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Un couple, une passion des langues et deux dictionnaires à leur actif

La passion de l’Indonésie et de l’indonésien est très certainement le ciment de ce couple à l’origine des deux premiers dictionnaires indonésien-français et français-indonésien. Pierre Labrousse et Farida Soemargono ont enseigné pour l’un tour à tour le français et l’indonésien et pour l’autre l’indonésien en Indonésie et en France. Mettre en avant la culture indonésienne et l’apprentissage de la langue indonésienne est ce qu’ils ont fait toute leur vie à travers la création des premiers dictionnaires indonésien/français, une méthode d’apprentissage de la langue et la création de la revue scientifique Archipel, spécialisée dans l’Asie du Est.

Pierre et Farida Labrousse et un dictionnairePierre et Farida Labrousse et un dictionnaire
Écrit par Valérie Pivon
Publié le 17 mars 2024, mis à jour le 21 mars 2024

Nous avons appris avec tristesse le décès de Pierre Labrousse en fin de semaine dernière. LePetitJournal Jakarta a souhaité publier cet article de 2021 en l'honneur de l'auteur du premier dictionnaire indonésien-français.

 

L'hommage de Fida Muljono et Michel Larue

"Le nom de Pierre Labrousse, restera associé à sa grande oeuvre, le dictionnaire Indonésien-Français, outil quotidien des rédacteurs du petit journal. Réalisé à l'ancienne à l'aide de milliers de fiches manuscrites, il témoigne de sa rigueur et de son opiniatreté. Aucun ouvrage mieux qu'un dictionnaire ne permet la compréhension mutuelle entre les peuples.

Cette vocation, il l'a développée tout au long de sa carrière comme professeur d'Indonésien à l'INALCO, enseignant attentif et bienveillant. Il laisse chez ses anciens étudiants le souvenir non seulement d'un professeur de langue, mais aussi d'un passeur de culture. Et ils sont nombreux puisque quand le ministère des affaires étrangères recrutait des diplomates via le "concours Asie" qui exigeait deux langues asiatiques, nombreux étaient ceux qui, outre le Chinois, l'Urdu ou le Japonais, choisissaient l'Indonésien, langue réputée facile.

Chercheur infatigable, sa production scientifique a été fournie et multiple, notamment dans le groupe de recherche Archipel dont il a été l'un des animateurs.

Amateur d'art et collectionneur de livres, sa passion pour l'Indonésie se nourrissait de son infatigable curiosité au cours des voyages annuels qu'il a effectués tant que sa santé le lui a permis. Fidèle et attentionné en amitié, il a entretenu des relations teintées d'une simplicité chaleureuse. Nos pensées vont à son épouse, Farida Sumargono, à qui nous envoyons nos sincères condoléances."

 

Un couple de référence

Pierre et Farida vivaient entre la France et l’Indonésie. Nous les avions rencontrés dans le quartier calme de blok M à Jakarta.

Ce couple est considéré dans les deux cultures comme un couple de référence. En Indonésie, Pierre nous expliquait que lui et son épouse avaient été invités à un mariage et avaient été présentés aux jeunes mariés de nationalités différentes comme un couple de référence. Côté français, Pierre et Farida avaient retrouvé à Jakarta leurs anciens élèves, certains d’ailleurs en poste à l’Ambassade de France et Institut Français, et tous en parlent également comme un couple de référence !

 

Un travail commun, la passion de l’enseignement 

Après des études de lettres classiques à Limoges, un service de coopérant à La Réunion, il est un peu tôt pour Pierre pour rentrer en France. L’envie de voyager et de découvrir le monde est là, il postule pour un poste d’enseignant de français à Bandung. “En 1965, on ne connait pas beaucoup l’Indonésie, encore moins Bandung, une seule personne a postulé, j’ai donc été pris" nous explique en souriant Pierre. « A cette époque, Bandung est une ville calme, délicieuse, pas besoin de climatisation pour dormir ». Pierre arrive fin 1965, le coup d’état de septembre a renversé le président Sukarno, la chasse aux communistes se poursuit dans le pays. « Bandung est moins déstabilisée par cette période, il faut construire les cours pour que les étudiants reviennent. Il n’y a pas vraiment de méthode pour enseigner le français et encore moins de dictionnaire, base de référence pour apprendre une langue ». Pierre se lance dans le projet pharaonique de rédiger un dictionnaire indonésien-français, plus de 10.000 fiches, 10 années de travail et une publication en 1984. Ce dictionnaire est aujourd’hui encore la référence.

