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PRIX "SAUVES PAR LA NOUVELLE" - Des palmes sous la pluie

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 14 décembre 2016, mis à jour le 15 décembre 2016

 

 

Mardi 13 décembre, le concours littéraire lancé par le magazine Sauvés par le Kong en partenariat avec la librairie Parenthèses, l'Alliance française, l'UFE et le Consulat Général de France à Hong Kong et Macao a sélectionné ses lauréats parmi les douze participants. Trois francophones résidant à Hong Kong inspirés par des mots de Brassens et l'ondée.


Mélissa Parrinello, lauréate du concours, et Matthieu Motte, rédacteur-en-chef du magazine Sauvés par le Kong

« Un p'tit coin de parapluie contre un coin d'paradis ». Tel était le thème choisi pour cette édition unique de Sauvés par la nouvelle. Une référence chansonnière qui a soufflé à Mélissa Parrinello, la grande gagnante du concours, un texte sur la rencontre amoureuse intitulé « La Croisée des chemins ». C'est une nouvelle comme on les aime, un texte simple, une histoire qui a l'air de rien avec la chute qu'il faut. », s'enthousiasme Madeline Progin, propriétaire de la librairie française et membre du jury. L'auteur du texte primé qui depuis 3 ans travaille à Hong Kong comme responsable marketing n'en est pas a son coup d'essai ; elle participe régulièrement à des challenges littéraires. « J'écris depuis l'âge de 12 ans. Ce n'est pas mon métier mais il y deux ans j'ai décidé de faire tout ce qui est possible pour que cela le devienne », a déclaré la jeune femme, les bras chargés de livres.

 

Corentin Felten, lauréat du Prix des Jeunes © FM

L'amour est aussi au c?ur de « Parapluie», la nouvelle proposée par Corentin Felten, et récompensée dans la catégorie jeunesse. L'élève de 1ère S au lycée français de Hong Kong pose un peu timide aux cotés de son père qui délaisse son appareil, le temps d'une photo. La nouvelle sera publiée dans la gazette du LFI, annonce fièrement Véronique Harel, le proviseur-adjoint du lycée. « C'est la gloire, Corentin », s'amuse Matthieu Motte, rédacteur en chef de Sauvés par le Kong, ravi de ce palmarès qui selon lui « n'est pas usurpé ».

Edward Wong, lauréat du Prix des apprenants du français et Johanne Thefaine de l'Alliance française © FM

L'heureux compositeur interprète des Trompettes de la renommée n'aurait sans doute pas boudé tant d'hommages, même involontaires. Le Hongkongais Edward Wong, gagnant du troisième prix, ignorait en effet tout de la chanson de Brassens qui donna son thème au concours quand à l'automne il écrivit « La Pluie », une nouvelle illustrée de dessins originaux. Comme dans le poème du chanteur français, l'averse y est pourtant aussi promesse d'une idylle. Cet architecte de 54 ans qui apprend le français à l'Alliance depuis 2010 et s'est lancé dans l'écriture « par défi » aura ainsi sans le savoir rendu au maitre ce qui lui appartient.  

Nicole Tam, membre du jury, lisant la nouvelle "La Croisée des chemins" de Mélissa Parrinello © FM

Florence Morin (www.lepetitjournal.com/hong-kong) jeudi 15 décembre 2016

Lire aussi : SAUVES PAR LA POESIE - And the winner is...

 

PRIX DE LA NOUVELLE

"La Croisée des chemins" 

Mélissa Parrinello

Le destin est un tricheur.

Pourquoi nous faire miroiter un bonheur illusoire, si c'est pour nous l'arracher tout aussitôt ? Pourquoi nous offrir de sa main tendue un fruit juteux qui ne laissera qu'amertume et désespoir en bouche ? Pourquoi nous faire croire, dans l'infinité d'un seul instant, que nous pourrions transformer aujourd'hui en de meilleurs lendemains ?

