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Comprendre l’affaire Osman Kavala, dossier qui fragilise les relations Turquie-Europe

Osman Kavala, un nom qui vous est peut-être familier, et qui revient régulièrement à la une de l’actualité en Turquie. Incarcéré depuis le 18 octobre 2017 pour "avoir organisé et financé les manifestations de Gezi en 2013", Osman Kavala est aussi accusé "d’implication dans la tentative de coup d'État en 2016". À l’occasion de sa 4e année d’incarcération, lepetitjournal.com Istanbul tente de faire le point sur cette affaire qui a connu de nombreux rebondissements judiciaires.

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Osman Kavala, au centre, rue Istiklal à Istanbul en 2015
Écrit par Albane Akyüz
Publié le 20 octobre 2021, mis à jour le 1 octobre 2023

Qui est Osman Kavala ?

Osman Kavala, homme d'affaires et philanthrope, est né à Paris en 1957. Après avoir étudié au lycée américain d’Istanbul, le Robert College, il poursuit ses études supérieures en Angleterre, à l'Université de Manchester. Il s’installe de nouveau à Istanbul en 1982 pour diriger l’entreprise familiale. Il cofonde la maison d'édition İletişim, et est également fondateur du Centre culturel Anadolu Kültur, ainsi que directeur de Depo (dans le quartier de Tophane à Istanbul), une ancienne fabrique de tabac reconvertie en un centre culturel et artistique.

Osman Kavala est très attaché au patrimoine turc, c’est ainsi qu’il a régulièrement soutenu la reconstruction de monuments historiques, dont des églises arméniennes. 

Ses actions de philanthrope lui ont valu le surnom de “Soros turc”*, ou de “Milliardaire rouge”. En février 2020, le président Erdogan l’avait qualifié de “pendant turc de Soros”.

Osman Kavala, un homme qui dérange le pouvoir turc ? 

Osman Kavala a soutenu les événements de Gezi en 2013, il œuvrait pour la reconnaissance du génocide arménien en Turquie, et était d’ailleurs présent aux commémorations du centenaire du génocide en avril 2015. En 2017, il appelle à boycotter le référendum, qui prévoit le passage d’un système parlementaire à un système présidentiel en Turquie, accordant ainsi davantage de pouvoir au président Erdogan.

C’est alors qu’il est considéré par la presse proche du parti au pouvoir, l’AKP, comme une figure de financement du terrorisme ; il est accusé d’avoir soutenu le PKK ainsi que le mouvement Gülen. Des figures de l’opposition turque diront au contraire que Kavala dérange le pouvoir, en ce qu’il est aux antipodes de la base électorale de l’AKP. 

Le 18 octobre 2017, Osman Kavala est arrêté à l’aéroport Atatürk à Istanbul, et placé en garde à vue.

En octobre 2017, suite à son arrestation, Emma Sinclair-Webb, responsable de Human Rights Watch en Europe et Asie Centrale, tweetera qu’Osman Kavala “n'a jamais cessé de travailler en faveur de la réconciliation, du dialogue et pour le soutien de l'État de droit en Turquie”. 

 

Saga judiciaire

En février 2020, Osman Kavala comparaît devant une cour d’assises d’Istanbul, accusé de "tentative de renverser le gouvernement" au cours des événements du parc de Gezi en juin 2013. Il est acquitté en raison de preuves insuffisantes (son acquittement sera annulé en appel, en janvier 2021). Mais quelques heures plus tard, un nouveau mandat d'arrêt est émis contre lui, en lien avec la tentative de coup d’Etat de juillet 2016 ; il est arrêté et placé en garde à vue au siège de la police antiterroriste d'Istanbul. Le 4 février 2021, une cour d’assises d’Istanbul décide de joindre les deux affaires du cas Kavala (Gezi et coup d’Etat), et de maintenir le philanthrope en prison. 

Le lundi 25 avril 2022, il est condamné à la prison à vie à Istanbul. Sept de ses co-accusés (procès de Gezi) écopent d'une peine de 18 ans de réclusion. 

