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UE-TURQUIE - Diplomatie tendue au séminaire de l'Institut du Bosphore

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 21 mars 2016, mis à jour le 8 février 2018

Les 17 et 18 mars derniers se tenait à Istanbul le 7ème séminaire de l'Institut du Bosphore. Une centaine de représentants des deux pays ont discuté des questions épineuses que sont le PKK, la crise des réfugiés, les attentats ou encore l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le tout dans une ambiance diplomatique, mais tendue.

Deux sujets majeurs ont animé les débats : “Europe à géométrie variable versus Europe forteresse” et “Union européenne, France et Turquie : les enjeux d'une meilleure collaboration”.

“L'institut du Bosphore est un lien, un carrefour des relations franco-turques” comme l'a défini Christophe Bouillon, président du groupe d'amitié France-Turquie à l'Assemblée nationale. Toutefois, vendredi 18 mars, “l'amitié” n'était pas évidente dans tous les échanges de ce septième séminaire.

Photo AJ

Les derniers attentats de Paris, d'Istanbul et d'Ankara (celui d'Istiklal est survenu le lendemain) étaient dans tous les esprits et ont été, avec la question des réfugiés et celle de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, le fil rouge des débats. “Comme toujours, la guerre a rebattu les cartes, et aujourd'hui, l'Union européenne et la Turquie sont indissociables sur les questions de sécurité” a rappelé Eric Danon, le directeur général du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS).

Le PKK, source de tensions diplomatiques

Malgré les rappels constants des liens d'amitié entre les deux pays, le ton entre les participants est monté lorsque l'ambassadeur de Turquie en France, Hakkı Akil, a brandi un exemplaire du Monde du jour, déplorant que l'article de Une ne fasse pas mention des membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) comme “terroristes” mais comme “rebelles” ou comme “milices”. “Aucune idéologie ne peut justifier le massacre d'innocents, a-t-il déclaré. Ce n'est que du journalisme, mais ce lexique fait de la propagande en faveur des terroristes.” Ce à quoi son homologue Charles Fries, ambassadeur de France en Turquie, a répondu dans son intervention: “Nous sommes actifs contre le PKK et tu le sais !”, en référence aux manifestations non-autorisées de sympathisants du PKK contre des institutions turques à Bordeaux et à Paris le 8 février dernier.

La question des réfugiés a également échauffé les esprits. “L'AKP (Parti de la justice et du développement) n'a pas le droit d'agiter les cadavres des petits bébés syriens échoués sur les plages turques pour entrer dans l'Union européenne”, a asséné le député français Pierre Lellouche. “Nous n'avons jamais marchandé sur les corps de qui que ce soit ! Nous avons sauvé 98.000 personnes des eaux pendant qu'en Europe, vous vous demandez si vous allez en accueillir 20.000” a protesté l’ambassadeur turc. La Turquie accueille aujourd'hui entre 2,5 et 3 millions de réfugiés. Hakkı Akil a affirmé que son pays avait, depuis le début de la guerre en Syrie il y a cinq ans, “dépensé l'équivalent de 1,5% de son PIB” pour les réfugiés. “Si l'Union européenne suivait l'exemple turc, la France aurait à investir 32 milliards d'euros, et l'UE 215 milliards, alors je pense que demander 3 ou 6 milliards d'euros d'aide n'est pas excessif. (…) L'UE n'a pas de leçon à nous donner.”

Liberté d'expression, sujet volcanique

Au sujet de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, le député Pierre Lellouche a dénoncé la tournure politique prise par l’AKP. “Il y a dix ans, je militais en faveur de votre adhésion à l'Union. Aujourd'hui, je ne peux pas tenir le discours de sympathie que je tenais à l'époque, à cause du non respect de la liberté d'expression” a-t-il regretté en mentionnant les intellectuels emprisonnés ou licenciés par les institutions turques pour leurs opinions politiques. “L'Europe n'est pas la solution pour l'AKP et ses dérives” a-t-il sermonné. Depuis janvier, des intellectuels pétitionnaires ont en effet été renvoyés de leurs postes et d'autres emprisonnés pour “propagande terroriste” après avoir réclamé la paix dans le sud-est du pays. “Par ailleurs, la Turquie est un grand pays, aux services institutionnels pointus. Je ne m'explique pas que des terroristes puissent la traverser de long en large sans être appréhendés par la police. Tout comme je ne m'explique pas que les réseaux mafieux de passeurs soient si efficaces, a insinué le député français. Et quelle politique internationale menez-vous ? Fallait-il rompre avec Israël, traiter ainsi la question syrienne ou l'Irak ? Engager un processus d'escalade avec la Russie ?”

“Je vous propose de vous présenter aux élections turques, dans ce cas” a asséné l'ambassadeur Hakkı Akil. Un participant turc s'est également défendu des “dérives” de l'AKP en affirmant que ces dernières étaient “mutuelles”. “Aucun pays n'est le paradis de la démocratie, a renchéri Hakkı Akil. Regardez en France : après seulement un jour d'attentat, vous changez votre Constitution !”

Le terrorisme, un fléau universel

Après ces invectives, les participants ont calmé le ton en rappelant que seule l'union pouvait permettre de venir à bout du terrorisme, qu'il frappe l'Europe ou la Turquie. Hakan Yılmaz, professeur de relations internationales à l'université de Boğaziçi, a insisté sur l’importance des valeurs européennes et sur leur caractère communautaire. “Séparément, les pays européens ne maintiendraient jamais en leur sein les valeurs prônées par l'Union. En France, si le FN prenait le pouvoir, elles subsisteraient au maximum un an si elle sortait de l'UE. C'est le fait d'appartenir à une communauté qui incite les pays à les respecter. C'est pourquoi nous demandons à y entrer, pour adhérer à ces valeurs.”

Une des dernières participantes à prendre la parole, l'avocate Ece Güner s'est insurgée contre ces propos. “Le gouvernement turc actuel n'a aucune sincérité vis-à-vis de l'entrée dans l'Union européenne et du respect de ses valeurs, a-t-elle affirmé. Il se sert des migrants pour marchander, et vote des lois qui vont à 100% à l'encontre des valeurs démocratiques en utilisant la conjoncture actuelle. Les élections n'ont pas lieu dans un contexte équitable puisque 90% des médias en Turquie sont possédés par le gouvernement et les intellectuels sont emprisonnés ».

“Toutefois, ce n'est pas à l'Union européenne de renverser ce gouvernement, c'est le peuple turc qui doit se débarrasser de lui. Ce que peut faire l'Europe, c'est être à l'écoute de la société civile turque” a-t-elle conclu. Ce dialogue à couteaux tirés a pris fin en rappelant aux différentes parties de la nécessité de maintenir de bonnes relations diplomatiques et commerciales entre l'Union européenne, la France et la Turquie.

Aline Joubert (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 22 mars 2016

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Publié le 21 mars 2016, mis à jour le 8 février 2018

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