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CHRONİQUES D’UNE FRANÇAİSE À MARDİN – Des campagnes qui se vident et des femmes en transit…

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 23 mai 2013, mis à jour le 23 mai 2013

A Mardin tout change vite, très vite, peut-être trop vite pour certains, certaines qui se retrouvent alors enclavés entre deux strates du temps, jamais vraiment à leur place, ne voulant plus être de ce passé, mais n'osant pas encore vraiment être de ce futur inconnu?

Des immeubles grignotent à un rythme effréné les collines environnantes, et je ne peux que constater qu'en 2013, la nouvelle ville attire, brille et fait rêver, offrant accès au travail, à l'éducation, à une vie moderne et confortable, tel l'eldorado du bonheur, l'accès direct à l'extase contemporaine. Loin de  moi l'idée de juger ces jeunes couples des villages, fraichement mariés, qui décident de tenter leur chance à la ville. Car il est des époques où les traditions s'effacent pour laisser place à l'individu, et cet individu se retrouve alors seul dans l'obligation d'exister par lui-même?

Pour les hommes, ce changement reste généralement positif, puisqu'ils reconstruisent assez rapidement un cercle social hors du foyer, par le travail, les cafés, ses matches et ses débats politiques.

Mais pour les femmes, l'arrivée en ville représente un apprentissage tout autre. Il s'agit à présent d'exister en tant qu'individu, loin du groupe, loin du village et de son identité. A Mardin, appartenir à un village ou à un autre donne bien plus d'indications que l'administrative carte d'identité. Chaque village est caractérisé par une géographie, une histoire mais surtout un état d'esprit collectif : conservateurs, religieux, bagarreurs, courageux, bornés? Alors même si cette identité n'est pas abandonnée lors d'une arrivée en ville, il y a tout un travail  de reconstruction à faire.

Photo MJD

La ville : une rupture profonde pour les femmes

Au village le rôle de la femme est établi selon des codes ancestraux. La femme a sa place dans la vie quotidienne, elle est active, portée par l'existence collective. Elle appartient dans un premier temps à un réseau social, une chaine familiale faite de parentés et d'alliances, organisée autour d'évènements comme les mariages, les naissances, les enterrements, les visites aux malades? Elle construit son foyer, soutenue par ses proches, puis elle participe aux activités saisonnières (les bêtes, les cultures, leurs produits et leurs transformations), lui permettant ainsi de prendre part à la vie économique de son foyer. Aucun mode de vie n'est jamais parfait, mais celui-ci pour la femme était établi, et le village lui offrait ainsi l'aisance d'être en toute légitimité, respectant les coutumes en place.

L'arrivée en ville pour ces femmes représente une rupture profonde et du haut de ces tours de béton, ses repères tombent un à un. Loin de la terre et des siens, c'est à elle d'organiser son temps en fonction d'une très relative marge de liberté. Dehors est étranger, hostile, et une femme seule dans la rue a toujours quelque chose de suspect ici. Alors elle s'occupe, dans un premier temps, de son foyer, de son intérieur au rythme des téléfilms, de celui de ses enfants et de son mari? Mais dans cette nouvelle vie, la femme s'ennuie et je peux lire au fond de certaines d'entre elles une grande nostalgie des après-midis printaniers passés au milieu des champs verts entre cousines et s?urs à rire comme de grandes enfants? Ces femmes, coupées des traditions qui leur offraient la possibilité d'exister hors du foyer, se retrouvent soudain comme en suspension dans leur propre vie.

De nouvelles sociabilités

Mais laissons le temps au temps, car ces femmes victimes dans un premier temps de cette société en transition, se retrouvent aussi devant la possibilité d'être les actrices d'un changement, d'être les prémices des femmes de demain, un  modèle audacieux pour leurs filles. En rencontrant leurs voisines, souvent dans une situation comparable, elles vont parfois trouver à plusieurs le courage d'affronter la rue, le monde extérieur, reprenant ainsi confiance en elles. Puis, une fois que les enfants seront en âge d'aller à l'école, on retrouvera les plus téméraires d'entre elles suivant des cours, des stages d'éducation professionnelle proposés par les centres d'éducation populaire (halk e?itim merkezi), des cours d'apprentissage de lecture du Coran, qui connaissent un grand succès ces dernières années. Le milieu associatif lui aussi très actif propose aux femmes une passerelle à l'emploi pour ces dernières souvent non qualifiées, ainsi que l'accession à un réseau social indépendant de leurs maris, et de leur famille.

Je tenais tout simplement à rendre hommage aujourd'hui à ces femmes en transition, pour qui tout reste à construire. Ces dernières auront besoin de temps et de beaucoup de courage pour oser être cette femme de demain, affronter leurs maris, les tabous et les préjugés, dans une ville comme Mardin ou la pression sociale reste très forte. Effectivement ces femmes, actrices malgré elles du changement, ne sont plus seules. De nombreux organismes sont présents pour les aider dans ce combat. Mais le premier pas leur appartient. Une clé au fond du c?ur pour voguer vers des lendemains nouveaux?

Myrtille Jacquet Duyan (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 24 mai 2013

 

 

 

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 23 mai 2013, mis à jour le 23 mai 2013

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