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Louis, manifestant: "Hong Kong pourrait être le prochain Xinjiang"

Manifestant Hong Kong Manifestant Hong Kong
Écrit par Claudia Delgado
Publié le 26 janvier 2020, mis à jour le 27 janvier 2020

Il s’appelle Tom ou Alex ou peut-être Éric, mais on va l’appeler Louis. Il a vingt-deux ans et il fait partie de ces jeunes impliqués dans le mouvement pour la démocratie. Claudia a passé quatre jours avec lui avant son arrestation.

Un enfant de la rétrocession

Il porte un bermuda en jean, un t-shirt blanc, des baskets blanches. La partie de ses cheveux teints en châtain crée de légères ondes qui tombent sur son front. Des lunettes en écaille encadrent son visage. Il parle un anglais avec un accent que par moments, je peine à déchiffrer. Un anglais peu familier, de quelqu’un qui l’a appris à l’école et non pas à la maison. Lorsqu’un mot lui échappe, il dégaine son portable en un temps record.  Louis est né en 1997 à Shenzhen, au Sud-est de la Chine. Cette année-là, le Royaume-Uni a quitté le territoire de Hong Kong, laissant la Chine implanter "un pays, deux systèmes".  

 

Manifestant Hong Kong
Cérémonie de rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 1997

 

Louis attend en face de la station de métro pour m’emmener à sa fac que je ne préfère pas nommer. Il est en quatrième année d’études d’ingénieur. Il peut étudier grâce à un prêt, une fois diplômé, il devra rembourser 42.000 HKD.

  • A Hong Kong, il est difficile d’accéder aux écoles publiques. On peut se le permettre si on a de très bonnes notes. Ce n’est pas mon cas.
  • Et à la fac, tu t’y plais?

Il lui faut quelques secondes pour répondre, comme s’il n’y avait jamais songé.

  • Non… on est formé pour manipuler des machines. L’université devrait être un lieu de discussion, mais on ne fait qu’emmagasiner de l’information, sans réfléchir.
  • Tu voudrais faire quoi après ?
  • J’aimerais monter ma propre affaire. Je ne sais pas quoi exactement. Pour l’instant je veux apprendre tout ce que peux.

Quand il n’étudie pas, Louis travaille dans un restaurant, il donne des cours particuliers, il bosse dans une entreprise qui fait des tests de sécurité alimentaire et il collabore à un magazine local ad honorem.

  • Quel serait ton job de rêve?

Il réfléchit, comme s’il essayait de se rappeler quelque chose qui paraît lointain, malgré son jeune âge.  

  • Coach de basket… ou journaliste.

 

Manifestant Hong Kong
Manifestation des mères en juin en soutien aux jeunes de Hong Kong

 

Si nous perdons, Hong Kong sera le prochain

Le couloir de l’entrée de l’université est tapissé des post-it avec des messages et des dessins contre le gouvernement, appelés Lennon Walls.

  • Ta mère sait que tu vas aux manifestations ?
  • Oui, mais elle n’aime pas que j’y aille.
  • Mais indépendamment de cela, elle est pour ou contre ?
  • Ça ne l’intéresse pas, ou peut être que oui, mais elle ne veut pas y être mêlée. Ma mère a eu une enfance difficile en Chine. Elle a beaucoup travaillé, et travaille dur encore, pour qu’on puisse avoir une vie meilleure, et elle ne veut pas mettre ça en danger. Tout ce qu’elle veut c’est revenir à la normale.
  • Tu parles de ça avec elle ?
  • Puisqu’on n’est jamais d’accord, je préfère ne pas en parler.

Via WhatsApp, Louis m’écrit "Je voulais te parler de ça", c’est le lien vers une vidéo sur le site de la BBC "Dans les camps de transformation de la pensée en Chine" à propos des centres de rééducation de Ouïghours. "Si nous perdons, Hong Kong sera le prochain".

 

Manifestant Hong Kong
"Lennon Wall", forme d'expression spontanée

 

A l’intérieur de PolyU

C’est un samedi et il est presque dix-sept heures. Louis, jeans, chemise en lin, baskets noires, se dirige vers l’Université Polytechnique de Hong Kong ou PolyU. Le chemin qui mène à l’université est un champ miné de briques. Le campus, tout comme la passerelle adjacente, a été pris par les manifestants et utilisé comme QG pour bloquer, avec des briques et débris, la circulation du tunnel Cross-Harbour. A l’entrée de la fac, un contrôle de sécurité ouvre des sacs et fouille ceux qui veulent entrer. Pour y accéder, il faut porter un masque, Louis récupère un masque noir du fond de son sac en bandoulière. Plusieurs manifestants se mobilisent autour de deux rangées de tables remplies de lunettes de protection, cocktails Molotov, casques, parapluies, masques à gaz, kits de premiers secours. Louis détonne parmi une foule vêtue de noir.

 

manifestant Hong Kong
Les manifestants retranchés dans PolyU feront l'objet d'un siège de 10 jours

 

Une statue de Dr. Sun Yat-sen à l’entrée de la cantine se dresse comme une sentinelle, il porte, tels les manifestants, casque jaune, masque et lunettes de protection. La cantine fonctionne sur la base du bénévolat et la nourriture arrive grâce à des dons. Tout le monde s’organise sans hiérarchie, pour cuisiner et distribuer des vivres. Au milieu, une rangée de tables avec des bouteilles d’eau, des centaines de soupes instantanées, une variété de pains et de fruits. Journalistes et manifestants partagent des tables. On entend des bribes d’anglais, français, cantonais, espagnol. Les écrans diffusent les infos en continu. Le gymnase est rempli de matelas et de couvertures. On se repose et on monte la garde à tour de rôle.

Le lundi 18 novembre, tandis que la police prenait d’assaut PolyU, Louis arrête de répondre aux messages. Claudia apprendra plus tard qu'il s'est fait arrêter et que son téléphone a été saisi. Au total, il y aura plus de 1.100 arrestations de manifestants sur le campus dans l’attente d’être inculpés. Parmi eux, Louis. Les délits liés aux émeutes sont passibles d’une peine maximale de dix ans.

 

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