Je l'ai rencontré un matin d'automne, mon destin. Un matin tout à fait comme les autres. Le ciel était gris et terne, mais malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à masquer l'explosion de couleurs qu'était la ville ici-bas. Les arbres s'étaient parés de leurs plus beaux atours, une parade de rouge et d'or qui s'envolait fièrement à chaque bourrasque. Les feuilles tournoyaient en une valse folle, autour des troncs, le long des caniveaux, vers le haut puis vers le bas, sans jamais ni ralentir, ni s'arrêter. Abandonnées entièrement à l'étreinte du vent, véritable maître d'orchestre de cet opéra silencieux.

Le ciel jouait bien les trouble-fêtes, avec ses gros nuages sombres et son roulement grave, annonciateur de pluie, mais je ne comptais pas le laisser triompher : j'ai toujours adoré l'automne, voyez-vous ?

J'aimais plus que tout remonter ma rue à pas lents, buvant à pleine coupe l'effervescence de la vie quotidienne. C'étaient toujours les mêmes passants, toujours les mêmes voisins, mais jamais je ne me lassais de les observer. Il y avait l'homme d'affaires, celui qui marchait à pas vif, les yeux rivés sur sa montre en traînant une petite valise derrière lui. Sans doute était-il en retard pour quelque rendez-vous commercial, ou bien avait-t-il peur de manquer son avion. Il y avait aussi Vieil Homme Numéro Un, qui promenait son teckel en grognant sur la météo complètement détraquée. J'avais toujours trouvé qu'ils se ressemblaient beaucoup tous les deux, comme si le maître avait fini par déteindre sur l'animal. Ils avançaient à petit pas, sans se presser, s'arrêtaient parfois sans aucune raison particulière, et reniflaient à tout bout de champ comme s'ils cherchaient dans l'air l'odeur d'un souvenir, ou peut-être celle d'une autre époque, aux saisons plus prévisibles. Vieil Homme Numéro Deux n'était jamais seul, lui, il descendait du perron de son immeuble, la main dans celle d'une femme qui partageait sa vie depuis cinquante ans. J'aimais beaucoup Vieil Homme Numéro Deux. Il me rappelait que le véritable amour, ce n'était pas que dans les contes de fée. Il y en avait tant d'autres, tant de vies qui défilaient chaque jour devant mes yeux. Certains souriants et d'autres tristes. Le fleuriste me disait bonjour chaque fois que je passais devant sa boutique, mais le caricaturiste, lui, m'ignorait. Il n'était jamais trop tôt pour partir à la chasse aux touristes.

Et puis, en ce jour d'automne tout à fait comme les autres, le destin décida de me jouer un tour. Ce ne fut rien de plus qu'une silhouette au début, une vague forme qui aurait tout aussi bien pu être Etudiante Numéro Deux, celle qui passait son temps au téléphone avec sa meilleure amie à l'autre bout du monde. Mais alors que mes pas me menaient toujours plus près d'elle, je réalisai qu'elle était une inconnue dans mon univers. Le x à l'équation de ma vie.

De longs cheveux blonds tombaient en cascades bouclées sur ses épaules, emmêlés dans les replis désordonnés d'une épaisse écharpe brune. Elle portait d'énormes lunettes à monture bleue, assorties à la couleur de ses magnifiques yeux. Un carton à dessin coincé sous le bras, elle serrait contre sa poitrine un grand gobelet de café dont la fumée lui rosissait les joues. Je ne pouvais pas détacher mon regard de sa peau satinée, de son nez retroussé et de ses taches de rousseur qui la rendaient plus adorable encore.

C'était étrange. Vraiment étrange. Je n'étais pas le genre de personne à me retourner sur les femmes que je croisais dans la rue. Alors pourquoi...

Plop. Plop. Une goutte, et puis une autre. Le ciel lançait son ultime attaque pour éteindre les couleurs de l'automne. La bruine se fit averse, et puis ce fut le déluge. Je me précipitai sous la devanture d'un ancien magasin de jouets fermé depuis plusieurs semaines, seulement pour y voir la jeune femme m'y rejoindre. Je la regardai approcher tout en tentant de me convaincre que je n'étais absolument pas sous le charme de cette surprenante apparition.

