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24 HEURES DANS LA PEAU DE – Duy, 22 ans, étudiant en école de Mode à Saigon

Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 3 mars 2016, mis à jour le 6 janvier 2018

Nathalie est prof de mode à Saigon, elle côtoie les jeunes locaux ?trendy? en herbe au quotidien. Mais elle a beau les pratiquer avec une assiduité soutenue, sortie du contexte ?prof-élève?, elle ne connaît pas leur vie privée. Elle s'est alors demandé « Mais à quoi ressemble la vie d'un ado/adulte vietnamien ? ».

Pour cela, elle s'est rapprochée de Duy, élève en 4ème année de stylisme, qui fera au semestre prochain sa collection diplômante, en vue du grand jury.

Récit de cette journée avec Duy, 22 ans?

De son anglais maitrisé (il est important de le souligner), il n'hésite pas à se montrer arrogant, parfois insolent, et veut toujours avoir le dernier mot. Une grande gueule en somme? Mais ce petit gars, a un talent fou, c'est indéniable.
En dépit de sa fainéantise et du baobab qu'il cultive avec vigueur dans sa main, il a l'?il et le dessin juste. La couleur de ses cheveux change tous les mois, et sa vraie constante réside dans son im-ponctualité ! Pour cerner le personnage, je suis rentrée 24hrs ou presque dans sa vie, pour en découvrir le quotidien, et en savoir plus sur celui qui fait des merveilles dans mes cours?

Duy, 22 ans, vit avec la famille de son père (ses parents ont divorcés il y a deux ans) : son père et sa nouvelle femme, avec son oncle et sa tante, ainsi que ses grands-parents, dans la maison de ces dernier, dans le quartier de Tan Binh.
D'une sensibilité créative qui n'est plus à démontrer, il aime, pendant son temps « libre » (car on verra par la suite que ce temps-là est compté), faire des poupées en argile au style japonais, la couture en générale, danser, chanter, dessiner, et aller au cinéma.
Des passions somme toute bien en lien avec sa formation!

Duy n'a pas de journée type, et est plutôt du genre à faire 10 choses en même temps ; la polyvalence est poussée au maximum.
On peut néanmoins identifier 3 familles de journées : celle où il est en cours, celle où il travaille, et celle où il fait les 2 (et je pense que quelque part, c'est la dernière qui l'emporte).
Il a des « petits » boulots, car c'est lui qui finance seul ses études.
Du coup, tout en jurant fidélité et exclusivité à chacun de ses embaucheurs, il mange à tous les râteliers, et ce sans une once de scrupule.

Il « offre » donc ses services auprès de 4 compagnies (« Ladan », « Kantan », « Molly Nista », et « Suit up by Sid » - toutes présentes sur Instagram) pour qui il s'occupe du design, des achats, du sourcing, et du suivi de production.
Pour l'un d'eux, il assiste aussi le créateur, un Néozélandais, qui « ne savait même pas dessiner et faire un patron ». Le créateur donne, semble-t-il, simplement les grandes lignes, et Duy met la chose sur pied.

Il se réveille généralement entre 5 et 8 heures du matin, dit-il, « tout dépend de la nuit blanche de la veille ! »
Quand il a cours, il se réveille trois heures avant de venir à l'université, car tous les matins, il doit aller faire du repérage au marché aux tissus, pour voir les arrivages, les prix?
Les arrivages changeant au jour le jour, il faut donc constamment se renseigner, sauter sur la bonne occasion?
Il va principalement à ceux de Tan Binh, Phu Tho Hoa, Tan Dinh, Dai Quang Minh, Soai Kinh Lam, et bien sûr Ben Thanh.

Quand il n'a pas cours, il fait alors tous les marchés, de district en district? Un sacré parcours, des bas-fonds du district 12, en passant par le district 5, et Tan Binh.

Duy n'est pas du genre à petit déjeuner, et prend le banal Banh Mi à la pause de 11 heures.
(Je tiens ici à faire un petit aparté pour vous dire à quel point je suis impressionnée de tout ce que les élèves vietnamiens sont capables d'engloutir en terme de nourriture. Quelle que soit l'heure de la pause, ils arrivent toujours à dégommer à vitesse grand V des nouilles sautées, des plats de riz et du porc grillé, de drôles de mixtures?)

Entre 2 coups de fils de boulot, les mails, il arrive à suivre (pour mon plus grand bonheur de prof désemparée) les cours comme il peut. Il le dit lui-même « mes profs sont exaspérés par mon comportement ».

Pendant la pause déjeuner, il mange sur le pouce, le téléphone vissé à l'oreille, les yeux rivés sur son ordi.

Apres les cours, vers 17 heures, il prendra quand même le temps de se détendre une petite heure avec ses amis au café d'en face, et rentre chez lui, s'achetant à manger en route, et dinant rapidement devant son ordi.
Il ne dine pas en famille, car « elle n'a pas le même rythme alimentaire que lui ».

S'il n'étudie pas et n'est pas à l'université, il est sur sa moto, encore et toujours entre les différents marchés aux tissus et au téléphone avec ses différents clients.

La journée se termine enfin quand le boulot et les devoirs sont finis (s'il ne s'endort pas dessus). Il n'y a pas d'heure (mais il n'y a pas de doute, ce petit doit avoir une carence en sommeil colossale !)
Il lui arrive même de filer chez son imprimeur, un des rares qui ferment à minuit (sur Hai Ba Trung), ce qui lui permet de rapidement imprimer ses rendus en pleine nuit.

Sans compter que son ordinateur peut planter à n'importe quel moment? Il lui arrive donc aussi de devoir tout recommencer de zéro (et ce n'est pas faute de leur répéter inlassablement qu'il est impératif de faire des sauvegardes permanentes ! C'est Duy d'ailleurs qui m'a une fois montré son travail sur une PSP? où va-t-on !)

Mardi et jeudi, journées sans cours, il prend du temps pour lui le matin, et s'offre une grasse matinée en poussant jusqu'à 8 heures.

En plus de ses virées shopping et sourcing au marché, il est styliste pour 3 compagnies : principalement pour Starspark, et aussi pour Trong Hieu Idol - Vietnamese Idol et Vu Vat Tuong ? The Voice Vietnam .

Il se doit de préparer des tenues à proposer lors des fitting, souvent sans avoir d'information sur les mensurations des « artistes ».
Les essayages, me confie-t-il, « peuvent durer des heures. Même les petites stars en devenir se comportent comme de réelles divas ! ».
Après parfois plus de cinq heures passées en essayage, il est temps de rentrer chez lui, pour changer à nouveau de casquette et enfiler celle de créateur, monter des panneaux d'ambiances, les plans de collection, les fiches techniques?
En somme, les journées de Duy ne se terminent jamais à la même heure, pour peu qu'elles se terminent.

Je savais bien que Duy était autonome et débrouillard, avec un planning bien chargé, mais pas au point de vivre l'équivalent d'une de mes semaines en une seule journée !
Une belle leçon d'humilité, en espérant qu'il tiendra le rythme jusqu'au bout !
C'est en tout cas tout le mal que je lui souhaite, et bien plus !

 

Nathalie Mulot (lepetitjournal.com/Hochiminhville) 4 Mars 2016

Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 3 mars 2016, mis à jour le 6 janvier 2018