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ÊTRE PROF A ISTANBUL – Antoine Munier : "Nous sommes privilégiés en tant qu'enseignants en Turquie"

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 avril 2015, mis à jour le 3 avril 2015

Antoine Munier enseigne le français à l'école primaire de Galatasaray, l'aboutissement d'un parcours atypique. S'il est venu en Turquie par choix personnel, après treize ans passés à Istanbul, il y réside toujours et s'est forgé au fil des années une solide expérience dans le domaine de l'enseignement. Comment devient-on professeur de FLE (français langue étrangère) en Turquie ? Quelles sont les multiples facettes de ce métier ? Antoine Munier inaugure notre nouvelle rubrique, ?Être prof à Istanbul?, et nous fait partager son expérience professionnelle et son parcours de vie.

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours d'études et professionnel?

Antoine Munier (photo personnelle): J'ai d'abord fait un DEUG de médiation culturelle à l'université de Nancy, puis une licence et maîtrise de management culturel dans la même université. Par la suite, j'ai laissé mon mémoire de maîtrise en suspens pour devenir intermittent du spectacle en tant que musicien. Un soir que je jouais du jazz dans un bar, j'ai rencontré une fille turque pour laquelle j'ai décidé d'aller continuer ma carrière de musicien en Turquie en 2003. Cela n'a pas très bien marché? J'ai alors repris la fin de ma maîtrise en rédigeant mon mémoire sur le patrimoine culturel d'Istanbul. J'étais parti à Istanbul pour suivre ma copine turque et aussi pour faire de la musique mais étant donné qu'il n'était pas évident de devenir musicien professionnel en Turquie, j'avais beaucoup de temps libre. L'occasion de finir mon mémoire pour le soutenir en juin 2004. En parallèle, je cherchais des petits boulots. Je me suis adressé à l'Institut français qui avait besoin régulièrement de professeurs de français pour des cours du soir et les week-ends. Je n'étais pas du tout professeur à la base mais ils m'ont proposé de suivre une formation interne pour pouvoir donner des cours. C'est comme ça que j'ai commencé à mettre un pied dans l'enseignement du français en Turquie. Au départ, c'était juste un travail alimentaire mais cela m'a plu. Une fois mon mémoire terminé, j'ai hésité à rentrer en France mais finalement je suis resté, et j'ai travaillé cinq ans pour l'Institut français. Je travaillais comme vacataire donc j'ai aussi fait des vacations dans des universités privées jusqu'en 2006. Je me suis alors dit : ?quitte à être professeur de français à part entière, autant avoir les diplômes qui correspondent?. J'ai repris une maîtrise de FLE (français langue étrangère) en 2006 avec l'Université de Rouen. Ça m'a ouvert des portes.

C'est-à-dire ?

Cela m'a permis de trouver un emploi à temps plein dans un établissement d'enseignement et de ne plus être seulement vacataire. C'est ainsi que j'ai commencé à travailler au Lycée Galatasaray, durant un an. On m'a proposé un contrat MICEL (contrat du ministère des Affaires étrangères français) à l'école primaire de Galatasaray, où j'ai enseigné trois ans. Après ces trois ans, je voulais voir autre chose que le système "franco-français" de Galatasaray et de l'Institut français, ouvrir mes compétences à d'autres systèmes. J'ai donc quitté l'école primaire pour enseigner durant deux ans dans une école internationale, toujours à Istanbul, qui s'appelle MEF et qui prépare au baccalauréat international, donc très différent. En 2011, je suis revenu enseigner à l'école primaire de Galatasaray, où je suis encore actuellement. J'ai également commencé mon Master 2 de FLE, que je termine cette année, en partenariat avec l'Université de Rouen.

J'aime l'esprit de Galatasaray, la façon de travailler avec mes collègues, les objectifs de cette école... Je suis professeur à plein temps donc je n'ai plus besoin de faire des vacations à côté. Je donne des cours en 7ème et en 8ème, mais je suis susceptible de donner des cours à toutes les classes de la première à la huitième année. Je préfère enseigner à des élèves de cette tranche d'âge (l'équivalent en France de la 4ème, 5ème, 6ème), un groupe d'âge intéressant qui porte vraiment son attention sur ce qui est fait en classe. Mais c'est très personnel.

Que pouvez-vous nous dire du statut particulier de professeur de français à l'étranger?