Nos regards se croisèrent et elle me sourit. Pas du sourire gêné que l'on se sent obligé d'offrir lorsque nos yeux rencontrent malencontreusement ceux d'un étranger dans la rue. Un vrai sourire, plein de vie et de rêves. Plein d'une joie qui me faisait défaut.

« Quel temps, hein ? » demanda-t-elle en secouant sa magnifique crinière.

Elle me rappela Vieil Homme Numéro Un et ses lamentations constantes sur la météo. J'aurais pu trouver cela repoussant, mais venant d'elle cela sonnait tout à fait charmant.

« Ou? Oui. »

Ma voix ressemblait au croassement du corbeau. J'aurais dû commencer par quelque chose de plus intelligent ! Non pas que cela ait la moindre importance au fond? Et pourquoi étais-je brutalement si timide ? Pourquoi étais-je en train de me creuser la tête pour me donner un air intéressant ? Ce ne pouvait tout de même pas être dans le but de plaire à cette jeune femme, si ? Elle n'était pas du tout mon genre.

« On se croirait déjà en plein hiver ! reprit-elle en s'ébrouant comme un chiot mouillé. S'il n'y avait pas toutes ces feuilles, je ne croirais jamais que c'est encore l'automne ! Oh, pardon, je ne me suis même pas présentée ! Moi c'est Leïla, enchantée ! J'étais en route pour la Sorbonne? »

Elle attendait sans doute une réponse mais les mots me manquaient. Je n'avais pas exactement l'habitude qu'on vienne me parler dans la rue. Le silence s'éternisa jusqu'à devenir inconfortable, et je finis par lâcher la première chose qui me passa par la tête, principalement dans le but de détourner son attention de mes mains qui commençaient à trembler.

«  Tu? Tu es étudiante ?

? Plus vraiment, non ! Je suis sortie de l'université l'été dernier, mais ce n'est pas facile pour les artistes de trouver un boulot de nos jours, du coup je bosse à droite à gauche, je fais ce que je peux. Ma vraie passion c'est le dessin, tu vois ?  Et toi ? Tu fais quoi dans la vie ?

? Rien de bien excitant, avouai-je en baissant les yeux. Je travaille à la caisse de la supérette en bas de la rue.

? C'est toujours mieux que de trier des dossiers à longueur de journée, c'est ce que je fais en ce moment. Au moins, tu vois défiler du monde ! J'adore regarder les gens, c'est un peu le propre des artistes tu sais ? Parfois, je vois des gens et j'ai juste envie de les dessiner. Comme ça? tu comprends ? »

Elle se lança dans une description enjouée de ses artistes préférés et de son idiot de manager qui l'empêchait de prendre des pauses quand elle voulait dessiner. Se tenir à ses côtés était une sensation bizarre. Elle était une boule d'énergie à l'état pur. Elle, le Soleil et moi, la Lune. Elle brillait tant qu'elle m'éclipsait complètement. Non que cela me dérangeait en quoi que ce soit, j'ai toujours été du genre à vivre dans l'ombre.

Pendant qu'elle parlait, mon regard tomba malgré moi sur ses lèvres. Elles bougeaient à toute vitesse, sensuelles, portées par le flot de paroles de leur propriétaire. Quelle genre de sensation ce serait si je venais à les toucher ? Si je venais à? l'embrasser ?

Stop. Pardon ? Quelles étaient ces pensées qui me traversaient la tête ? Je ne la connaissais même pas. Pourquoi m'imaginais-je donc en train de l'embrasser ? Que m'arrivait-il à la fin ?

Leïla continuait à parler, indifférente à mon trouble.

« Hé, tu m'écoutes ? J'étais en train de dire que je trouvais ton visage super intéressant, exactement le genre que j'aimerais dessiner?

? Mon visage ? Je n'ai rien d'exceptionnel?

