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CINEMA - Benoit Jacquot, « j’aime faire apparaitre de nouveaux visages à l’écran »

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 15 décembre 2016, mis à jour le 16 décembre 2016

 

Du haut de ses cinquante ans de carrière, Benoit Jacquot a travaillé avec les plus grands acteurs et actrices du cinéma français. Il s'est rapidement fait connaitre pour son style dépouillé, réaliste souvent centré sur des personnages féminins en quête de sens. L'édition 2017 du French Cinepanorama met à l'honneur le cinéaste en présentant une courte rétrospective de ses adaptations littéraires et son tout dernier film, le troublant A Jamais.

Vous puisez souvent vos histoires dans la littérature. Les scénarios originaux vous convainquent-ils moins ?

Non, je n'ai pas de préférence ou de hiérarchie. La plupart du temps, les livres dont j'ai fait des films m'ont été proposés. Je n'ai jamais fait un film à partir d'un livre de ma propre initiative. Par ailleurs, comme je suis un lecteur invétéré depuis toujours, le geste de lire, un livre ou pas, est déterminant pour moi. Même un scénario original obéit à des réflexes ou des souvenirs qui ont leur origine dans telle ou telle lecture.

Quels rapports entretenez-vous avec l'?uvre originale quand vous faites une adaptation?

Quand il s'agit de partir d'un livre, j'ai deux envies contradictoires. D'un côté, j'ai envie de faire quelque chose d'extrêmement fidèle, à la limite, je me passerais volontiers de scénario pour faire le film le livre à la main. Le plus proche de ça a probablement été Adolphe que j'ai fait en 2002. D'un autre côté, j'aimerais faire le film dans l'oubli total du livre. C'est l'un ou l'autre chez moi. Jusqu'ici, c'est plus cette dernière tendance qui a prédominé dans mes adaptations de livre.   

Votre nouveau film A jamais est une adaptation de The Body Artist de Don de Lillo. Comment vous est venue l'idée d'adapter cette nouvelle au cinéma?

Un producteur que je connais depuis longtemps avait accès aux droits de cet écrivain nord-américain très connu et m'a proposé d'adapter au cinéma ce court roman. Il l'a fait avec beaucoup d'insistance parce que, quand j'ai lu ce livre, je n'ai pas vu du tout le film que je pourrais en faire. Je n'étais pas foncièrement hostile au projet mais cela me laissait perplexe. Il a fallu que je rencontre cette jeune actrice qui tenait beaucoup à jouer avec moi, Julia Roy, pour que cela se mette en place. Je lui ai donné ce livre à lire et, elle, a vu immédiatement le film qui pourrait en découler. Pour la mettre face à ses intentions, je lui ai proposé d'écrire le scénario que moi je n'étais pas capable d'imaginer.

Seule Julia Roy est en effet créditée pour l'adaptation, vous n'avez donc pas participé du tout à l'écriture du scénario ?

C'est un cas assez inédit de mode d'écriture de scenario. Julia l'a fait en sachant que si ça marchait, elle interpréterait le rôle féminin qu'elle écrivait. Dans ce contexte, nécessairement, la direction d'acteur s'est exercée dès le moment de la conception du scénario. A mesure qu'elle écrivait, je lisais ce qu'elle faisait et je lui indiquais des directions. C'est quelque chose que je fais avec tous les scénaristes avec qui je travaille, même si ceux-ci sont les seuls crédités au générique final.

Dans le film, le fantôme avec lequel le personnage féminin interagit, apparaît soit sous les traits de son défunt mari soit sous ses propres traits, alors que dans la nouvelle c'est un personnage distinct? Pourquoi avoir fait ce choix ?

Dans le livre, c'est une créature abstraite, quasi informe qui se matérialise au fur et à mesure par rapport au disparu. Il y a un processus de formalisation de la personne physique. C'est une des choses qui m'arrêtaient. Je ne savais pas comment matérialiser ce revenant dans cette période d'indécision propre à l'évocation littéraire. Ce qui m'intéressait cinématographiquement, c'est que celui qui revient ait immédiatement la forme de celui qui a disparu. Sinon, la démarche sensible et intellectuelle du spectateur me semblait devenir beaucoup trop complexe. On pouvait bien sûr en faire au début une forme indécise, c'était faisable, mais ça me paraissait peu intéressant d'un point de vue cinématographique. Ce qui me semblait plus fort et plus violent, c'est qu'il y ait un triple mode de réapparition du disparu. Que ce soit à la fois une personne à laquelle elle parle, quelqu'un avec une présence indécise et elle-même. Et que le film joue avec ces 3 régimes d'hallucination.  

Vous entretenez d'ailleurs le doute sur ces apparitions, on ne sait jamais si c'est le produit de son imagination ou une vraie présence fantomatique.

Oui. Ça pourrait être une histoire de fantômes. Je pense que je fais ce qu'il faut pour qu'on sache qu'elle traverse un épisode hallucinatoire et que cette fabrication mentale la sauve de son naufrage intérieur. Mais il y a toujours cette idée que ça pourrait être un fantôme.

Dans le film, il y a un changement de point de vue. Pourquoi avoir choisi de vous concentrer d'abord sur le personnage de Jack ?