Retrouvez toutes les dates-clés de l’affaire Kavala en cliquant ICI (turc et anglais).

L’affaire Kavala devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)

Si la CEDH demande régulièrement la libération d’Osman Kavala, au même titre que celle de Selahattin Demirtaş, le coprésident du parti pro-kurde HDP (en détention provisoire depuis novembre 2016), la Turquie a toujours ignoré ces requêtes.

Le 10 décembre 2019, dans un jugement, la CEDH avait déclaré que la détention d’Osman Kavala, à caractère politique, ne reposait sur aucun fondement, et que le philanthrope devait être remis en liberté immédiatement.

Mi-septembre 2021, le comité des ministres du Conseil de l’Europe (dont la Turquie est membre), qui surveille notamment la mise en œuvre des décisions de la CEDH, a déclaré qu’il voterait lors de sa prochaine session (du 30 novembre au 2 décembre) sur l’opportunité d’informer officiellement la Turquie de son intention d’entamer une procédure d’infraction contre elle, à moins qu’Osman Kavala ne soit libéré d’ici là. La procédure d'infraction pourrait entraîner des mesures punitives contre la Turquie, y compris sa suspension éventuelle de l'organisation, ainsi que la privation de son droit de vote.

Pressions de la communauté internationale pour la libération d’Osman Kavala

Lundi 18 octobre 2021, à l’occasion de la 4e année de détention d’Osman Kavala, une déclaration conjointe signée par 10 ambassadeurs en Turquie (Allemagne, Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, France, Hollande, Norvège, Nouvelle-Zélande et Suède), demande sa remise en liberté. 

Cette note, très mal accueillie par les responsables turcs, qui y voient une “ingérence” dans la justice de leur pays, a valu aux ambassadeurs signataires une convocation du ministère des Affaires étrangères turc mardi 19 octobre.

Vives réactions des autorités turques

Le ministre de l’Intérieur turc, Süleyman Soylu, a tweeté suite à la déclaration des 10 ambassadeurs : “La république de Turquie est un État de droit démocratique. Il est inacceptable que des ambassadeurs fassent des recommandations et des suggestions dans une affaire en cours. Vos conseils jettent une ombre sur votre conception du droit et de la démocratie”.
Le 21 octobre, le président Recep Tayyip Erdoğan a menacé d'expulsion les 10 ambassadeurs, déclarant : “J’ai dit au ministère des Affaires étrangères que nous n'avions pas le luxe d'accueillir ces personnes dans notre pays”.

Le 23 octobre, le chef de l'Etat turc a annoncé : "J’ai ordonné à notre ministre des Affaires étrangères de déclarer au plus vite ces dix ambassadeurs persona non grata".

Cette mesure est rare dans les relations internationales. En vertu de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, déclarer un diplomate persona non grata ouvre la voie à son expulsion (dans ce cas, via notification du ministère des Affaires étrangères turc), ou à son rappel par son pays. 

Le 25 octobre, l'ambassade des États-Unis à Ankara a partagé une note indiquant que la déclaration conjointe des 10 ambassadeurs une semaine avant, ne contrevenait pas à l'article 41 de la convention.

 

note ambassade des Etats Unis turquie

 

Le pouvoir turc a interprété cela comme un "recul" de la part des ambassadeurs, et Recep Tayyip Erdoğan semble alors avoir fait machine arrière.

Le 22 octobre, Osman Kavala avait annoncé, via ses avocats, que : "Considérant qu’un procès équitable n’est plus possible dans ces circonstances", il considère qu'il n'y a plus aucun sens pour lui d’assister aux audiences à venir.

En parallèle, un rapport de la commission européenne publié mardi 19 octobre, met en lumière “la dégradation des institutions démocratiques en Turquie”, et s’inquiète du “refus de la Turquie d’appliquer les décisions de la CEDH”.

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(*) Georges Soros est un milliardaire américain connu pour ses activités philanthropiques (via des fondations dans une trentaine de pays).
 

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