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UN HOMME, UN MÉTIER – Kobra Murat, le couturier des princesses roms

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 16 janvier 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

La communauté rom de Turquie, l'une des plus importantes d'Europe, vit depuis des siècles sur ce territoire et notamment à Istanbul. Sédentaires, citoyens du pays, une large partie d'entre eux subsiste grâce à de petits boulots. Kobra Murat, lui, a réalisé ses rêves. Couturier depuis l'enfance, il n'a jamais quitté Balat, son quartier sur les rives de la Corne d'Or. Au contraire, il s'efforce de mettre sur le chemin de l'emploi des femmes roms de ce quartier en leur enseignant la couture

 


Difficile de dire qui, du couturier ou de ses créations, attire le plus le regard. Kobra Murat est assis derrière sa machine à coudre. Comme à son habitude, il porte un bouc et une moustache, aussi noirs et soignés que ses cheveux mi-longs. Un grand sourire éclaire son visage joufflu.
Son atelier, lui, est un arc-en-ciel de robes rouges, jaunes, vertes ou roses ; de perles et de paillettes ; de tulle, de satin et de plumes. Il y en a partout, sur tous les murs, sur des mannequins ou des cintres et sur trois étages.

Portrait de Kobra Murat, occupé par la confection d'une robe de mariée (photo AA)

Cours de couture rémunérés
Kobra Murat, 39 ans, dessine depuis plus de 30 ans des robes de princesse pour les femmes roms de Turquie. Elles les portent à leur mariage, pour la circoncision de leur garçon, chaque fois qu'il s'agit de faire la fête. Artiste autodidacte, Kobra veut être un exemple et transmettre son savoir-faire. Il offre donc des cours de couture aux femmes de son quartier. Plus qu'offrir, il les rémunère.
?La plupart d'entre elles sont mères de deux ou trois enfants. Je veux les former, leur faire gagner un peu d'argent (entre 20 et 50 livres turques par robe confectionnée, ndlr) les préparer à un métier, les aider à faire vivre leur famille?, énumère-t-il. Bientôt, promet Kobra, ?cet atelier accueillera sept ou huit femmes à la fois pour des formations. Comme elles habitent toutes à quelques mètres d'ici, une cinquantaine d'autres femmes pourront travailler chez elles et venir me voir au moindre problème.?

?Je ne savais même pas tenir une aiguille
Candan est une amie d'enfance. Elle a 37 ans, trois enfants à la maison et n'a jamais travaillé de sa vie. Depuis trois semaines, elle apprend auprès de Kobra.
?J'étais mère au foyer. Kobra est venu me trouver et m'a dit : ?Je vais t'apprendre à coudre'. J'ai d'abord refusé car je ne m'en sentais pas capable. Je n'y connaissais rien en couture, je ne savais même pas tenir une aiguille !? se souvient-elle, mi-confuse, mi-amusée. Mais Kobra a insisté. ?Et il a bien fait?, assure Candan. ?Aujourd'hui, je suis très heureuse. J'ai beaucoup de plaisir à apprendre. Je ne le remercierai jamais assez.?
À ses côtés, Elif retire les plumes d'une jupe de satin. Dans l'atelier de Kobra, elle est passée de cliente à élève-employée. ?Notre situation? Notre situation n'est pas facile?? hésite-t-elle, avant de poursuivre. ?Nous ne sommes pas très riches. Mais grâce à Kobra, nous ne sommes pas pauvres non plus. Je donne tout ce que je gagne ici à ma famille. Je suis fière de contribuer au paiement de notre maison.?

?Fier d'être rom?
Kobra Murat s'est fait un nom en Turquie comme l'un des représentants de sa communauté. Les Roms sont installés dans le pays depuis des siècles mais ils font partie des citoyens les moins bien lotis. À tel point que le gouvernement a lancé en mars 2010 ce qu'il appelle une ?ouverture rom?: des projets dans l'éducation, le logement et l'emploi.
Kobra Murat a chanté devant 10.000 personnes lors de la soirée officielle de lancement. S'il reconnaît que le changement prendra du temps, quelques évolutions lui donnent envie d'espérer. ?Avant, on nous qualifiait systématiquement de ?tziganes' (çingene en turc, ndlr). Désormais, ça n'arrive presque plus?, observe-t-il. ?Nous n'avons rien contre le mot lui-même, nous n'aimons pas sa connotation péjorative en Turquie. Par exemple, une mère disputera son enfant en disant : ?Sois sage ou je te donne aux tziganes!' Comme si nous étions des monstres ou des créatures maléfiques? Moi, je suis fier d'être rom,? assure-t-il.

?Un magnifique arc-en-ciel?
Plus précisément, Kobra le couturier-chanteur est ?fier de la flamme artistique qui brûle dans le c?ur des Roms. Je crois que si on aide les Roms à s'insérer dans la société, la Turquie et le monde entier verront la richesse de notre peuple. Alors je le dis à tous : Regardez les couleurs de la vie, puis regardez nous. Être rom, c'est être un magnifique arc-en-ciel !?
Dans son atelier, en tout cas, le spectacle est permanent. Le plan de travail se transforme en instrument de percussion quand Kobra se met à chanter. Les apprenties couturières, elles, continuent leur ouvrage en se déhanchant sur leur chaise?

Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) lundi 16 janvier 2012

Pour découvrir Kobra Murat en musique, regardez ce clip :

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 16 janvier 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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