BJ : Je ne sais pas (rires). C'est une décision que j'ai prise quasi-immédiatement. Je voulais qu'il y ait 2 volets dans le film. Que ce soit d'abord elle vue par lui puis, à partir du moment où il disparait, que ce ne soit plus qu'elle. Peut-être pour manifester plus fortement la solitude de Laura.

Aviez-vous tout de suite pensé à Mathieu Amalric pour jouer ce personnage masculin?

Je n'ai pas forcément pensé immédiatement à lui quand j'ai imaginé le film. Mais à partir du moment où il a fallu penser sérieusement à un acteur pour jouer le personnage, j'ai tout de suite pensé à lui. Sans doute parce que je le connais bien et que, parmi les acteurs français connus, c'est le seul dont je sais qu'il a la disponibilité, la liberté et la générosité dont j'avais besoin pour faire ce film-là. Par-là, je veux dire qu'on a tourné de manière très rapide, dans des conditions qui ne sont pas forcément ordinaires pour un film fait en France. Le tournage a duré un mois, avec une équipe portugaise qu'on ne connaissait pas vraiment et une actrice débutante inconnue. Je pense qu'aucun acteur connu masculin ne se serait lancé avec joie dans une expérience comme celle-là. J'avais déjà tourné avec Mathieu et on espérait retravailler ensemble. Et puis, il y avait autre chose qui m'intéressait chez lui, qu'il ne soit pas seulement acteur mais aussi metteur en scène. Cela permettait ainsi d'éviter de donner un trop grand aspect autobiographique au récit.

Julia Roy est une actrice très jeune, jouer un rôle aussi complexe a dû être un vrai challenge pour elle.

C'était un gros challenge pour elle mais c'est justement ça qui était intéressant parce qu'un premier rôle aussi important engage quasiment son éventuelle vie d'actrice. Du coup, cet enjeu crée un ressort nécessairement favorable à la force de son interprétation. Mais ce n'est pas la première fois que je fais ce type de démarche. C'est quelque chose qui m'est cher, j'aime faire apparaitre de nouveaux visages à l'écran, souvent des visages féminins. D'ailleurs, j'ai été si convaincu par ce qu'elle a fait qu'elle jouera dans mon prochain film !

Pourquoi avoir situé l'action du film au Portugal ?

Le producteur est à moitié portugais et c'est là qu'il disposait des moyens de faire un film tout de suite. Ce qu'on ne peut quasiment plus faire en France. Etant donné mon emploi du temps, il fallait qu'une telle production puisse se décider très rapidement, d'un mois à l'autre. Le Portugal le permettait. Et puis cela a déterminé un mode de fabrication du film qui me semblait cohérent avec la nature même du projet : quelque chose d'extrêmement dense et très concentré, sur un rythme très serré.

Cela implique de faire peu de prises, je suppose ?

Oui, mais je n'en fais jamais beaucoup de tout façon. En général, je ne répète pas au sens théâtral et je tourne le moins possible. C'était comme ça du temps du film chimique et c'est resté comme ça pour moi, même au numérique.

Ce qui veut dire que le montage se fait très facilement.

Oui et non. Il y a une respiration qu'on trouve, des modifications de construction, des déplacements de scènes ou encore des suppressions de scènes. Mais c'est vrai que ma monteuse, qui monte en même temps que je tourne, me présente quasi dès la fin du tournage un premier montage qui était déjà une indication assez précise du film définitif.

Comment avez-vous travaillé avec Bruno Coulais pour la musique ?

Cela fait près de 10 films qu'on travaille ensemble. Au départ, je ne voulais pas de musique du tout sur le film. J'imaginais le film sans musique. Et puis, il y a eu une sorte de viralisation du film qui s'est fait. Après avoir lu le scénario et à mesure qu'on en parlait ensemble, au contraire de moi, il imaginait très exactement la musique possible pour le film. Au sens où la musique deviendrait une partie organique de la dramaturgie du film. Je lui ai laissé la possibilité de composer et, à mesure qu'il le faisait, la musique est devenue petit à petit une partie intégrée au film au même titre que la lumière, l'interprétation ou les décors. Et j'ai donc abandonné l'idée de ne pas avoir de musique. Sauf que j'ai pris la décision de la faire intervenir uniquement à partir du moment où Laura est seule, pour que la musique devienne un élément de sa dramaturgie intérieure.

Comment l'auteur de la nouvelle, Don DeLillo, a-t-il réagi au film ?

Il est venu de New York pour voir un montage de travail. Il était très amical mais également très perplexe par rapport à ce qu'on lui a montré. Puis, le film a représenté la France au festival de Venise et il est venu avec nous. Il a donc découvert le film terminé avec nous à Venise. Et là, il était d'un enthousiasme étonnant, debout sur son fauteuil à applaudir et à se faire photographier. C'était assez étonnant pour quelqu'un d'aussi discret.

Propos recueillis par Arnaud Lanuque (www.lepetitjournal.com/hong-kong) vendredi 16 décembre 2016.

Remerciements au Excelsior Hotel de Causeway Bay.

Infos pratiques:

http://www.hkfrenchfilmfestival.com/

Festival's Retrospective - 'From Littérature to Cinema' du 6 au 25 janvier 2017

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Publié le 15 décembre 2016, mis à jour le 16 décembre 2016

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