curiosité et les rencontres sont très importants; il faut voyager, découvrir de nouvelles choses et se confronter à d'autres cultures et à d'autres points de vues. Et le fait de faire cette exposition à Séoul me permet de maintenir le lien avec ce pays, et de m'immiscer un peu plus dans sa culture. Je n'ai pas de nouvelle exposition prévue pour l'instant à Kuala Lumpur. Mais je travaille sur un projet de sensibilisation à l'art. C'est un évènement qui permettrait d'introduire un artiste et de le faire découvrir sous un angle complétement diffèrent. Ce sera une première pour moi dans la mesure où il ne s'agit pas d'un artiste vivant et il n'y aura pas d'exposition car il n'y aura pas d'?uvres originales exposées. Je vais néanmoins essayer de recréer l'univers de l'artiste, de le faire revivre.

Travaillez-vous avec des artistes locaux ?

J'ai rencontré des artistes Malaisiens mais je n'ai pas encore réalisé de collaboration. Le milieu de l'art en Malaisie est très conservateur et plutôt cloisonné. Cloisonné pour les mêmes raisons que la société est cloisonnée, avec les différentes cultures, mais aussi parce qu'il y a un nombre réduit de galeristes et de collectionneurs. Tout comme les artistes, ces derniers sont assez conservateurs. Il y a quelques exceptions bien sûr, on voit beaucoup d?artistes Indonésiens exposés, mais peu d'artistes Malaisiens. Ceux-ci sont essentiellement orientés vers des mediums et des styles  plus traditionnels. Il y a quelques jeunes artistes locaux qui se lancent dans des choses plus conceptuelles, plus complexes, mais là, le problème est de trouver un lieu pour les exposer. Les galeristes ne sont pas toujours prêts à prendre le risque. Une exposition représente un certains coût, et exposer un artiste émergent est un investissement sur le long terme qui n'est pas compatible avec leurs objectifs ou contraintes financières à court terme. Ils n'osent pas encore se lancer dans l'art contemporain.   

 

Marie Nardoux (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) jeudi 24 septembre 2015

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Publié le 22 septembre 2015, mis à jour le 5 novembre 2015

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