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ISABELLE GLACHANT – Le cinéma, un pont encore fragile entre la Chine et la France

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 27 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

La rédaction du Petitjournal.com s'est rendue au FilmArt, l'un des plus grands marchés audiovisuels d'Asie, pour rencontrer Isabelle Glachant, la responsable Grande Chine du bureau d'Unifrance, l'organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l'étranger

Récemment nommée Chevalier des Arts et des Lettres, Isabelle Glachant est également une productrice captivée par la Chine. Elle vient d'ailleurs de coproduire 11 Fleurs, un drame chinois réalisé par Wang Xiaoshuai sur le thème de la révolution culturelle, qui sortira bientôt sur les écrans. Une rencontre passionnante, qui nous a éclairé à la fois sur le marché du film français en Chine et sur les enjeux politiques du cinéma chinois.

 

Le hall du FilmArt, l'un des plus grands marchés audiovisuels d'Asie

 

Lepetitjournal.com : Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Isabelle Glachant : Après des études de cinéma, j'ai travaillé pour Canal+ pendant six ans où j'étais spécialiste du cinéma chinois. Lors de ma dernière année, je suis partie à Hong Kong. J'étais chargée d'étudier le marché pour convaincre Canal+ d'ouvrir un bureau en Asie. Mais cette même année, l'ambassade de France à Pékin a créé un poste d'attaché audio-visuel. J'ai immédiatement répondu à l'offre et grâce à mon profil de sinophile ainsi qu'à mon expérience dans l'industrie du cinéma, j'ai obtenu un contrat de cinq ans.

En 2003, je suis devenue indépendante et je me suis lancée dans l'aventure de la production grâce à une rencontre clé avec le réalisateur Wang Xiaoshuai dont j'ai produit Shanghai Dreams. Puis j'ai travaillé pour Luc Besson dont j'avais organisé la venue comme président du jury au festival de Shanghai. Je le tenais informé de l'actualité du marché chinois et je lui proposais des films à distribuer en Europe. J'ai ensuite participé à la production de Lost in Beijing de Li Yu, puis de The City of Life and Death de Lu Chuan. J'ai fini par monter ma propre société de production à Hong Kong. Mon dernier projet important : la coproduction de 11 fleurs, de nouveau avec Wang Xiaoshuai. Je suis actuellement Représentante d'Unifrance en Chine où j'ai pour mission de promouvoir le cinéma français pour la Grande Chine.

 

Quelle est l'ampleur du marché du film français en Chine ?

La France distribue entre trois et six films français par an en Chine Continentale, 15 à 20 à Hong Kong et 40 à Taiwan. L'année dernière, Coursier, Océans et Arthur 3 ont pénétré le marché continental. L'année prochaine devrait être plus fructueuse avec Largo Winch 2, La Proie et A bout portant pour le début d'année qui seront suivis en avril par RTT et en mai par Comme un Chef et The Artist. Les Chinois apprécient particulièrement les comédies.

Le problème est que la Chine reste un marché limité à cause des restrictions d'accès découlant des quotas d'importation. Le quotas sont les mêmes pour l'ensemble des pays européens mais la France réussit à se distinguer en proposant une offre plus importante. Les Etats-Unis dominent avec en moyenne une trentaine de films par an en Chine Continentale. Les productions régionales de Corée, de Taiwan et du Japon son également bien présentes. Malgré les restrictions, les quelques films français sont des sorties phénoménales, pas moins de 1.800 écrans pour Largo Winch 2. La Chine est d'ailleurs encore sous équipée (environ 9.000 salles aujourd'hui) mais la croissance du nombre de salles est vertigineuse (12.000 salles d'ici 2013).

 

L'affiche du film "11 flowers" coproduit par Isabelle Glachant

 

Comment arrivez-vous à sensibiliser les Chinois aux productions françaises issues d'une culture aux antipodes ?

Les Chinois sont sensibles aux films qu'ils choisissent. Pour eux, le cinéma français, c'est la comédie, alors que le cinéma d'art et essai plait plus à Taiwan. Unifrance se lance dans de nombreuses initiatives pour faire découvrir le cinéma français aux populations locales. Par exemple My French Film Festival, qui a fait 1,1 million de clics cette année, propose de visionner gratuitement une sélection de films français en compétition sur internet. Case départ, une comédie sur le racisme, a connu un succès impressionnant en 2012. Nous participons également à une série de festivals internationaux. Le Festival de Shanghai présente une sélection de 200 à 300 films et celui de Pékin entre 80 et 100 longs métrages parmi lesquels la France est bien présente. Unifrance est également à l'initiative depuis 2004 du Panorama du film français, qui retransmet des longs et des courts métrages dans quatre à cinq villes de Chine continentales.

 

Les films français bénéficient-t-ils du statut particulier de Hong Kong et de Taiwan ?

A Hong Kong il n'existe pas de quotas, ce qui permet de couvrir un panel bien plus important, des films d'auteurs comme La guerre est déclarée ou plus grand public comme The lady aussi bien que des comédies. A Taiwan, avec 40 films par an, le spectre est encore plus large mais le marché reste limité. Les films ne font en moyenne que 2.000 entrées. Pour ne pas avoir à investir dans de nouvelles pellicules, de vieilles copies récupérées après les distributions en France sont sous titrées en chinois. Elles donnent une image granuleuse vieillotte. Les sociétés de distribution passent depuis l'année dernière au Digital Cinema Package, grâce à des soutiens financiers de la France.

