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COP21 – Vue de la Malaisie : défis, attentes et espoirs

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 9 décembre 2015, mis à jour le 9 décembre 2015

La COP21, cette conférence que les plus grands leaders qualifient de véritable ?tournant historique" et qui déterminera selon plusieurs l'avenir des générations futures. Officiellement lancée le 30 novembre dernier, le but ultime est de créer un accord mondial sur le changement climatique afin de contenir l'augmentation de la température sous les 2oC. Face à l'ampleur de cette tâche, Paris se fera-t-elle la scène d'un accord mondial et historique qui pourrait changer l'avenir de notre planète ?

Nous avons rencontré Lavanya Rama Iyer, à la tête du département Politique et Changement climatique du World Wild Fund for Nature (WWF) de Malaisie. Avocate qualifiée, ancienne membre de la délégation malaisienne lors de la conférence de Copenhague, elle a par ailleurs occupé un poste à l'ONU. C'est en détail qu'elle est revenue sur l'historique de la Malaisie face au changement climatique, sur les défis d'un pays en développement qui doit y faire face, mais aussi sur les attentes et espoirs qui découleront de la COP21.

 

(Crédit photo : Jason Thien)

Le changement climatique et l'environnement en Malaisie : une longue histoire de politiques et de très brèves évolutions

C'est en 1972, lors de la conférence des Nations Unies de Stockholm sur l'environnement, que les questions environnementales sont placées pour la première fois au niveau international. Suite à cette conférence, la Malaisie introduit dans son troisième plan quinquennal l'idée de développement durable, de contrôle de la pollution et de protection de l'environnement, notamment en ce qui concerne les industries forestières. Le Département de l'Environnement sera créé afin d'implanter l'Acte de Qualité Environnementale de 1974 et de former une structure gouvernementale dédiée à l'environnement. Quelques campagnes de sensibilisation à la protection de l'environnement sont menées dans le pays,  les conventions internationales majeures sont signées, certes, mais la population locale, et principalement rurale, demeure encore très détachée. Particulièrement à une époque où la modernisation n'avait pas encore atteint la région, le focus des politiques reste porté sur le développement social et économique, moins sur l'environnement. Les lois sont existantes, mais se doivent d'être renforcées et plus strictement sanctionnées. Pour exemple, malgré l'interdiction de procéder à la combustion à ciel ouvert émise dans plusieurs états de la Malaisie depuis mars 2014, plus de 300 cas, notamment de feux de tourbe et combustion forestière, ont été enregistrés entre le 31 août et le 4 septembre 2015. Ce alors que la Malaisie traversait l'une des plus importantes périodes de haze à ce moment là.

Selon Lavanya Rama Iyer, alors que le pays peut être perçu tel un précurseur en termes de prise en compte des considérations environnementales dans les politiques, le véritable ?tournant? concernant le changement climatique est observé dans le 11ème Plan National (2016-2020), dévoilé au mois de mai dernier. La Green Growth Thrust représente l'une des six lignes de force du Plan et est considérée comme un changement crucial. Visant à se détacher du modèle de développement conventionnel de ?croître en premier, nettoyer après?, elle cherche à adopter un modèle qui ?voit la résilience, le faible taux de carbone, l'efficacité dans l'utilisation des ressources et un développement favorisant l'intégration sociale tel un investissement initial qui rapportera des bénéfices futurs sur les multiples générations à venir?. Ainsi, le plan inclut de façon concrète l'idée de développement vert, durable, et vise à transformer le modèle économique afin de l'aligner avec les besoins environnementaux. Aborder le changement climatique est une composante clé de cette ligne de force.

Supportant la politique nationale Green Technology lancée en 2009, le 11ème plan national détaille les objectifs devant être atteints d'ici 2020. Augmenter la part de technologies vertes dans le marché local, et sa contribution dans le marché régional, accroître la production locale de produits de ce type, et déployer cette technologie vers la majorité des secteurs économiques. Conserver les ressources naturelles et renforcer la résilience au changement climatique ainsi qu'aux catastrophes météorologiques apparaissent aussi comme des sujets clés. 

Cependant, le véritable problème ne réside pas dans la rédaction de politiques : les plus grands défis de la Malaisie, et plus généralement des pays en développement, sont fondés autre part.  

Les défis pour un pays en développement face au changement climatique : de l'idéologie au calcul détaillé

Dans un rapport du Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes publié le 23 novembre 2015, l'ONU indiquait qu'en seulement 20 ans, ?les catastrophes météorologiques ont pris 606.000 vies, en moyenne 30.000 par an, avec plus de 4.1 milliards de personnes blessées, devenues sans abris ou ayant eu besoin d'aide d'urgence?.  Il ajoutait que 89% des personnes décédées provenaient de pays à faibles revenus et que 47% des catastrophes naturelles étaient des inondations, ayant touché 2.3 milliards de personnes. 95% de ces dernières étaient originaires d'Asie. Ces données ne sont cependant pas surprenantes : les pays en développement, particulièrement dans la région d'Asie du Sud-Est, souffrent non seulement d'une position géographique sensible, mais aussi d'une faible capacité de résistance aux catastrophes. 