Après 8 années à Bandung, le contrat de Pierre se termine et il rentre en France à Paris pour enseigner l’indonésien cette fois-ci à l’Institut National des Langues Orientales anciennement appelé langues’O. L’indonésien, il l’a appris bien sûr en travaillant sur son dictionnaire, mais aussi grâce à sa passion du cinéma « les films étrangers étaient sous-titrés en indonésien. C’est comme cela aussi que j’ai appris » Pierre ne rentre pas seul en France, il a rencontré Farida qui, elle, a enseigné l’indonésien aux ingénieurs français venus construire le barrage de Jatiluhur sur l’île de Java.

Farida a appris le français tout d’abord à Jakarta, elle a pu, grâce à des bourses d’études du gouvernement français, aller en France à Toulouse et Besançon perfectionner son français.

A Paris, ils intègrent tous les deux la prestigieuse école INALCO comme enseignant d’indonésien en 1971. L’indonésien est une langue enseignée au sein de l’établissement depuis 1841 mais à leur arrivée elle était tombée un peu en désuétude. Pierre remet en place les cours, termine son dictionnaire, Farida se lance dans la traduction de l’édition du Petit Larousse en version indonésienne, et ils écrivent à deux mains une méthode en trois volumes pour apprendre l’indonésien.

Dans les années 1980, il y a un regain d’intérêt pour ces pays que l’on appelle les nouveaux tigres, pays asiatiques dont l’économie se développe. Nous avions à l’époque environ 180 élèves de tout âge motivés pour certains par l’envie d’évasion, de découvertes, pour d’autres l’amour car leur conjoint est indonésien...

Pierre Labrousse évolue au sein de cet institut prestigieux et fait la rencontre de Denys Lombard, historien spécialiste de l’Asie de l’Est et du Sud-Est et de Christian Pelras, ethnologue spécialiste de l’Indonésie et plus spécialement des Célèbes. Ils cofondent la revue Archipel, revue scientifique spécialisée sur l’Insulinde (Indonésie, Malaisie, Philippines, Brunei, Singapour et Timor Leste). Cette revue bi-annuelle regroupe des travaux et études en français et en anglais de chercheurs tant sur l’histoire, l’ethnographie et la sociologie. Elle publie en ce début d’année son numéro 100. Archipel est aujourd’hui encore la revue de référence du monde malais.

 

Une retraite en France et Indonésie

En retraite depuis de nombreuses années, le couple se partage donc entre France et Indonésie. Farida retrouve sa famille et Pierre son second pays. Il avoue passer pas mal de temps à observer les gens, son QG c’est Pasaraya, un centre commercial historique situé au sud de Jakarta. Il a vu le pays changer, de ses longues heures d’observation, il nous confie : « j’ai un livre dans ma tête, il faudrait que je l’écrive » Il continue à travailler sur l’évolution de son dictionnaire qu’il va falloir digitaliser et regrouper les concepts ensemble. « J’y travaille entre 3 et 4 heures par jour, c’est mon hygiène mentale ». Sa passion du cinéma ne l’a pas quitté avec un petit penchant pour les films d’horreur. Il nous demande : « savez-vous pourquoi les jeunes indonésiens qui ont une vraie peur des fantômes sont friands de ce genre cinématographique ? Eh bien, les jeunes filles à la vue des fantômes se jettent dans les bras des garçons ! » Les films d’horreur, le truc pour draguer les filles en Indonésie, un prochain sujet pour le lepetitjournal.com de Jakarta.