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PASSEURS D'HISTOIRE - Khairul Anuar Baharom, le maître sculpteur de Langkawi

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 1 juillet 2014, mis à jour le 1 juillet 2014

Bien avant l'avènement du tourisme de masse et des constructions bétonnées, Langkawi ne comptait que des maisons de bois et ses habitants étaient tout à la fois géomètres, architectes, charpentiers et sculpteurs. L'édification d'une maison impliquait de nombreuses personnes, que ce soit pour le choix de l'emplacement, l'érection du tiang seri ? le pilier principal ?, la taille de bois dur (chengal surtout) pour l'ossature, la confection en palmes des toitures et des cloisons, et les finitions ciselées pour les panneaux de façade, les cadres de fenêtre ou les rambardes d'escalier. Au fil des ans, avec l'arrivée de nouvelles techniques, ces savoir-faire se sont dilués parmi la population et les quelques rares charpentiers encore vivants à Langkawi sont tous à la retraite et n'exercent plus leurs talents. Rares sont aujourd'hui les nouvelles maisons de bois sur l'île : soit on démantèle d'anciennes structures pour les reconstruire ailleurs, soit, plus souvent, on fait construire en briques et en tôle de zinc ondulé. Le coût du bois a fortement augmenté ces dernières années et celui de l'entretien de cette matière vivante et capricieuse est tout aussi inabordable pour la population locale. A Langkawi, les maisons de bois sont désormais l'apanage des riches, pour la plupart étrangers, des hôtels ou des musées?

Une année de formation à Bali

Malgré tout, on trouve encore à Langkawi une poignée d'amoureux inconditionnels du bois, en mesure de travailler cette matière noble. La quarantaine fringante et la poignée de main solide, Khairul Anuar Baharom fait partie de ces artisans qui cherchent à préserver autant que possible les traditions locales et à vivre de leur passion. Son parcours débute en 1992 lorsque, à tout juste vingt ans, il est choisi avec quelques autres jeunes apprentis de Langkawi pour passer une année de formation sur l'île de Bali, en Indonésie, réputée pour la richesse de son artisanat. Là-bas, il apprend auprès d'artisans chevronnés et fait ses classes en sculptant des formes diverses et variées, des plantes, des animaux, mais aussi des silhouettes humaines et des divinités hindoues. Le bois de prédilection des artisans balinais reste le teck, un bois aujourd'hui devenu difficilement approvisionnable en Malaisie et très onéreux. Un an plus tard, de retour à Langkawi, Khairul s'essaie à d'autres types de bois et en sélectionne plusieurs sur lesquels il travaille encore aujourd'hui. Parmi ses préférées, le balau rouge et le seraya (tous deux du genre shorea), le nyatoh (du genre palaquium et duquel on extrait la gutta-percha), l'acajou, ou encore le pokok sena (plus connu sous le nom d'angsana, ou pterocarpus indicus) : autant d'essences relativement malléables et aisément disponibles sur Langkawi auprès de grossistes. 

Son tout premier employeur s'avère être l'un des principaux complexes hôteliers de luxe de Langkawi de l'époque, à savoir le Tanjung Rhu Resort, au nord de l'île. L'établissement embauche Khairul et ses camarades de formation pour produire une série d'éléments décoratifs à exposer dans les chambres et les zones publiques de l'hôtel, alors à la pointe du tourisme ?select? de Langkawi. Ils sont également mis à contribution pour graver des souvenirs pour les résidents de l'hôtel et entretenir les boiseries du lieu. Au fil des ans, Khairul affine ses techniques de sculpture sur bois tandis que ses collègues, eux, se désintéressent un par un de ce savoir-faire alors en perdition et peu rémunérateur, lui préférant un emploi non manuel au sein de l'hôtel ou la conduite d'un taxi. Au début des années 2000, Khairul intègre le récent Kompleks Kraf qui cherche à rassembler les artisans de Langkawi sous un même toit pour les aider à mieux se promouvoir. L'expérience n'est qu'une semi-réussite : certes les touristes ont tout ou presque sous la main, mais l'emplacement du Kraf Komplex, loin des centres touristiques névralgiques de l'île, fait qu'ils n'affluent pas vraiment. De plus, la rémunération des artisans est minime en comparaison de ce qu'ils pourraient obtenir chez eux, dans leurs propres ateliers. Khairul, comme beaucoup d'autres artisans, décide donc de maintenir un stand et ses cartes de visite au Kompleks Kraf, tout en passant ses journées ailleurs, dans son atelier d'Ulu Melaka, baptisé akuART (mon ART).