Pour Lavanya Rama Iyer, cela est dû à plusieurs problèmes de fond. Premièrement, il faut changer l'idéologie : savoir marier conscience environnementale et croissance économique. Si cette notion devient traduite sur le plan politique, son application et son intégration par la population et les entreprises demeurent particulièrement difficiles. Outre les campagnes de sensibilisation, un cadre légal de renforcement et d'application des politiques environnementales est crucial. Les entreprises, tout comme la population, doivent intégrer une idéologie holistique et globale : chaque geste compte, un changement dans la façon de vivre et de se développer est donc nécessaire. 

Ainsi, il faut se détacher d'une simple vision à court terme et adopter une perspective sur le long terme. Certaines décisions qui paraissent profitables à faible échéance pourraient résulter en pertes dans le futur. Le développement durable nécessite une vision à plus longue échelle, qui se détache de la mesure trimestrielle des profits formant aujourd'hui la norme. La méthodologie de calcul des coûts, principalement fondée sur le court terme, est d'autant plus défaillante puisqu'elle exclut les externalités environnementales et sociétales qui ne se font apparentes que sur le long terme. Lavanya Rama Iyer ajoute que ?même si ces externalités sont prises en compte, tout ne peut être mesuré en termes économiques. Pourriez-vous donner une valeur monétaire à votre mère ??.

Il faut observer plus loin que les chiffres des années à venir. Si l'atténuation, c'est-à-dire la réduction du taux d'émissions, permet la stabilisation du climat, il faut anticiper le long terme, sans quoi le développement durable est inévitablement négligé. Au c?ur de cette idée : l'adaptation. Alors que les politiques, et ce tout autant au niveau local qu'international, restent principalement centrées sur l'atténuation, la notion d'adaptation demeure tout aussi importante, particulièrement pour les pays en développement. Il faut pouvoir répondre aux catastrophes naturelles inévitables, devenir résilient au climat : adapter les infrastructures et user des écosystèmes, ?mécanismes de défense naturels?, à notre avantage.

?Le plus grand défi de la COP21 sera de reconstruire le pont de confiance entre pays industrialisés et en développement?

Pour construire ces capacités d'adaptation, les pays en développement ne peuvent y parvenir seuls. Tel que l'affirme Lavanya Rama Iyer: ?les pays les plus affectés ne sont pas les plus responsables?. Toujours dans l'optique de penser plus loin que le taux de GES, elle cite l'exemple de la Chine, qui est certes un énorme producteur d'émissions, mais à quel titre ? Elle fait partie d'un cycle global de consommation, de sorte que la responsabilité pour ces émissions est difficilement attribuable à un seul pays. Les consommateurs de ces biens autour du globe devraient aussi en porter la responsabilité. ?Il faut arrêter de pointer du doigt, et regarder d'une perspective globale qui est égalitaire et équitable?, ajoute-t-elle. Prendre en compte les taux d'émissions historiques et la ?dette du climat? due par les responsables de ces émissions dans le passé est crucial. Si nous ne travaillons pas conjointement afin de résoudre cette crise humanitaire, cela pourrait mener à des situations encore pires dans le futur : ?les prochaines guerres pourraient être conduites pour de l'eau, et non pour du pétrole?, insiste-t-elle.

Lors de COP15 de Copenhague, aucun accord n'avait été véritablement conclu. En effet, le processus autour de l'élaboration du texte avait été fortement contesté, de telle sorte que la COP15 n'a fait qu'en ?prendre note?, sans que les parties ne signent un accord contraignant. Le blocage autour des négociations empêcha toute forme de consensus, résultant ainsi en l'élaboration d'un texte par un petit groupe, majoritairement formé de pays développés. Une fois ce document présenté tel un fait établi aux autres nations, il a suscité de vives critiques, précisément de la part des pays en développement qui se sont sentis exclus de toute participation à l'élaboration de l'accord. Depuis, selon Lavanya Rama Iyer, le lien de confiance entre pays développés et pays en développement s'est brisé, et le premier défi de Paris sera de le reconstruire afin de trouver un accord convenant à tous, élaboré par tous. 

L'une des principales idées est la notion de responsabilité commune mais différenciée : le pays en développement ne peut être traité comme le pays développé. Puis, la notion d'adaptation, élaborée plus tôt, qui permet selon Lavanya Rama Iyer de man?uvrer autour des changements climatiques jusqu'à ce que les efforts d'atténuation l'aient stabilisé. Un support financier, un transfert de technologies et de savoir-faire envers les pays en développement est incontournable afin d'acquérir les meilleures capacités d'adaptation. Quand bien même ces dernières ne peuvent empêcher les conséquences d'une catastrophe naturelle, l'idée de pertes et dommages entre en jeu : elle est aussi non négligeable. 

En somme, ?Paris et les conclusions de la COP21 doivent être plus compréhensifs?, conclut-elle, soulignant ainsi l'importance de l'égalité, de l'équité, de la justice et de l'inclusion. 

 

Valentine Staub (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) jeudi 10 décembre 2015

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Publié le 9 décembre 2015, mis à jour le 9 décembre 2015

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