 

Certains films français sont ils censurés ?

La censure chinoise ne donne pas de témoignages écrits donc il est difficile de vérifier exactement pourquoi un film a été bloqué à l'exportation. Il est rare que la censure exige des coupes. Si le film est polémique, il ne passe pas du tout. C'est souvent la politique ou l'érotisme qui sont des thématiques sensibles, plutôt que la violence. Les Chinois font également attention à ne pas diffuser des films qui pourraient créer des tensions géopolitiques avec les pays riverains. Par exemple The Lady ne sera pas distribué en Chine car il pourrait porter atteinte aux bonnes relations avec la Birmanie.

 

Et comment fonctionne la censure pour le cinéma chinois ?

Historiquement, il fallait avoir l'aval d'un studio officiel pour produire. Souvent les réalisateurs payaient les studios, seulement pour apposer leur cachet et il existait tout un mouvement de cinéma underground, illégal. Ce n'est plus le cas actuellement mais il est interdit de sortir un film sans autorisation. Certains réalisateurs comme Lou Ye, qui a fait Summer Palace sur les répressions de Tian'anmen, ont été censurés pendant plusieurs années. Maintenant, la plupart des réalisateurs travaillent dans le système et se plient à l'organisme de la censure car ils ont besoin de fonds, qu'ils ne pourraient pas obtenir en restant dans l'illégalité. Les nations occidentales sont également passées par des périodes où il était mal vu de réaliser des films sur certains sujets. Je crois que cela pousse les réalisateurs à être inventifs et à parler des sujets sensibles par des moyens détournés.

 

Pouvez-vous nous parler de votre coproduction avec Wang Xiaoshuai, 11 fleurs ?

Les Américains utilisent souvent la coproduction pour contourner les quotas. Ils réalisent un film avec un réalisateur américain et des acteurs américains sur le territoire chinois et le présentent comme une coproduction. 11 fleurs ne suit pas du tout cette logique. C'est un film chinois avec des acteurs chinois et un réalisateur chinois. Il est coproduit avec Arte et a reçu des aides financières françaises. J'y ai mis ma patte artistique car je connais bien le réalisateur et nous avons fait évoluer le scénario ensemble. J'ai également insisté pour engager une monteuse française incroyable, Nelly Quettier, et la post production a été faite en France. Si la France n'est pas perceptible à l'image, elle est bien présente !

Le film a été tourné dans un tout petit village à moitié abandonné. Il raconte le destin d'un petit garçon à la fin de la révolution culturelle. Nous avons complètement retapé le village, au grand bonheur des autorités locales qui ont vu une opportunité de le transformer en studio de tournage pour la région. Nous n'avons donc eu aucun problème avec la censure, malgré un thème un peu polémique.

 

Hong Kong bénéficie-t-il d'un statut particulier, dans la logique "un pays, deux systèmes" ?

A Hong Kong, ce n'est pas du tout la même logique de censure mais une classification assez prude. Un film est facilement interdit aux moins de 18 ans mais pas retiré des salles. Il y a eu un peu de censure politique dans les années 80-90 avant la rétrocession mais c'est fini. Historiquement, Hong  Kong était surnommé le "Hollywood de l'Asie" car ils avaient la main mise sur le marché du Sud Est de l'Asie, grâce aux réalisateurs de films d'arts martiaux. Ils ont perdu ce marché en faisant des films très uniformisés, uniquement dans une logique consumériste. Actuellement, la plupart des réalisateurs, producteurs et comédiens hongkongais se sont délocalisés à Pékin, où ils coproduisent avec la Chine continentale pour détourner les quotas. Ces réalisateurs ne cherchent pas à traiter de sujets polémiques mais à faire des affaires en rentrant dans les bonnes cases. Leurs thématiques phares sont l'occupation japonaise et les films d'art martiaux en costume. Ces films se ressemblent par conséquent tous un peu, avec les mêmes comédiens et les mêmes histoires.

 

A travers le cinéma, le gouvernement cherche-t-il à faire passer une certaine image politique d'une nation idéalisée à l'échelle internationale ?

Le cinéma ne dépend pas du ministère de la Culture mais du bureau de la radio, du film et de la télévision (SAFRT) directement sous la tutelle du bureau de la propagande du Parti. Il y a donc un contrôle de ce qui est fait et de ce qui circule parce que pour le Parti, le cinéma a toujours eu une valeur politique. Mais le cinéma chinois qui intéresse l'Europe, c'est celui qui ose porter un regard critique sur la société chinoise, tout comme le cinéma européen le fait sur la sienne. La vision idyllique de la Chine présentée dans beaucoup de grandes productions locales que le gouvernement aimerait nous inculquer via le soft power ne nous intéresse pas. Par ailleurs, les films qui se concentrent seulement sur les personnages et pas sur les intrigues politiques s'exportent mal sur le continent. La psychologie n'existe que depuis très récemment en Chine et les personnages sont souvent un peu simplistes. Ils n'évoluent pas au cours du film, contrairement à ceux des films intimistes européens. Le seul cinéma qui pourrait intéresser les Européens, une vision fine et critique de la société chinoise, n'est pas politiquement correct et vivement découragé par le gouvernement. C'est pour cela que les bons films chinois pour nous restent malheureusement encore trop mal connus des chinois et que leurs grands succès publics passent rarement les frontières.

 

Propos recueillis par Clara Leonard (www.lepetitjournal.com/hongkong.html) mardi 27 mars 2012

 

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Publié le 27 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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