Une demande croissante

Avec le développement touristique de l'île et l'ouverture de nouveaux établissements hôteliers, la demande pour le savoir-faire de Khairul s'est amplifiée. Aujourd'hui, une de ses ?uvres peut être vue dès le débarquement des touristes, dans la zone des arrivées de l'aéroport de Langkawi. Parmi les autres établissements ayant fait appel à ses services, se trouvent le Langkawi Lagoon Resort, pour le lobby de sa nouvelle Ombak Villa (un immense panneau réalisé en collaboration avec le seul autre sculpteur sur bois professionnel de Langkawi, son ami Azizul), mais aussi le Teratak Damai, le Casa del Mar (pour la signalétique des chambres), le Danna ou encore le Sunset Valley Resort pour son panneau d'accueil. Le Tanjung Rhu Resort, actuellement en rénovation, lui a aussi demandé de fournir toute une nouvelle série de panneaux décoratifs pour ses chambres et couloirs, une commande importante que Khairul a pu traiter grâce au recrutement d'un apprenti. La petite entreprise de Khairul tourne donc à plein régime et devrait même marcher de mieux en mieux en raison de l'intérêt croissant des touristes pour les savoir-faire traditionnels de Langkawi, jusqu'à présent passablement mis en valeur sous la bannière du Kraf Kompleks. Aujourd'hui, les visiteurs de passage n'hésitent plus à frapper à la porte de son bengkel akuART pour lui soumettre leurs envies d'objets en bois : petits panneaux gravés du nom de Langkawi, de leur nom à eux, voire même du nom de leur animal de compagnie, mais aussi des souvenirs plus traditionnels comme des dulang ou des tepak sirih. Les dulang sont des récipients traditionnellement utilisés lors des cérémonies de mariage malaises ; quant aux tepak sirih (ou boîtes à feuilles de bétel), habituellement faites en étain, elles servent à conserver les ingrédients nécessaires au mâchage de feuilles de bétel (makan sirih), à savoir les feuilles elles-mêmes, mais aussi des noix d'arec et des poudres de gambier et de bétel. Aujourd'hui, ces boîtes ? pour certaines d'un grand raffinement ? sont souvent offertes en signe de bienvenue à la famille de la mariée par celle du jeune homme. Un jour, un touriste autrichien féru de musique classique s'est même présenté à l'atelier pour sculpter lui-même, avec l'aide de Khairul pour le choix des essences et des outils, son propre violon !


Le bois, une matière vivante et  noble

Khairul s'essaie aussi au design moderne et l'une de ses créations, une chaise à l'équilibre d'apparence fragile mais parfaitement stable, est aujourd'hui en exposition au Kompleks Budaya Kraf de Kuala Lumpur après avoir remporté un prix lors d'un concours national de design. Il réalise aussi régulièrement des paravents et des portes, en reproduisant souvent le style dit awan larat, ou nuages flottants. Ce style, particulièrement élaboré, met en scène des séries de motifs végétaux et reste prisé des sculpteurs sur bois du monde malais. Par contre, il ne travaille pas dans l'ameublement des mosquées et tout ce qui touche à l'art religieux. Les minbar, ces hautes chaires en bois parfois fort joliment sculptées et desquelles les imams prononcent leur sermon de prière du vendredi, sont toutes importées sur Langkawi depuis Kuala Lumpur, voire depuis l'étranger. Enfin, dès qu'il en a le temps, Khairul construit aussi lui-même les bâtiments de sa maison. Aidé de quelques amis aux solides connaissances en charpenterie, il construit actuellement une maison sur pilotis adjacente à sa maison principale et à son atelier, et qui accueillera à terme sa famille élargie. Le bois, il le sait, donne du caractère à une maison. Il lui donne une vie, une chaleur que la brique et le béton ne peuvent lui fournir. Pour cette raison, et pour maintenir en vie le patrimoine culturel menacé de Langkawi, Khairul ne se voit pas utiliser autre chose que du bois pour sa maison. Comme quoi, un espoir subsiste de voir encore quelques rumah kampung, si simples mais si belles, garnir le bord des routes de l'archipel?

 

Article et photos Jérôme Bouchaud (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) mercredi 3 juillet 2014

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Jérôme Bouchaud

Auteur de guides de voyage (dont Malaisie, aux éditions Olizane) et traducteur (entre autres, de Trois autres Malaisie, aux éditions Gope), ce lyonnais d'origine a vécu quelques temps en Chine avant d'arriver en Malaisie. Il a par ailleurs créé le site Lettres de Malaisie, auquel s'est depuis associé Lettres de Taïwan, une autre façon de découvrir la Malaisie et Taïwan, à travers les livres.

 

 

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Publié le 1 juillet 2014, mis à jour le 1 juillet 2014

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