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LE NIVEAU D’EDUCATION ET LA PRATIQUE DU BOUC EMISSAIRE - Deux des blocages au changement démocratique en Haïti

Écrit par Lepetitjournal Haiti
Publié le 3 juillet 2016, mis à jour le 4 juillet 2016

 

 

 

  

 

 

[8] « Écrire Haïti? Frankétienne, Lyonel Trouillot, Gary Victor », entretien avec Dénétem Touam Bona, Drôle d'époque n°14, printemps 2004.

L'histoire d'Haïti ressemble étrangement à une succession de rendez-vous manqués. Avec l'Histoire. Avec l'instauration de la démocratie. Avec le déclenchement d'un processus de développement économique, etc. À cet égard, les 30 dernières années constituent un parfait laboratoire pour ceux et celles qui veulent saisir les blocages empêchant le décollage.

 

1-La démocratie ne se conçoit pas sans un certain niveau d'éducation

Le recul de l'ignorance doit être une priorité. Le pays doit produire beaucoup de livres et inciter la population à la lecture. Selon la dernière enquête de la Direction Nationale du Livre (DNL), Haïti ne dispose que de 89 bibliothèques dont 33 publiques, et 56 privées. L'éducation qui était déjà déficiente va subir les affres de la dictature des Duvalier qui applique une politique systématique de répudiation de l'intelligence. Selon l'adage, « quand les Dieux veulent vous détruire, ils s'en prennent à votre cerveau ». Comme le dit la Bible : « Mon peuple est détruit, parce qu'il lui manque la connaissance. » En effet, la destruction du peuple haïtien a eu lieu à un rythme sans précédent. Haïti consacre trois fois moins (1.5% du PIB) que les autres pays d'Amérique latine à l'éducation (4.5% du PIB).

Le duvaliérisme a opéré des truquages et manipulations de la langue qui ont eu pour mission de la couper de la réalité en enlevant aux mots leur vrai sens. L'écrivain Frankétienne a réagi à cette langue de bois, cette logorrhée de mystification, en disant : « C'est vrai, nous avons à résister à l'érosion, à l'usure des mots. Que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la politique, les mots ont perdu leur sève. Et avec le langage, c'est aussi la pensée qui s'appauvrit. C'est comme ça qu'on zombifie, qu'on chimèrise les gens !? Comment moi, artiste, puis-je continuer à utiliser les mots « démocratie » , « amitié », « liberté », « amour », « justice »?, des mots aussi galvaudés, dévitalisés? Il me faut donc créer mes propres matériaux [8]. »

2- La pratique du bouc émissaire du « se pa fòt mwen »

Les moins de 25 ans constituant plus de la majorité de la population sont endoctrinés avec le « se pa fòt mwen », cette pratique du bouc émissaire qui accuse toujours l'autre d'être le seul et unique responsable et qui ne voit jamais sa part de responsabilité. Le seul et unique coupable c'est l'autre. L'une des formes que prend cette politique est la manipulation du savoir en refusant de reconnaître nos propres carences. Par exemple, l'accent est mis uniquement sur l'occupation américaine et non sur les responsabilités haïtiennes dans cette hécatombe. En réalité, les Américains ont été invités à interférer dans les affaires haïtiennes depuis 1865 par Sylvain Salnave. Il a fallu le nationalisme d'Hannibal Price et d'Anténor Firmin pour les empêcher de s'emparer du Môle Saint-Nicolas. En effet, Hannibal Price, ministre d'Haïti à Washington, devait envoyer un câble en date du 7 avril 1891 à Anténor Firmin, Ministre des Affaires Étrangères du gouvernement de Florvil Hyppolite. Dans ce câble, Hannibal Price disait : « La présence de la flotte dans nos eaux est destinée à vous effrayer. Ne cédez pas. Rien n'arrivera [9]. »

Lors de la guerre civile de 1902, Boisrond Canal devait d'abord demander au ministre français Deprez accrédité en Haïti de faire intervenir le croiseur français d'Assas pour capturer le navire La Crête-à-Pierrot sous le commandement de l'amiral Hamilton Killick. Cette même requête d'intervention est adressée par Boisrond Canal aux Américains pour qu'ils envoient le navireMarietta capturer La Crête-à-Pierrot [10]. Enfin, Boisrond Canal sollicita l'intervention des Allemands qui envoyèrent leur navire Le Panther. C'est à cette occasion que l'héroïque amiral Killick préféra se faire sauter avec le navire que de le laisser tomber entre les mains des Allemands. Enfin, Boisrond Canal demanda aux Américains de bloquer les ports de Saint-Marc et des Gonaïves afin que les troupes firministes ayant à leur tête le général Jean-Jumeau ne puissent être ravitaillées en armes, munitions et vivres. Les demandes adressées au gouvernement de Panama de ne pas recevoir le président Privert aujourd'hui s'inscrivent donc dans une tradition ténébreuse.

 

[9] Hannibal Price III, La question haïtienne ou l'affaire du Môle Saint-Nicolas, Port-au-Prince, C3Éditions, 2016, p. 43.

 

 

Les intérêts financiers de Wall Street découlant de l'emprunt de 1910 ne sont pas les seuls à placer les Américains au c?ur de la politique haïtienne. Les forces traditionnelles bloquant toute transformation sociale et qui se sont liguées contre le retour d'Anténor Firmin en Haïti en 1911 y ont joué un rôle essentiel. Rien n'est fait pour dépasser le conflit Noirs/Mulâtres et inspirer un autre devenir. Les Américains veulent s'assurer que les porteurs de bonds de l'emprunt de 1910 sont payés. En décembre 1914, les soldats américains débarquent et s'approprient les réserves d'or d'Haïti. Après l'exécution de 167 prisonniers politiques liés à des familles allemandes, le président Vilbrun Guillaume Sam est lynché le 27 Juillet 1915. Parmi les 167 prisonniers, on peut mentionner les trois frères Seymour, Sievers et Maurice Polynice, Alfred Celcis, Justin Turnier, Gaspard Nérette, Charles Germain, Démétrius André, Pierre Faubert, Pascal Élie, Alfred Chatelain et ses deux frères Emmanuel et Lamartine, Thomas Woolley, Marcel Clesca, etc. Alors court-circuitant la réaction de l'Allemagne, les Américains prennent les devants et occupent Haïti le 28 juillet 1915. Il est faux, hypocrite et calculateur de présenter les choses autrement.

 [10] United States Department of State, Papers Relating to the Foreign Relations of the United States, Washington, 1903, p. 612.

 

www.alterpresse.org

Extrait de « Les blocages au changement démocratique en Haïti »

Leslie Péan, Lepetitjournal.com/haiti Lundi 4 juillet 2016

 

 

 

 

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Publié le 3 juillet 2016, mis à jour le 4 juillet 2016

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