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Vivre avec rien… la sobriété (mal)heureuse?

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Écrit par Lepetitjournal Johannesbourg
Publié le 12 mars 2018, mis à jour le 12 mars 2018

On échappe rarement à deux narratifs opposés sur la pauvreté: celui de la lutte impitoyable pour la subsistance ou celui de la formidable solidarité de ceux qui manquent de tout mais pour lesquels l’entraide est la clé de voûte de la survie. Bénédicte Champenois Rousseau, notre sociologue lost in Joburg, se penche sur le livre “Eating from one pot”* écrit par la chercheuse Sarah Mosoetsa, du département de sociologie de l’université de Wits. Cette dernière s’intéresse aux stratégies d’existence/de survie des familles pauvres dans deux townships du Kwazulu-Natal : Enhlalakahle et Mpumalunga.

 

Dans un autre genre, Niq Mhlongo, un auteur que j’apprécie beaucoup, offre une vision ironique de la débrouillardise ordinaire de l’habitant des townships dans ses romans “Dog eats dog” ou “After tears” par exemple. Ses récits montrent régulièrement des jeunes hommes extorquant, à force de roublardise, une partie de l’argent que leur mère ou tante économisait pour le loyer du domicile familial, et allant tout dépenser en joints ou en alcool, mais également des jeunes femmes échangeant des faveurs sexuelles contre de l’argent.

 

Mais, si le regard du romancier est acéré et se nourrit d’un sens de l’observation remarquable, il lui manque la profondeur de l’enquête sociologique.

 

L’enquête de Sarah Mosoetsa est très intéressante parce qu’elle déploie, grâce à sa connaissance des terrains toutes les dimensions de la vie dans les townships qu’elle a patiemment observés et dont elle a longuement interrogé une centaine d’habitants. L’ouvrage nous permet de comprendre comment la pauvreté a pu se développer dans cette région suite à la transition démocratique, et comment cette pauvreté est vécue par les familles, et conduit à des tensions et des conflits autour de la répartition des ressources et des rôles familiaux, qui pourraient être des éléments d’explications des violences endémiques des townships.

 

Les townships étudiés ont la particularité de se trouver à proximité de villes où fleurissaient les industries textiles et de la chaussure avant la chute de l’apartheid. L’embargo décrété par les puissances occidentales contre le régime de l’apartheid avait contraint le pays à développer une industrie qui employait à l’époque la moitié des habitants de Mpumalunga et Enhlalakahle. Avec la chute de l’apartheid et la signature des accords du GATT à Marrakech en 1994, ces industries n’ont plus été protégées de la concurrence extérieures et ont été amenées à fermer où à se délocaliser. Nombre des travailleurs se sont alors trouvés sans emploi et sans revenu fixe. Les entreprises fermant ont parfois octroyé à leurs employés une indemnité, mais celle-ci a vite été engloutie, en l’absence de perspective de ré-emploi. Les politiques économiques  "progressives” et d’allègement de la pauvreté des gouvernements post-transition démocratique n’ont guère porté leurs fruits. Si quelques familles ont eu des trajectoires “ascendantes” ce n’est pas la majorité. La majorité reste enkystée dans une pauvreté dont on ne voit pas l’issue.

 

Les groupes familiaux se sont alors reconstitués essentiellement en se regroupant autour d’un parent possédant une source de revenu stable et/ou un logement. Ces regroupements sont le résultat de choix plus pragmatiques qu’affinitaires.  De plus en plus souvent dans les townships, les grands-mères qui sont devenues ce point central à la non-désintégration de la famille et des individus, parce qu’elles perçoivent une allocation de l’état à partir de 60 ans (environ 800 rands, soit 60 Euros), laquelle allocation sert de revenu de base à toute la famille. Les familles interrogées par la chercheuse (bien que les trajectoires sont diverses) disposaient en moyenne de 800 rands par mois. Les allocations perçues par les mères de jeunes enfants (300 rands par enfant)  viennent également en complément.

 

Le rétrécissement des revenus est source de tensions et de conflits, voire de violences intra-familiales. Comment faire vivre un groupe familial contraint à la cohabitation de trois générations sur 800 rands par mois? Les tensions vont avoir lieu autour de la répartition des (maigres) ressources disponibles. La dépense principale est la nourriture, composée seulement des basiques pap (bouillie de maïs), thé et sucre. Les dépenses pour l’éducation (uniformes ou livres pour les écoliers) et la santé sont non prioritaires. Parfois les familles ne peuvent plus payer leurs notes d’électricité (la moitié des familles interrogées) et elles ont recours à des branchements sauvages ou utilisent la paraffine pour s’éclairer.

 

Lorsque la famille possède une cour, les femmes essayent de faire pousser quelques légumes pour améliorer l’ordinaire. Les membres de la famille participent à une économie informelle, échange de services entre voisins, et activités plus ou moins légales. Mais très souvent si les filles sont censées partager avec le reste de la famille leurs revenus, il n’en est pas de même pour leurs frères ou leurs pères. Les jeunes femmes percevant une allocation pour jeune enfant (méprisamment appelé “Imali yeqolo”, l’argent gagné avec son dos, par l’ex-ministre des finances Malusi Gigaba) sont censées la partager avec la famille et son vivement prises à parti si elles ne reversent pas tout dans la caisse commune.

 

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* “Eating from one pot The dynamics of survival in poor South African households” Sarah Mosoetsa Wits University Press 2011

 

Texte et photo : Bénédicte Champenois Rousseau 

 

A propos de Bénédicte Champenois Rousseau

 

Installée en Afrique du Sud depuis octobre 2015, Bénédicte est sociologue et a enseigné la sociologie en France notamment à Sciences Po Paris tout en effectuant des missions de recherche pour des organismes de recherché publics ou des organisations non gouvernementales. Ses sujets de predilection: la santé publique, l'éducation et le ?women empowerment?. Elle a créé à Johannesburg le réseau professionnel de femmes francophones Work In The City JHB et met en oeuvre son goût pour l'écriture sur son blog Ngisafunda et le blog d'Enko Education.

 

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