? Tu plaisantes ? Peut-être que tu devrais te regarder avec les yeux d'un artiste pour comprendre. Les proportions sont justes parfaites, c'est fou ! Mais tu trembles? Tu as froid ? Quel temps, c'est ce que je disais tout à l'heure. Tu veux une gorgée ? C'est un Mocha, ça va te réchauffer. »

Elle me tendit son gobelet, estampillé du célèbre logo vert d'une sirène à deux queues. Je le regardai, sans un mot, les yeux fixés sur l'ouverture où perlaient encore quelques gouttes de café. Ses lèvres s'étaient posées juste ici? Et elle me demandait? Elle me demandait? Je secouai la tête pour chasser toutes ces pensées confuses.

« Je ne suis pas malade, si c'est ce qui t'inquiète, ajouta-t-elle, méprenant sans doute mon geste pour un refus.

? Non, je? D'accord, merci. »

Elle me tendit de nouveau son café et je le recueillis entre mes doigts comme le plus précieux des trésors. Jamais un breuvage n'avait eu meilleur goût. Une chaleur se diffusa dans tout mon corps. Mais était-ce vraiment du au café ? Je n'aurais su le dire. L'émotion était telle que j'en eus les larmes aux yeux. J'aurais dû baisser la tête, cacher ma honte derrière mes paupières. Mais j'étais incapable de détourner les yeux de sa lumière, qui m'abreuvait autant qu'elle me brûlait. Une telle personne pouvait-elle vraiment être réelle ?

« Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda Leïla. Attends, tu pleures ?! »

J'eus un geste de recul mais elle fut plus rapide que moi. De sa main, elle essuya la goutte solitaire qui avait décidé de gagner sa liberté. Le contact de ses doigts sur ma peau fut comme un électrochoc. Je sursautai, et me jetai brusquement en arrière. A peine échappais-je à son contact que je ne désirai plus qu'une seule chose, le retrouver. Elle me sourit, et tendit de nouveau la main vers moi pour remettre mes lunettes en place d'un geste plein de douceur. J'en oubliai presque de respirer.

«  Ta vie ne doit vraiment pas être drôle si le simple fait de t'offrir un café te met dans ces états? Tu peux le garder, va !

?Non, je? Merci? »

Je pouvais le faire. Ce n'était pas compliqué. Je pouvais lui demander son numéro, lui donner le mien. L'inviter à prendre un verre. La revoir. La toucher à mon tour, peut-être. Ce n'était pas compliqué. Il suffisait que je parvienne à ouvrir cette maudite bouche.

«  Ça va mieux ? demanda-t-elle finalement. Je parle, je parle, tu peux m'arrêter si ça t'ennuie, hein. Avec tout ça, tu ne m'as même pas dit ton nom?

? C'est vrai? Je? »

All you need is love retentit brutalement depuis la poche de son manteau, nous faisant sursauter. Elle sortit son téléphone pour regarder qui essayait de la joindre, puis jeta un coup d'?il autour de nous. C'est alors que je me rendis compte de l'affreuse traitrise du destin.

«  Hé! Mais il ne pleut plus ! Il faut que je file, mon copain m'attend à la Sorbonne et il doit déjà se demander pourquoi je ne suis pas encore arrivée, j'étais déjà en retard avant qu'il ne commence à pleuvoir ! C'était sympa de faire ta connaissance ! Profite bien du café ! »

Et sur un petit geste de la main, elle se détourna et s'en fut. Aucune hésitation. Aucun regard en arrière. Nous ne nous reverrions jamais, et cela ne semblait pas la déranger plus que cela. Je n'étais après tout qu'une poussière dans la lumière de son existence.

Un bruit assourdissant déchira le silence.

Le bruit d'un c?ur qui se brise. Le tonnerre d'une route qui s'achève, d'une vie entière de certitudes réduites à néant. Rien ne serait plus pareil après aujourd'hui. Rien ne serait plus jamais comme avant.

Je continuai de regarder l'angle de la rue où elle avait disparu, longtemps après qu'elle fut partie.

« Moi c'est Amélie? » murmurai-je au vent.

 

lpj 20
Publié le 14 décembre 2016, mis à jour le 15 décembre 2016

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