Je pense qu'il est plus difficile d'être professeur de FLE maintenant qu'à l'époque où je suis arrivé dans ce milieu professionnel, au début des années 2000, du moins à Istanbul. Je pense que je ne pourrais plus avoir le même parcours celui que j'ai eu à ce moment-là parce que le niveau d'exigence du recrutement de l'Institut français ou des écoles francophones a augmenté. Avant, avec une petite expérience dans le domaine, on pouvait rentrer dans l'enseignement. Aujourd'hui, si on n'a pas le diplôme qu'il faut, c'est impossible. Le gouvernement turc a durci les critères de recrutement, le ministère du Travail refuse systématiquement un professeur qui n'aurait pas le diplôme pédagogique de la matière qu'il enseigne. Être français ne suffit plus à enseigner le français par exemple. C'était plus souple il y a une quinzaine d'années.

Pour enseigner en Turquie, faut-il élaborer d'autres méthodologies qu'en France ou ailleurs? Connaître la culture de l'apprenant, est-ce indispensable ?

J'ai seulement enseigné en Turquie, c'est là où j'ai forgé mon expérience. Mais plus on a de l'expérience dans un pays, plus il est facile d'y enseigner, d'appréhender le public en vue de lui enseigner la langue française. Connaître la langue du pays dans lequel on enseigne est aussi un avantage car cela permet de préparer des plans de leçon adaptés. Les difficultés liées à l'apprentissage du français ne sont pas les mêmes chez les Turcs, les Hongrois, les Italiens ou chez les Japonais par exemple, donc connaître la culture du pays aide beaucoup. Par exemple, il peut y avoir des mots similaires dans les deux langues, alors au lieu d'utiliser un mot plutôt qu'un autre pour faire comprendre quelque chose, on peut utiliser un terme qui est le même dans la langue des apprenants pour faire passer plus facilement la notion que l'on veut enseigner. Il y a aussi le fait qu'au niveau des outils de travail, des sujets peuvent être traités en France sans problème par exemple, alors que ce ne serait pas accepté en Turquie. Lorsque, notamment, on traite dans une classe de documents qui ont un rapport avec la religion ou la politique, il faut faire attention à ce que l'on dit. On ne peut pas aborder les mêmes sujets avec un public turc qu'avec un public allemand par exemple, et réciproquement.

Projetez-vous d'enseigner le français à Istanbul durant encore quelques années? Quels sont les bons et mauvais côtés, s'il y en a, à enseigner le FLE ici?

Mon contrat a changé : d'un CDD renouvelable autant de fois que souhaité, je suis passé à un contrat 2+2, c'est-à-dire deux ans renouvelable une fois. Je suis dans ma deuxième année, donc je peux encore renouveler mon contrat une fois. J'ai encore deux ans devant moi à Galatasaray et ensuite, je devrai faire autre chose. J'ai la possibilité de quitter la Turquie pour partir enseigner ailleurs ; ou de rester en Turquie et trouver un autre établissement que Galatasaray avec un contrat local et non plus dépendant du ministère des Affaires étrangères français. Pour l'instant, c'est la grande question, je ne sais pas. Je n'ai jamais enseigné en France ni même ailleurs donc c'est difficile pour moi de faire une comparaison mais des collègues et amis qui ont enseigné en France avant en Turquie ou inversement, disent que nous sommes quand même privilégiés en tant qu'enseignants en Turquie par rapport aux établissements en France, où les conditions de travail sont plus difficiles en termes d'effectif, de violence et de pouvoir d'achat. Il est plus difficile de vivre en France avec un salaire de prof qu'en Turquie, bien que la vie soit devenue beaucoup plus chère depuis une quinzaine d'années. L'écart tend à se réduire aujourd'hui entre le niveau de vie en Turquie et en France mais cela reste avantageux d'être enseignant en Turquie à l'heure actuelle, et ce, aussi bien en termes de pouvoir d'achat qu'en termes de public auquel on enseigne. Cela fait 13 ans que je vis ici et depuis un ou deux ans, je me pose la question de ce qu'il se passe ailleurs. Être professeur de français à l'étranger offre de nombreuses opportunités de voyage, plus que dans de nombreuses autres professions.

Morgane Cruzel (www.lepetitjournal.com/Istanbul) jeudi 2 avril 2015

Si vous êtes enseignant étranger à Istanbul et que vous souhaitez témoigner pour cette rubrique, n'hésitez pas à nous écrire : istanbul@lepetitjournal.com

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Publié le 1 avril 2015, mis à jour le 3 avril 2015

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